16 mai 2024
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Point de situation à l’approche d’un “dead line”

REVOLUTION CITOYENNE

Point de situation à l’approche d’un “dead line”

Il semble que l’Algérie, peuple et pouvoir, soient dans l’impasse, en panne d’idées et de solutions. Le peuple et l’armée sont face à face. Ils doivent régler un problème qui ne s’était jamais ouvertement posé, celui de la dévolution du pouvoir. Non plus sur la base de la force, mais du droit. La révolution citoyenne a commencé « silmiya », et ne saurait finir « damiya ».

Du 22 février 2019 à aujourd’hui, il a été possible de faire cohabiter la révolution avec l’ordre constitutionnel. Le départ du président de la République s’est effectué dans le respect de la volonté populaire et des formes légales. Il était le premier objectif dans l’ordre des priorités, mais il vient en seconde position dans l’ordre des finalités, juste après le départ du « système » qui n’est pas né il y a vingt ans, comme veulent le faire croire les trois mages qui viennent de lancer un Appel à l’état-major de l’armée, mais en 1962, pour ne pas dire en 1957 dans un hammam d’Oujda.

Lundi 21 mai cessera le mariage, improbable en soi, entre révolution et légalité. Non pas du fait d’une embardée de la révolution ou d’un coup de volant du pouvoir, mais de la survenance d’une circonstance rare dans les annales de la politique et du droit : une panne électorale, une élection présidentielle tombée en désuétude faute de candidats et d’électeurs. En cela aussi la révolution citoyenne algérienne aura innové.

Mais il reste possible de faire coexister révolution et légalité pour une cinquantaine de jours encore, c’est-à-dire avant l’expiration, le 9 juillet, du mandat du chef de l’Etat par intérim. Au-delà, ce sera l’inconnu, l’obscurité, c’est-à-dire un champ ouvert à toutes les éventualités : les bonnes autant que les mauvaises.

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Il est difficile de voir à travers les ténèbres avec une lampe de poche, mais on peut dire que le pays dispose d’une sorte de sursis pour substituer à l’effrayante perspective d’apesanteur qui le guette – un pouvoir sans légitimité et une révolution livrée à des dévoiements possibles – un redémarrage du moteur à une ou deux secondes de son extinction.

Un compromis entre la légalité constitutionnelle et la légitimité populaire n’ayant pu être trouvé, le pays se retrouve dans la nécessité d’une période et des instances de transition forcément non constitutionnelles. Je veux parler ici de l’idée d’une élection présidentielle à l’échéance prévue ou quelques mois après mais sans les 3 B, encadrée par des visages inspirant confiance et des règles de jeu revues et corrigées, idée que j’avais défendue dans des opinions publiées sur ma page Facebook et ailleurs les 2 et 29 mars et le 4 avril.

Le vide constitutionnel ne doit pas devenir un vide cosmique, et pour l’éviter il faut savoir définir, conceptualiser et matérialiser la période et les instances de transition. Les « initiatives » allant dans ce sens se multiplient au fil des jours, se copiant, se complétant ou se contredisant, de même que prospère l’opportunisme avec des figures qui se sont autoproclamées porte-voix d’un « Hirak » qu’elles n’ont pas déclenché.

Issus pour la plupart d’un même courant idéologique et soutenus par quelques médias complices, ces « twaychia », jeunes ou moins jeunes, se bousculent au portique du pouvoir, tandis que ses détenteurs véritables n’ont rien proposé à ce stade, ce qui ne signifie pas qu’ils n’ont pas leur idée sur la suite ou le cap vers lequel ils comptent mener la nation.

Comme je n’ai cessé de l’écrire et de le répéter depuis les années quatre-vingt, le problème de la relation peuple-pouvoir est de nature mentale, psychologique, et se pose entre des « décideurs » soudés par une culture du pouvoir enracinée dans leur vision des choses, et un peuple qu’ils n’arrivent pas à se représenter sous l’angle des articles 7, 8, 11 et 12 de la Constitution car en retrait de la vie politique ou associative depuis l’indépendance.

