6 novembre 2024
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Place à l’esprit affûté des pourfendeurs de statu quo (*)

DEBAT

Place à l’esprit affûté des pourfendeurs de statu quo (*)

Le mot d’ordre fétiche du Hirak « Non aux 3B » a démontré son inefficacité tant la démission de l’ancien président du Conseil constitutionnel, Tayeb Belaïz, fut immédiatement comblée par le parachutage de Kamel Feniche, illustre inconnu mais néanmoins maillon des appareils du système.

Le départ attendu de Bensalah (président intérimaire) et de Bedaoui (Premier ministre) pouvant fort bien aboutir à la même causalité en boucle ou effet boomerang, il nous paraît nécessaire de se soustraire dudit slogan que continuent à clamer de nombreux marcheurs. Parmi eux, défilent les adeptes des portails interactifs via lesquels se fabriquent et se transmettent les palmarès de la notoriété.

Ces néo-addicts ou accros de la toile cliquent à longueur de journée des « Likes » et « Followers », désignent les porte-paroles de la foule en liesse ou au contraire dézinguent le ciblé à passer à la trappe de l’excommunication populiste, à éjecter ou exfiltrer des cortèges, à maintenir à l’écart d’un forum à ne pas dénaturer, à garder intact dans son jus déterministe et unanimiste. İl en est ainsi de ce temps robespierrien où les soutenus d’hier deviennent les personæ non gratæ du « Vendredire » uniquement en vertu des dépréciations de Citoyens de beauté chers au poète Jean Sénac, masse supposée angélique mais qui s’arroge le soin de décréter le veto couperet, de brandir l’épée de Damoclès ouvrant le bal des pendus ou guillotinés de l’agora publique.

Puisque (selon l’expression accordée en 1968 au peintre Andy Warhol) « À l’avenir, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale », n’importe quel quidam prétend désormais à son moment de gloire pour peu qu’il sache pianoter sur un clavier, partager dans l’instantané de l’ »ici et maintenant » pour démolir ce qui ne convient plus à ses goûts de l’heure ou surfer sur des condescendances journalistiques. Couvrant en 2014 le 4ème sacre d’Abdelaziz Bouteflika, le périodique français Le Monde consacrait alors aussi aux plasticiens du collectif « Box 24 » l’article du 18 avril, « Les artistes algériens font leur printemps », apprenait aux néophytes que «

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Lassée de la politique, une génération de créateurs bouscule la société et le pouvoir ». Elle négligeait malgré tout la vague contestataire du courant « Barakat » (ça suffit!) avec « La farouche conviction que l’évolution du système ne viendrait pas de la confrontation dans les manifestations », à fortiori d’une mobilisation urbaine. Pourtant, nous prévenions à l’époque sur le site « Founoune dz » (plate-forme dédiée à l’art) « (…) qu’il ne suffit pas ou plus de se cacher derrière un écran d’ordinateur, pour répandre diatribes ou remarques, mais de prendre son destin en mains en agissant politiquement, voire en occupant, au possible, la rue algérienne, sans doute la seule alternative pour arriver à obtenir des résultats probants ».

Traversées de pulsions rhétoriques, les mystifications réticulaires de la vox populi font et défont les réputations, plébiscitent et renvoient parfois dans les cordes des militants avérés, voire des analystes excluant les habituels formatages, enclins à fomenter de perspicaces grilles de lecture cristallisées bien loin des porte-flingues anonymes planqués à l’arrière d’un mur Facebook. Lisible au niveau du webzine Lematindalgerie, le texte « Focus sur des individus et événements contributeurs du Hirak 2019 » met justement en évidence quelques déclencheurs de la conscientisation générale, dément et égratigne au passage l’hypothèse de Belaid Abane assertant que l’essence du vaste mouvement populaire ne ressort pas d’une émanation interne ou intrinsèque mais des ficelles souterraines des agents l’ex-DRS (Département du renseignement et de la sécurité), d’une « main intelligente » et invisible en mesure « d’exploiter le juste mécontentement ».

İncapables de réagir par eux-mêmes, les Algériens seraient sans le savoir « guidés et stimulés » par des influenceurs de l’ombre, des opérateurs sous-jacents de l’émulation performative susceptibles d’activer au moment voulu les réseaux dormants, de « mobiliser de manière aussi massive et ordonnée », d’amorcer ponctuellement et efficacement la mèche-poudrière. Nous contestons un tel raccourci organique valable au moment des soubresauts du 05 octobre 1988, estimons à l’encontre que l’apport intellectif de plusieurs lanceurs d’alertes a consubstantiellement servi de détonateur à retardement, que le fruit était suffisamment mûr pour que germe des entrailles du peuple une colère longtemps couvée ou contenue ; c’est ce qui explique le torrent de colères que les barrages du 22 février 2019 ne réussiront pas à juguler.

