6 décembre 2024
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Préparer l’alternance historique (IV)

Initiative citoyenne de Noureddine Boukrouh

Préparer l’alternance historique (IV)

1) La révolution citoyenne est plus que jamais la solution

La décision de faire du premier jour de l’an berbère une journée chômée et payée n’est pas un cadeau fait par le président Abdelaziz Bouteflika au peuple algérien : lui n’y a jamais cru, et le peuple algérien ne l’a jamais réclamé. Elle émane d’un homme qui, soucieux des conséquences d’un regain de tension sur le cinquième mandat auquel il se prépare, a trouvé dans cette initiative le moyen de contrer ce risque tout en le faisant passer pour un geste magnanime envers la question amazighe en général et la Kabylie en particulier.

En réalité, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une victoire de la cause amazighe portée principalement par la Kabylie. Dans cette région, une conscience citoyenne s’est formée au fil du temps et des épreuves, pendant que les autres wilayas se caractérisaient par une passivité masquée par des faits divers ou des émeutes liées à des revendications n’ayant rien à voir avec la conscience citoyenne, mais seulement avec l’intérêt corporatif. Les récents évènements laissent cependant entrevoir une évolution.

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Cette décision à laquelle a été acculé le pouvoir est la preuve qu’une mobilisation citoyenne, même portée par une minorité, peut déboucher sur la réalisation de grands idéaux comme la libération d’une occupation coloniale hier et un repositionnement identitaire de nos jours.

Aujourd’hui, la généralité des Algériens adhère à l’idée d’être des Amazighs, de posséder une langue originelle dont ils vont progressivement retrouver l’usage, et un calendrier spécifique qui affiche l’an 2968 correspondant à l’an 2018 du calendrier universel et 1438 du calendrier musulman.

Quatre wilayas sur quarante-huit ont arraché au pouvoir la reconnaissance officielle de la dimension amazighe, puis la prise en charge par l’Etat de l’enseignement de tamazight, puis la constitutionnalisation de la reconnaissance de tamazight comme langue nationale et officielle, et enfin la reconnaissance officielle du calendrier berbère.

Il ne faut cependant pas que les astuces employées par le pouvoir pour se maintenir triomphent de la naïveté inhérente aux mouvements citoyens. En l’occurrence, il peut avoir cédé aux défenseurs de l’amazighité leur passé en échange de leur présent et de leur avenir, pris la réalité et leur avoir donné illusions et célébrations orgueilleuses.  

2) Alternance historique et amazighité

Avant d’être une revendication politique, l’alternance historique est d’abord une nécessité appartenant à l’ordre naturel des choses. Il s’agit de passer à une nouvelle période de l’histoire de l’Algérie en tirant les leçons de la première période (1962-2018) où les dirigeants, appartenant à une même génération, ont assumé le pouvoir sans y être préparés, sans en avoir les aptitudes, avec un esprit patrimonial et pour certains, comme actuellement, en n’hésitant pas à institutionnaliser la fraude électorale, le régionalisme, le clanisme et la corruption pour le garder.

L’alternance historique dont il est question dépasse la notion d’alternative politique, et va au-delà d’un banal renouvellement générationnel. Elle vise à assurer à l’Algérie les conditions de sa perpétuation dans l’Histoire comme nation viable et Etat moderne, et doit pour cela se traduire en changement de paradigme, de mode de pensée, d’action, de projet de société  et de gouvernance.

La condition sine qua non à la réalisation de l’alternance historique est l’unité nationale. Or la question amazighe a longtemps été instrumentalisée par le colonialisme, puis le pouvoir, puis des partis politiques qui la destinaient à un degré ou un autre à être une ligne de fracture entre l’épicentre de la cause amazighe et le reste du pays.

Le débat sur l’identité algérienne s’est ouvert au sein du mouvement national bien avant l’engagement de la lutte de libération, mais il a été étouffé dans l’œuf et les partisans de la prise en compte de la dimension berbère dans la définition de la personnalité algérienne sanctionnés. Après l’indépendance, le problème s’est de nouveau posé et le sujet tout de suite présenté comme une menace contre l’unité nationale et la sûreté de l’Etat.

Le pouvoir n’a jamais traité dans le fond, sincèrement et sérieusement cette problématique mais seulement en surface, à reculons, en se résignant aux concessions qui lui ont été arrachées. Il s’est intéressé à elle après octobre 1988 dans un but utilitaire : en faire une « açabiya » à opposer à la « açabiya » islamiste. Une fois le danger passé et le terrorisme vaincu, il a  inversé les rôles.

