Rêver en Algérie est un acte de révolte, contre les ordres, politiques et moraux dominants ! Et pour qu’ils se réalisent, ils ont besoin de liberté et chez nous, il n’y en a point ! Il faut se battre pour les exaucer, mais rêver de liberté, pour un peuple qui ne l’a jamais réellement vécu, est en soi une chimère. Une impossibilité ! À chacun sa conception, son idée.
L’un se sent libre dans une bière, l’autre, dans une prière. L’une veut être libre de disposer de son corps, l’autre veut l’enterrer vivante dans un linceul ! C’est la liberté du plus fort !
Là où les lois sont censées protéger les libertés fondamentales telles que celles de pensée, de culte, de conscience, d’expression (pour ne citer que celles-ci), la loi du Talion, l’œil inquisiteur des masses et des lois sacrées empêchent les rêves, même dans le lit !
Peut-on, alors, rêver au-delà de l’interdit et des conceptions mystiques, sans expérience de liberté ? Car, même inconscient, le rêve ne s’invente pas. C’est un agencement chaotique d’expériences permises. Les émanations d’un magma de vies, d’épreuves et de contraintes.
L’humain a rêvé de voler parce que les oiseaux volent, il a pris la mer parce que les poissons nagent, et puis, il a créé les dieux pour lui exaucer ses vœux ! Par intérêt au départ avant qu’il n’en devienne le prisonnier !
Ainsi, il a pu compter, un moment, sur quelque chose plutôt que sur rien, même si cela sortait du néant ! C’est presque normal de s’accrocher au ciel, c’est humain de lever les yeux et d’y chercher le salut ! Tous les rêveurs de ce monde ont d’abord regardé le ciel avant de comprendre qu’il était vide et qu’il fallait, non pas le saturer de prières, mais l’emplir d’idées. Tous ont été confrontés à l’ordre cannibale du clergé. À une meute de paroissiens aux privilèges infinis.
Que l’on se nomme Galilée ou Al-Hallaj, qu’on soit médecin ou mathématicien, le rêve peut tuer !
Le problème, c’est qu’en Algérie de 2025, de ce rien, on espère encore tout ! Les prières sont les mers dans lesquelles on pêche les espoirs de jeunesse et les paradis des morts. On jette l’ancre et le filet au milieu d’une vie en attendant que ça prenne, ici ou dans l’au-delà ! Vivre un peu et espérer beaucoup mourir. À quoi rêve l’Algérien sinon d’une mort rapide et pieuse pour gagner l’éternité et l’Eden ! Vite mourir et fuir ses mille vies pourries !
Peut-on leur en vouloir de s’accrocher à ce rien ? Sous d’autres cieux, les dieux ont déménagé pour laisser s’installer les pousses d’une vie décente où la pomme de terre et l’oignon ne sont pas des raisons d’État qui pimentent les discours du président.
C’est quasi impossible de songer au Vendée Globe, lorsque le rêve a des frontières et une géographie en barbelés ! Qu’espèrent les prisonniers, les affamés, les pauvres, les ignorants, les malades, les mourants, les célibataires, les femmes, les jeunes, les enfants ? Qu’est-ce qui les fait se lever chaque matin ? Quelle est leur raison de vivre ?
Pour rêver, il faut être rassasié du ventre et de l’esprit. Pour rêver d’autre chose que de viande, de mariage, de soins, d’argent, de voiture de moins de trois ans, de copine, il faudrait quitter les bas-fonds de la pyramide de Maslow ! Pour rire dans son sommeil il faut des matins enchantés ! Pour s’émerveiller aux étoiles il faut des cieux dégagés ! Pour cesser d’être Harraga, il faut des horizons ensoleillés et pas de sombres tranchées !
Peut-on donc empêcher les rêves ? Oui, si l’ignorance croise les interdits et que la vie n’offre que cauchemars ! On peut empêcher les gens de rêver parce qu’ils n’ont pas lu Jules Verne et qu’ils ont brûlé Le Petit Prince et les grands écrivains! On peut tuer les rêves parce que le peu qu’on rêve devient, comme le Hirak, une hallucination collective ou comme Octobre 88, un génocide à l’étuvée !
K.H.