De là, la déferlante de banderoles, pancartes, caricatures et affiches exprimant le ras-le-bol que la fronde « Barakat » d’avril 2014 ne réussira pas à métamorphoser en raz-de-marée. Une demi-décennie après cette tentative avortée, la coupe apparaissait suffisamment pleine pour déborder les inhibitions d’un torrent humain à mieux orienter, sans aller bien sûr jusqu’à diminuer ou nier son rôle de catalyseur précédemment et exagérément attribué à la police politique. Depuis près de soixante ans, les Algériens ont avalé beaucoup de couleuvres et ne semblent guère prêts à s’en remettre à d’aimables enchanteurs, à confier leur confiance et destinée au premier zaïm providentiel venu.

Qui donc pour dépasser la théorie du complot, surmonter l’impasse, rentrer dans le vif du sujet, affronter les ordonnateurs de l’Armée nationale populaire (ANP) qui en apparence font empêchement et corps ?

À notre sens, ou humble avis, les cautions morales à pousser au devant de la scène parlementaire sont : la révolutionnaire Djamila Bouhired, l’avocat Mustapha Bouchachi, les anciens Premiers ministres Mouloud Hamrouche, Ahmed Benbitour et Ali Benflis, nombre symbolique de cinq renvoyant aux cinq doigts d’une main avec laquelle empoigner fermement celle des gardiens du temple.

Pour affronter au mieux ces interlocuteurs, le groupe initial sera accompagné des érudits et militants suivants : la politologue Louisa Dris-Aït Hamadouche, le sociologue Nacer Djabi, l’avocat Mokrane Aït Larbi, l’universitaire Rachid Tlemçani, le professeur émérite Madjid Benchikh, l’ex-hégérie de « Barakat » Amira Bouraoui et le président du Rassemblement actions jeunesse-RAJ- Abdelouhab Fersaoui). Les mandatés appelés à mettre un terme à l’aporie et, par extension, à l’épopée postcoloniale, auront comme principaux interlocuteurs les membres de l’État-Major, certainement d’abord son chef Ahmed Gaïd-Salah disposé à aplanir les choses car jugeant récemment à Ouargla que « (…) toutes les perspectives possibles restent ouvertes afin de surpasser les difficultés et trouver une solution à la crise dans les meilleurs délais ».

En testant l’engagement du général de Corps d’armée, les missionnés sauront d’emblée s’il posera tout sur la table (y compris les pré-carrés que sont les circuits importateurs et leurs corolaires les ports secs) ou s’il faut au contraire ignorer ce galonné de 83 ans proche de la retraite. D’ailleurs, et tout compte fait, la double interrogation à se poser à son sujet est : que vaudra vraiment la parole d’un homme au temps imparti à la tête des Grands décideurs ? Ce qui sera convenu avec lui aujourd’hui aura-t-il encore du poids ou contenu aux yeux du futur remplaçant ? Toujours est-il que, averti et positionné, le collège des 12 interpellés aura la lourde tâche de pousser les gradés du Haut commandement dans leur ultime retranchement afin d’arracher des gages.

Les deux camps en intense négociation signeront ensuite un protocole d’accord répertoriant l’ensemble des concessions à communiquer aux Algériens, une liste comprenant comme actes contraignants : l’abolition des privilèges militaro-industriels, des monopoles souverains basés sur le développement autocentré, le capitalisme de copinage ou de consanguinité, la règle ou division 51/49, une capitalisation nationale majoritaire et protectionniste se concluant souvent par la régulation secrète de commissions. Néfaste à l’essor économique du pays, le modus operandi ossifie et démonétise pareillement les émulations du génie algérien. S’émanciper de la tutelle caporaliste, c’est montrer le chemin de la caserne aux invétérés du putsch permanent, enterrer le pronunciamiento de l’Armée des frontières qui en juillet 1962 se substituait frauduleusement aux attributions normalement allouées au Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA), c’est remettre à la responsabilité de l’autorité civile la conduite politique, économique, culturelle et artistique de la seconde République.

En contrepartie du retrait définitif de l’Armée de ces champs jusque-là préemptés, plusieurs affaires compromettantes seraient effacées de l’ardoise, deuxième point essentiel au paraphe du compromis final. Celui-ci acquis, plus rien en principe n’entravera le lègue des compétences, déplacement synonyme de longue transition (étirée sur 18 ou 24 mois) qu’aiguillonnera une gouvernance collégiale composée du quinté liminaire (Djamila Bouhired, Mustapha Bouchachi, Mouloud Hamrouche, Ahmed Benbitour et Ali Benflis), auquel se joindra un complément d’experts également aguerris à la gestion administrative ou protocolaire des dossiers.

