27 avril 2024
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«Ouverture à la française » de Dora Djann 

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«Ouverture à la française » de Dora Djann 

« Le ravissement de l’Europe m’accompagne. J’ai droit à la parole. On me questionne sur la nature de mes envies, et on accorde de la valeur à mes réponses. » Ouverture à la française, Dora Djann

Ziné est fille d’émigrés turcs, d’origine kurde et alévie, arrivés en France dans les années 1990. Elle parle de ses souvenirs comme s’il s’agissait de les coucher dans un carnet intime ou de les enregistrer dans un album photos. Dès le début du roman, elle a une obsession : son père, avec lequel elle n’a plus de contact depuis si longtemps.

Parce que Ziné a décidé une fois pour toutes de prendre son destin en mains et que ça n’a pas plu à son géniteur même si ce dernier avait un bagage politique à faire valoir. Et pour cause, le père est communiste et il milite dans un parti kurde. Pendant quinze longues et interminables années, la jeune femme et son père ne se voient plus ; aucune rencontre, même fortuite.

Dans le roman, les souvenirs sont égrenés depuis Gaziantep, dans le Kurdistan turc à la frontière syrienne jusqu’à Saint-Denis, en banlieue parisienne. Ce père très dur qui ne ménage pourtant pas son temps pour militer en tant qu’opposant de gauche au régime turc, a lui-même des problèmes avec son propre père. Il arrive en France et y vit clandestinement sans donner de nouvelles et sans envoyer le moindre mandat à sa famille restée au pays. Il a fallu quatre ans pour que son épouse décide enfin de le rejoindre, seule dans un premier temps. Les enfants arriveront par la suite lorsque tout sera sécurisé.

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Dora Djann nous prend par la main et nous emmène, manu militari, sur les chemins de l’exil. Le père voulait absolument se faire enregistrer comme kurde mais cette nationalité ne figure sur aucun registre au monde. De la même façon qu’il ne pouvait pas se faire immatriculer comme alévi. Il est embauché dans un atelier de couture jusqu’à ce que la totalité des membres de sa famille viennent le rejoindre.

Ils finissent par habiter à Vaujours, serrés comme des sardines dans un studio minuscule. Puis, inéluctablement, les traditions ancestrales reprennent le dessus. Quand une fille devient nubile, tout lui est interdit. Même la mère, gardienne de l’héritage ancestral, s’y met de son côté. Et comme seule échappatoire, Ziné n’a rien trouvé de mieux à faire que de se marier avec Joseph, un Français, pour se soustraire au chantage et aux intimidations de sa famille et de sa communauté.

Ouverture à la française est un roman qui parle d’une jeune femme kurde qui s’est jetée corps et âme dans les valeurs du pays qui l’a accueilli et qui se retrouve confrontée aux contradictions d’une mère et d’un père « progressistes » qui en sont venus à promouvoir un folklore communautariste figé. Combattante d’une liberté émancipatrice, l’héroïne personnifie une dignité douloureuse. Parce qu’il faut une bonne dose de grandeur pour mettre en parallèle les rouages d’un ancrage dans des coutumes pétrifiées et une « ouverture à la française », promesse d’un affranchissement certain.

Dora Djann, à travers ce premier roman, nous fait basculer dans un monde lointain et proche en même temps, où la Turquie, le Kurdistan, les alévis nous sont offerts dans notre propre environnement. Et son héroïne a su s’extraire d’un phalanstère qui est d’avoir la malchance de venir au monde en tant que fille alors que ce même monde, dans certaines sociétés, subit les lois promulguées par les hommes et pour les hommes.

K. B.

« Ouverture à la française » de Dora Djann
Editions Emmanuelle Collas

Auteur
Kamel Bencheikh, écrivain

 




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