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Pourquoi les Algériens s’entre-dévorent aujourd’hui ?

Chronique-Naufrage 

Pourquoi les Algériens s’entre-dévorent aujourd’hui ?

Ceci est une chronique, pas un rapport médical. À lire donc avec raisonnement pour éviter les généralisations et les amalgames. 

Dans la réalité  et notamment sur les réseaux sociaux, ce constat saute aux yeux en Algérie: tant d’Algériens, voire la majorité,  s’entre-dévorent aujourd’hui avec plaisir comme s’il s’agissait d’une passion. Dévorer dans le sens d’échanger les insultes, les médisances, la jalousie maladive, la rancune, la diffamation, et beaucoup  d’autres maux pathologiques.  Autrement dit, échanger de la haine. Ce constat touche les deux sexes, les différents âges et   les diverses catégories : analphabètes, instruits, intellectuels, écrivains, journalistes, universitaires…Le mythe de Caïn et Abel est-il algérien ? 

Voici des exemples clairs pour illustrer ce constat amer. Quand un Algérien publie un livre, peu de concitoyens le félicitent et la majorité d’eux déverse sa haine sur lui sans avoir lu l’ouvrage. «  N’importe quoi ! », « Ce n’est pas lui qui écrit ses livres ! », «tout le monde prétend être écrivain », «Ecrivaillon, plumitif ! » ; la liste des réactions agressives  est infinie.  

Quand un Algérien gagne par ses mérites un prestigieux prix national ou  international dans n’importe quel domaine (sciences, arts, athlétisme…),  peu d’Algériens  l’applaudissent, le reste de la population lui crache du venin au lieu d’en faire une fierté nationale. Exemples de réactions maladives :   «Il ne le mérite pas », «vendu de l’Occident », «harki moderne », «prix de la honte »… 

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À l’inverse : briser le concitoyen est un art chez cette catégorie d’Algériens. Les réactions violentes sont ainsi le symptôme apparent de ce complexe national de la haine. Cependant, de nombreux citoyens d’autres nationalités félicitent et encouragent amplement ces Algériens haïs par les leurs. Les exemples sont copieux. Sur les réseaux sociaux, des échantillons infinis en sont exposés illustrant cette passion de la haine ; car les réseaux sociaux en Algérie sont un miroir  qui dénude la société, la vérité étant travestie par l’hypocrisie et les faux-semblants dans la vie réelle. 

Voilà, on peut parler d’un cas clinique, d’un syndrome, pour qualifier ce cannibalisme national de la haine qui pousse des concitoyens à s’entre-dévorer. Il faut donc une démarche psychiatrique pour en comprendre les facteurs et  les mécanismes…

Ce complexe rappelle forcément les travaux de Fanon qui a exploré l’aliénation du colonisé qui génère le complexe d’infériorité et  la haine de soi…Cette citation du célèbre psychiatre illustre bien le constat analysé  dans ce texte à propos de l’Algérie moderne: « Cette agressivité sédimentée dans ses muscles, le colonisé va la manifester d’abord contre les siens. C’est la période où les nègres se bouffent entre eux… » (Les damnés de la terre, éd. La découverte/poche, 2002, p53). Ainsi, ces Algériens qui s’entre-dévorent aujourd’hui ont un point commun avec les colonisés d’autrefois. 

À l’époque des colonisations, bouffer son voisin-frère-semblable  était le fruit de l’aliénation coloniale qui déshumanisait le colonisé. Se bouffer les uns les autres et imiter le colon, s’y assimiler,  par haine de soi. 

D’où vient le complexe d’entre-dévoration aujourd’hui en Algérie ? D’abord, il y a le facteur de transmission intergénérationnelle. Autrement dit, le complexe du colonisé subsiste encore dans l’Algérie indépendante (historiquement). Comme l’a bien montré  Fanon : la grande décolonisation est celle de l’esprit. La catégorie d’Algériens colonisés « cérébralement » a transmis son complexe à la génération post-indépendante, et celle-ci l’a légué à la génération suivante…ainsi de suite jusqu’à voir aujourd’hui des Algériens s’entre-dévorer sans raison, juste par passion. Fanon a parlé de négrophobie des Noirs envers les Noirs ; on peut donc parler d’Algérophobie d’Algériens envers Algériens.  

