Lundi 11 février 2019
Passeport, autorisation de sortie pour les Algériens : récits et souvenirs (I) !
« 3aârbouha, 3awdjouha ou mazal iykherbouha ! »
On ne peut comprendre le « fakhamatisme » ambiant et l’agitation stérile autour de Bouteflika et son clan sans remonter le temps, jusqu’aux années Boukherouba, avec ses nombreuses élucubrations que d’autres attribuaient à du patriotisme salutaire alors qu’il s’agissait d’endoctrinement suicidaire !
Sans remonter à la catastrophe humanitaire de 1962, celle qui forcé des centaines de milliers de vertèbres économiques, sociales et culturelles du pays (petite pensée à Lili Boniche, à Line Monty et au sublime Alger-Alger (*)), à prendre la valise pour éviter le cercueil (« un détail » de l’Histoire d’Algérie sur lequel nous reviendrons, un jour ou l’autre), il est utile de dresser une trame des écueils que notre génération post 1962 a eu à affronter avant de faire le seul choix qui s’offrait à elle aussi, après celui donné aux pieds noirs, aux harkis et aux juifs d’Algérie, celui de la valise ou du cercueil. Pour elle et surtout pour ses descendants !
Quand l’héritage de l’école imposé par Boumediene apprend aux enfants à haïr ses propres parents, juste parce que ces derniers ne font pas la prière, quel autre chemin suivre que celui de l’exil, bon sang ! pour sauver ses petits oisillons ? C’est une loi de dame nature applicable autant à la fourmi qu’à la baleine : fuir les semeurs de mort pour s’accrocher à la vie et la perpétuer contre vents et marées de prédateurs en tous genres !
Nous sommes au milieu des années 1970. Quoi de plus normal pour un jeune étudiant que de vouloir explorer le monde et rêver de voyages en franchissant les frontières, ces lignes Maginot physiques et intellectuelles dressées par les hommes pour délimiter des territoires et des peuples conquis, toujours par les armes et jamais par les fleurs ?
Rêver c’est bien ! encore faut-il avoir le cran et l’audace d’affronter l’administration de Boumediene pour décrocher le ticket exigé pour chaque projet d’évasion ! Celui d’une autorisation de sortie du territoire nationalisé. Une autorisation soumise à des contraintes et la confection d’un dossier, souvent digne du parcours du combattant. Combien de fois n’avions-nous pas tenté tel circuit, en majors de la débrouille et (clin d’œil averti au général Ghediri) de la lutte contre une bêtise érigée en mode « normal » et qui surpasse nos hargnes et autres sursauts, pour finir vaincus par des lois scélérates appliquées à l’arbitraire sur des bases de maârifa, souvent de facies, et parfois de simple timbre vocal inharmonieux à leurs oreilles !
Et les obstacles dressés devant la sortie du territoire ne s’arrêtent pas une fois le guichet conquis, car souvent circulaient des rumeurs selon lesquelles des citoyens avaient été refoulés de l’aéroport juste parce qu’il manquait à l’autorisation de sortie une preuve de citoyenneté accomplie : carte de vote ou cachet de la mairie sur le passeport ou la carte d’identité en guise de bonne foi pour diluer une mauvaise foi dont nous étions tous (kachouch mechouch) accablés de facto sans vraiment savoir pourquoi ! En gros, nous étions tous considérés comme des antipatriotes sommés d’apporter la preuve qu’Algériens nous l’étions, des orteils physiques aux états propres de la crinière quantique !
Nous sommes donc en août 1977. Aux termes du dernier tronçon d’études à la fac d’Alger, la chance et l’acharnement sont aux rendez-vous pour décrocher une bourse Sonatrach pour les USA ! En tout nouveau marié, j’avais envie d’offrir et de partager, avec la plus gracieuse « thadjadarmith » du monde (clin d’œil à Hend) que le hasard et la chance m’ont offert, l’aventure outre Atlantique ! Elvis venait de mourir ! L’Amérique était en deuil !
D’Alger nous partagions la peine des Américains ! C’était comme si avec la mort d’Elvis, une partie de nos propres rêves venait de disparaître aussi ! Mais, jeunesse oblige, on oublie vite ses peines pour chevaucher ses joies ! Avec ou sans Elvis, il fallait poursuivre ses propres rêves et sa foi en l’avenir du pays dont nous souhaitions calquer les chevauchées modernes sur celles de la grande Amérique !
En étudiant boursier, ma propre autorisation de sortie m’avait été délivrée directement par les services en charge, à Sonatrach. Il m’appartenait de décrocher celle de ma jeune épouse auprès de la daïra de notre domicile, celle du fameux 3ème arrondissement d’Alger-centre-Bab-el-oued !
Un matin d’août 1977, je débarque aux guichets de la daïra avec, en mains, le dossier comprenant les justificatifs pour arracher le sésame pour ma dulcinée !
Passons sur la cohue qui régnait aux abords des guichets ! Une cohue que vous ne pouvez traverser qu’en faisant preuve d’une patience absolue, des heures et des minutes goulues !