Ces articles disent bien que le peuple est le propriétaire du pays, le détenteur de la souveraineté nationale, le mandataire du pouvoir et le patron de l’armée, de la police, des pompiers, des gardes-forestiers et de tout ce qui porte un uniforme mais, pour le pouvoir, le dire est une chose et le mettre en pratique en est une autre. C’est oui, tant que cela ne prête pas à conséquence, mais c’est non quand il faut lui remettre le pouvoir et se mettre à son service. Cela n’arrivera qu’au terme d’une réforme mentale, psychique et culturelle que nul ne sait comment, quand et où l’entamer.

C’est ainsi que les « décideurs » parlent de « crise » là où il y a une révolution citoyenne portée par des idéaux démocratiques que ne partagent pas tous les hirakistes, certes, mais qui en est une, même si elle n’a pas réalisé tous ses objectifs, œuvre de longue haleine.

En disant cela, je ne dévoile pas le fond de ma pensée. En fait, quand on veut regarder les choses de plus près, il apparaît que le problème n’a jamais été dans la relation entre le peuple et ceux qui l’ont gouverné, mais a de tout temps été dans le peuple, dans le peuple lui seul.

Quand les Algériens, tout au long de leur histoire, se concevaient inconsciemment et se comportaient pratiquement comme des « habitants », ils étaient dirigés, de gré ou de force, par n’importe qui passait par-là, par quiconque accostait sur leurs côtes ou foulait leur terre, par toute force militaire mieux équipée et organisée qu’eux, par tout système social et étatique supérieur à leurs particularismes : Phéniciens, Romains, Turcs, Français, Clan d’Oujda… Ils ne formaient pas un TOUT homogène, mais un TAS hétérogène : ethnies, tribus, aarouchs, « açabiyate », dwawars…

Ils portaient le nom d’« Amazighs » ( hommes libres ) comme en a témoigné Ibn Khaldoun, mais ils ont passé le plus clair de leur temps sous une domination ou une autre, orientale ou occidentale. C’est à croire qu’ils ont choisi le nom qui convenait le moins à leur réalité.

Être libre, pour eux, c’était être des individus indépendants les uns des autres, et non une société ; des particules élémentaires, et non un organisme ; des particuliers et non une généralité. Ce n’est qu’aujourd’hui qu’ils goûtent aux délices du NOUS après avoir si longtemps souffert des affres des MOI désunis et désarticulés. Devenus « Hirak », ils ont vu de quoi ils pouvaient être capables. Plus jamais ils ne seront comme avant !

De ce point de vue, on peut dater la naissance du peuple algérien du 22 février 2019. De ce point de vue toujours, la révolution citoyenne en cours dépasse par sa portée historique celle du 1er novembre 1954.

Avant cette dernière, l’Algérie était un Beylicat ottoman puis une colonie française. Après la révolution citoyenne en cours, aucune puissance au monde ne pourra occuper l’Algérie pendant de longs siècles avec quelques milliers de Janissaires ou de   « chnabat » (gardes-champêtres).

La révolution citoyenne n’est rien d’autre qu’une expression du «djihad al-akbar» : se construire de l’intérieur, lutter contre ses vieux démons et ses anciens défauts, dont les « açabiyate », privilégier le bien commun sur l’intérêt individuel, mettre en place un Etat de droit, ne plus croire en l’homme providentiel, ne plus se laisser séduire ou rouler dans la farine par le discours émotionnel, démagogique et populiste d’un Djouha en costume-cravate ou en gandoura-savates. Il y en a tellement encore, sous mille et un aspects, dont les « twaychia » auxquels je viens de faire allusion et sur lesquels je pourrais facilement mettre des noms.

La révolution est un changement de sa vision du monde avant d’être un changement du décor extérieur, du régime politique ou des lois. C’est le premier qui conduit au second, et non l’inverse.

Le but de ce point de situation n’était pas de se demander où on en est depuis 3 mois, mais où en sommes-nous depuis 3000 ans.

Un point de situation entre notre passé tourmenté et notre avenir non encore assuré fait à un moment où nous devons trouver en nous-mêmes les ressources morales et intellectuelles pour effectuer les bons choix et faire en sorte que l’expression « le peuple et son armée » ne reste pas une parole en l’air, mais devienne une réalité institutionnelle.

Alors nous n’aurons plus d’«histoires» au pluriel, mais une Histoire au singulier.

Auteur
Nour-Eddine Boukrouh

 




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