Ensuite, il y a le facteur de l’humiliation. L’humiliation mène à la vengeance. Comment ? L’Algérien colonisé a subi l’humiliation de la France coloniale ; l’Algérien fraichement indépendant a subi celle du pouvoir militaire qui a spolié l’Independence ; l’Algérien des années 1990 a subi celle du terrorisme ; l’Algérien des années 2000 a subi celle de Bouteflika et son système corrompu ; l’Algérien actuel subit celle du pouvoir despotique.

À travers les siècles, le citoyen algérien a été un sujet passif, un réservoir d’humiliations: il subit trop, par injustice. Insultes, oppressions, mépris, abus de pouvoir, corruption… ; ce mot du dialecte est poignant et résume tout: hogra. Trop de hogras ! Tellement omniprésente à travers les générations, cette humiliation est devenue une norme. 

L’Algérien incapable de fustiger l’humiliation et la combattre, finit par   l’intérioriser dans le conscient et l’inconscient. Puisqu’elle l’étouffe, il la venge sur les siens. Cette vengeance se manifeste à travers le complexe de l’entre-dévoration ; à la moindre occasion, cette catégorie d’Algériens crache sa haine.  Et cela devient machinal, tant que c’est ancré dans le psychisme.

Exemple : les enfants battus par leurs parents se querellent entre eux, se dévorent, puisqu’ils sont incapables de réprimer l’abaissement parental. Bref, l’humiliation donne la haine de soi qui donne la haine de l’Autre. Ceux qui se bouffent, rêvent par sentiment d’infériorité  d’être à la place de celui qui les humilie. S’y assimiler. 

Enfin, il y  a un facteur complémentaire : l’étouffement existentiel. Le contraire de la jouissance.  La majorité des Algériens étouffe, souffrant d’un malaise intérieur profond à cause de l’absence des sources de l’air : les interdits, l’absence de cinéma et de théâtre, la  radicalisation islamique galopante, l’obscurantisme, le refus des visas, l’absence des centres de loisirs…tout cela transforme le pays en cimenterie, en cage asphyxiante. L’ennui de la vie supplante le désir de vivre. Une non-vie. 

Lors de la visite de Macron à Alger en 2017, un jeune Algérien crie deux fois dans la foule : «On étouuuuffe ! ». Macron lui répond avec humour : «Vous avez qu’à vous desserrer ». Ainsi, l’étouffement qui n’est pas libéré se transforme en agressivité-violence-haine. Personne ne nie que l’agressivité verbale est un sport national dans le pays.  Le citoyen chope le complexe d’entre-dévoration, dévore les siens.  

S’entre-dévorer est un complexe local en Algérie. Car les  sujets atteints de ce cannibalisme sacralisent  l’étranger même s’il est banal ou produit de la banalité. On peut parler donc de sentiment  d’infériorité comme symptôme. D’où cet adage devenu aussi célèbre qu’un verset : « Khobz eddar yaklou el-berrani » (c’est l’étranger qui mange le pain de la maison).

Tout ce qui est occidental, surtout français,  est sacralisé en Algérie (livres, aliments, vêtements, personnalités…). Un banal article de cinq lignes publié par un journal occidental, aurait des millions de réactions positives en Algérie et  son auteur serait applaudi. Les commentaires seraient plus élogieux que la poésie : « Quel beau texte ! » , « C’est magnifique !», « A lire absolument ! »…Par contre, si un journal algérien publiait un article fort de trois pages, il passerait inaperçu, et son auteur récolterait essentiellement de la haine ; « C’est nul », « N’importe quoi »….Même chose pour les autres domaines. 