Au sein de l’équipe administrative qui gérait des dossiers en tous genres, l’artiste Kadri Ahmed, dit Krikeche, focalisait souvent l’attention et l’espoir. Les miens aussi, je dois l’avouer ! Mais ce dernier s’excusait, avec la gentillesse qu’on lui connait, de ne rien pouvoir faire pour nous aider.
Je me souviens que quand mon tour fut venu, je m’étais accoudé au guichet, les yeux béants et le sourire béat ! Croyant être arrivé au bout de mes peines. Enfin ! m’étais-je trop vite dit. Car c’était sans compter sur le regard et l’analyse circonspects jetés, en à peine une poignée de secondes (je n’exagère pas) sur mon dossier par l’expert administratif pour tout rejeter et me traiter d’idiot ! Bombant le torse, le regard méprisant, il me lance en expert es-lois : vous êtes boursier de Sonatrach, il appartient à Sonatrach de délivrer une autorisation de sortie à votre épouse ! sur son regard méchant se lisait un « bougre d’imbécile », en complément.
Et vlan pour mon kamum d’ignare, au regard de la planète administrative sous Boumediene !
Bête mais discipliné, je m’en « va » voir les responsables de Sonatrach pour leur exposer le problème : -Mais ce n’est pas à nous de vous délivrer tel document mais aux autorités compétentes de la Daïra ! Et cela, au vu d’une seule et unique loi, celle qui énonce que quel que soit le cas de figure « la femme suit son mari » ! Vous avez une autorisation de sortie, elle y a droit aussi ! m’entend-je dire ! Eh oui ! après tout, n’a-t-on pas calqué nos lois sur celles qui font de la femme une mineure à vie qui passe de l’autorité parentale à la possession exclusive du mari ?
Des lois calquées sur celles édictées dans une grotte d’Arabie en l’an 622. Allez donc vivre vos rêves d’adulte au 20ème siècle, l’inertie de l’an 622 accrochée à vos moindres pas ?
Fort de l’enseignement de mes garants Sonatrach, je m’en retourne à la daïra le lendemain pour exposer les arguments précédents !
Le responsable administratif à qui je reformule La Loi me remballe comme une patate cuite trop chaude pour ses mains et me lance : Ce n’est pas à Sonatrach de dicter Ses lois ! Abasourdi, j’interpelle un de ses collègues et lui tend mon dossier. Il le prend, l’examine et tente de convaincre le chef que mon cas ne souffrait d’aucune ambiguïté !
Le responsable le réexamine tout en m’observant du coin de l’œil et lui lance : ce n’est pas la peine de discuter avec ce « b’ghel » ! « A3yit n’efham fih, ma f’ham wallou ! » J’ai beau lui expliquer à ce bourricot, il ne comprend rien !
Me voilà donc, en quelques secondes, transformé en abruti cacheté, moi qui rêvais de conquérir un peu d’Amérique, apprendre ses méthodes et revenir ensemencer quelques petites doses pour construire une Algérie rayonnante de meilleur !
Dieu que jeunesse rime bien avec naïf ! car pendant que nous étions délégués pour apprendre et partager avec nos concitoyens à notre retour, Boumediene et sa clique les matraquaient avec l’idéologie folle de l’Arabie Saoudite, ses mythes, ses psaumes cosmico-comiques, via des administrateurs zélés érigés en régisseurs d’un peuple auquel ils n’ont jamais rien compris ! Le plus dévastateur, c’est que plus de 40 années plus tard, Bouteflika El-Mali, son clan et ses petits frères fonctionnent toujours sur le même tempo de sottises que Boumediene a implanté ! La dernière polémique sur la « sallat zkara » à l’école en représente la preuve proéminente d’une marche forcée vers les ténèbres à laquelle plus aucune force, si gigantesque fusse-t-elle, ne pourra intimer l’ordre d’un « khelf dour ! » salutaire !
Nous avons fini par l’arracher cette autorisation de sortie érigée en trophée, qu’il fallait mériter, par ces Majestés qui avaient remplacé les conquérants roumis, dès que ces derniers avaient été chassés du pays ! Comment ? Je vous en conterai détails et mimiques bien avant la date fatidique d’un 5ème mandat qui s’annonce catastrophique pour le moral et l’espoir !
Kacem Madani
(*) En voix masculine, ou féminine, seul un amour puissant du pays peut faire délivrer les émotions des vidéos ci-après ! ça transpire de la joie et de la beauté, même dans la nostalgie du pays ! Allez donc demander au clan Aek-el-mali de fredonner ou de laisser les autres déclamer une Algérie de l’enchantement, eux qui ne jurent que par l’avoir quitte à noyer nos espoirs !
Quelle da3wassou, nom de Dieu, d’avoir vécu toute une vie à supporter et assister impuissant à tant de déboires !
Oublions-les et laissons-nous transporter par ces mélodies de la paix, débitées en enchanteresses loquacités ! Cette paix que des hommes malveillants imposent par les armes, depuis la nuit des temps…pour étouffer tout germe de bienveillance entre des êtres humains qui ne demandent qu’à vivre dans une sérénité libérée de ces bourreaux déshumanisés qui transforment leurs pays en geôles et des murs difficiles à escalader !