L’instance ainsi charpentée prononcera la démission des intérimaires chefs de l’État et de l’Exécutif. Suivra la dissolution logique des Conseil constitutionnel et de la nation, du gouvernement et de l’Assemblée populaire nationale (APN) puis une trêve globale stoppant de facto les rassemblements urbains. Avec ce cas de figure, l’élection présidentielle ne se tiendrait plus dans les délais fixés, c’est-à-dire le 04 juillet 2019. Les conditions garantissant sa transparence ne sont aucunement implantées et se serait une grave erreur de la précipiter, d’autant plus que pendant la longue plage de discussions restant à couvrir se posera inévitablement la question de la patrimonialisation d’un FLN à sanctuariser au musée de l’Histoire parce que ses encartés rodés à la fraude siphonnent la légitimité historique et phagocytent (par le biais de leurs procédés inhibiteurs) la mutation vers la modernité démocratique, empêchent de consacrer la séparation du pouvoir entre le judiciaire et l’Exécutif, d’offrir de nouveaux statuts au Conseil supérieur de la magistrature (chapeauté par le chef de l’État ou le ministre de la Justice).

Des tribunaux abritent des magistrats et procureurs corrompus qui ont fermé les yeux sur des pratiques douteuses et des pseudo-fichiers électoraux à assainir avant de préparer des échéances communément orchestrées par la férule d’officines sous-marines maillant les canaux interlopes de l’État profond. Les drainer avant le suprême suffrage instaurera résolument la clarté si convoitée ou envisagée. Pour une meilleure lisibilité, il serait peut-être opportun de demander aux différentes formations politiques de se saborder, de repartir à zéro, de revoir leur copie, de se plier à un agrément refusant des projets idéologiques axés sur l’authenticité révolutionnaire, religieuse et de cultures régionalistes.

La prochaine Constitution reprendrait ainsi les postulats de celle rédigée en 1989, ce qui circonscrira un paysage réduit à une dizaine de partis (il s’agit d’éviter l’émergence d’une flopée d’associations ne reposant, comme la brochette fournie que coagulent les maisons d’édition, sur aucun socle pertinent). Suspectée de « troubles à l’ordre institutionnel », la Constituante est rejetée du côté de conciliateurs faisant observer la dangerosité d’un tel dispositif.

D’avis similaire, nous préconisons par contre d’inclure ultérieurement à la vaste délibération des représentants de la diaspora : les 800.000 ressortissants algériens ou franco-algériens résidant en France demeurent une assurance tous risques, un facteur constitutif protégeant l’Algérie d’éventuelles ingérences étrangères.

À une intervention occidentale (déguisée ou pas) au pays de l’Émir Abdelkader, des milliers de résidants hexagonaux répondraient en « foutant le souk » sur la rive septentrionale de la Méditerranée. Là, depuis près d’un semestre, des « Gilets jaunes » essaient de s’affranchir des traités de Maastricht, se heurtent en définitive à l’indifférence de « Gaulois non réfractaires » mentalement récalcitrants à l’idée de larguer les cordons ombilicaux de la financiarisation extra-libérale. À ce stade, des Algériens radicaux exècrent les manœuvres dilatoires d’argentiers rétifs à l’alternance. Nonobstant, loin de constituer un programme, leur « dégagisme » fait écran à la modélisation structurante ici élaborée. Propice à l’apaisement général, elle inscrit les jalons d’une stabilité recouvrée, non plus relative à l’immobilisme mais aux créations tous azimuts obligeant à se départir de la construction d’usines livrées clefs en main et à annuler les contrats n’intégrant pas le transfert des technologies. Le chamboulement paradigmatique consolidera assurément les aspirations d’une population réclamant une élection présidentielle crédible. Pour cela, s’impose en préalable la désignation de profils adéquats et habilités qui planifieront le déroulé de la feuille de route ou phase préparatoire menant aux réformes du véritable changement.

Libérés des injonctions militarisées, autonomisés du diktat de dévots ou autres thuriféraires tombés en disgrâce, ces visages consensuels (plébiscités en amont) devront dissiper les suspicions ancrées dans les cerveaux des autochtones, leur projeter (après un sérieux et complet audit) un horizon politico-social, formuler et dessiner les visions prospectives de la sortie de crise.

S. L. F.

(*)  İntervention rédigée et adressée le lundi 22 avril 2019, soit un jour avant la dernière allocution d’Ahmed Gaïd-Salah prononcée à Blida (1 ère région militaire). Le prochain texte « Le froid et le chaud, le vice et la vertu d’Ahmed Gaïd-Salah » complètera une réflexion en trois volets débutée avec « Focus sur des individus et événements contributeurs du Hirak 2019 ».

Auteur
Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art

 




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