Parmi les remèdes plausibles à ce complexe de haine : libérer l’humiliation, la haine, et l’étouffement refoulés en soi. Une déconstruction du complexe. Celui-ci est absent chez ceux qui libèrent leur for intérieur par divers moyens : l’art, le voyage, le cri…Là, il faut souligner la valeur philosophique du Hirak (mouvement populaire, révolution) qui a amplement  apaisé l’âme de l’Algérien.  Car l’humiliation exercée par le pouvoir deviendra chez le citoyen un traumatisme si elle est  intériorisée, un apaisement si elle est  contestée. 

Ainsi, s’entre-dévorer  paraît un fait humoristique ou absurde mais il est devenu un syndrome qui devrait être élucidé pour le bien de l’Algérien et de l’Algérie parce que, bien qu’il soit une construction, ce cannibalisme de la haine contamine et se lègue. Chers psychiatres, la balle est dans votre camp. Cher Fanon, au secours ! 
 

Auteur
Tawfiq Belfadel, écrivain-chroniqueur 

 




1 COMMENTAIRE

  1. La colère est considérée comme une émotion secondaire. Cela peut être lié à une blessure physique ou mentale, à un manque de quelque chose ou à de la frustration. Il peut se manifester physiquement ou mentalement, mais certaines personnes sont capables de le dissimuler.

    Il existe différents degrés de colère : une personne peut éprouver n’importe quoi, allant d’un léger agacement à un excès de rage.

    Selon Planète Santé, il existe trois types de colère :

    Comportement défensif qui survient suite à une agression
    Comportement agressif prémédité
    Colère impulsive, impossible à contrôler, qui se traduit par des actions agressives

    Nous sommes une espèce compétitive et nous faisons tous un certain nombre de comparaisons. Peut-être que nos parents nous ont encouragés à nous mesurer aux autres ou à nos propres performances antérieures : « Votre frère était le joueur vedette », « J’ai obtenu des A quand j’avais ton âge », « Tu étais le premier enfant de ton groupe de jeu à marcher seul ».

    Tout au long de notre vie, nous sommes confrontés à des attentes au sein de notre famille et de notre culture. Les rôles de genre, l’éducation, la carrière et la sécurité financière se profilent tous au-dessus de nous : combien allons-nous accomplir, dans combien de temps, dans quelle mesure ? Ferons-nous aussi bien que nos parents ? nos frères et sœurs ? nos amis? Ferons-nous mieux ?

    Sans surprise, tout le monde a des sentiments d’infériorité occasionnels, même les plus compétents et les plus intelligents d’entre nous. Nous pourrions avoir l’impression que tout le monde est plus intelligent, plus beau ou plus riche que nous ne le sommes ou ne le serons jamais.

    Nous pouvons ressentir la douleur des déceptions et des punitions de nos parents jusqu’à l’âge adulte. Mais si nous nourrissons de profonds sentiments d’infériorité et que nous sentons continuellement que nous ne pouvons pas être à la hauteur, nous risquons d’être en colère à ce sujet. Nous méritons mieux. Nous sommes aussi bons que la personne suivante. Nous essayons aussi fort que possible et nous prenons toujours du retard. Nous en voulons à ceux qui semblent « avoir la vie facile ».

    La colère suscitée par des sentiments d’infériorité est une force dangereuse. Nous sentons que nous devons prouver que nous sommes meilleurs, pour vraiment montrer à ceux qui nous questionnent ou doutent de nous. Et parfois, la seule façon de faire valoir notre point est avec la force : physique, émotionnelle ou psychologique.

    Pour nous libérer du pouvoir destructeur d’une telle colère, nous devons d’abord considérer la source et les raisons de notre faible estime de soi. Alors que nous commençons à reconnaître les nombreuses façons dont notre sentiment d’infériorité a été renforcé et que nous commençons à apprendre des moyens de renforcer notre estime de soi, nous pouvons sentir la colère fondre.

    Lorsque nous gérons notre colère, nous sauvons nos relations, nos emplois, notre santé et même nos vies

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