Le fait nouveau dans l’histoire de la cause amazighe est qu’elle a réussi à échapper au sort auquel voulaient la vouer le colonialisme, le pouvoir et la tentation séparatiste. Elle s’est libérée des manipulations politiques en se transformant en esprit citoyen visant l’intérêt de toute l’Algérie et de tous les Algériens. Le pouvoir ne peut plus envisager l’emploi de la force pour l’enrayer, et l’idéologie indépendantiste est de moins en moins crédible.

Il y a deux ans, le 4 janvier 2016, j’ai signé un article ayant pour titre « Et si toute l’Algérie avait été la Kabylie ? ». Il faisait écho à un article que j’avais publié en avril 1981 – en rapport avec la revendication berbère – sous le titre de « Origines et vocation de l’Algérien ». Les deux textes, à près de quarante ans de distance, traduisent la continuité d’une même pensée sur l’histoire et le devenir de  notre nation.

La question des origines ayant été tranchée, il reste à trancher celle de notre vocation. Etant désormais d’accord sur qui nous sommes nominalement, il nous reste à nous entendre sur ce que nous devons faire pour être effectivement des « hommes libres », des Amazighs, car nous ne le sommes pas puisque nous vivons sous un despotisme de nature crapuleuse.

Si le « printemps arabe » n’a produit aucun effet sur l’Algérie, le « printemps amazigh » s’affirme objectivement comme le chemin par lequel pourrait venir le changement salutaire. A deux conditions :

– Que la cause amazighe soit définitivement désenclavée, qu’elle ne se limite plus à la revendication de l’enseignement de tamazight, et qu’une solution soit trouvée au problème de sa graphie.

– Que les valeurs culturelles et politiques qui fondent l’amazighité soient converties en un projet de société consensuel. En même temps que tamazight, il faudra exhumer ces valeurs et les revitaliser en vue d’en faire les référents et les bases d’un modèle de vie politique et social viable.

3) Comment réaliser l’alternance historique

Les Algériens rêvent sous diverses dénominations de la mise en place d’un Etat de droit authentique depuis 1962, depuis la Régence d’Alger, depuis Jugurtha, depuis leur apparition sur la terre… Le connaîtront-ils un jour ? C’est à ce défi qu’ils vont être confrontés en cette nouvelle année quel que soit le calendrier choisi.

Le temps qui nous sépare de la date butoir d’avril 2019 est suffisant pour préparer cette alternance qui ouvrira une nouvelle ère devant notre pays ou le condamnera à revivre le sort de la Régence d’Alger d’hier ou celui, demain, d’une république pétrolière qui aura vécu une soixantaine d’années.

Au seuil de la nouvelle année universelle et amazighe, il importe de rappeler aux Algériens et Algériennes de l’intérieur et de l’extérieur qu’ils vont s’engager dans une année au terme de laquelle ils devront faire un choix entre un cinquième mandat aux conséquences funestes assurées sur le plan moral, politique et économique, et un nouvel horizon avec toutes les espérances qu’autorise une alternance historique.

Il en découlera soit un nouveau départ, soit la résignation à un colonialisme autochtone issue de l’alliance qui s’est formée ces dernières années entre un despotisme crapuleux et une oligarchie enrichie par le clientélisme, les marchés publics, la surfacturation en devises, la corruption et l’économie informelle.

La dernière visite du chef de l’Etat français a montré au monde le paradoxe d’un vieux pays dirigé par un jeune homme, et d’un jeune pays dirigé par un vieil homme agrippé au pouvoir en dépit de tout bon sens et de toute décence. Le premier parlait à la jeunesse algérienne de l’avenir, le second du passé colonial. Cela aurait eu quelque sens si, par son obstination à s’accrocher au pouvoir, il ne fragilisait gravement le pays, le prédisposant à une forme ou une autre d’asservissement lorsqu’il n’y aura plus de pétrole et que la monnaie nationale sera devenue du simple papier frappé par l’Etat.

Quelle différence y a-t-il dans la réalité entre être une possession coloniale et la propriété d’un clan soucieux des seuls intérêts de ses membres, car c’est ce qu’est devenue l’Algérie : la possession d’un clan, un sultanat, une vache à traire par des bandes organisées autour du pouvoir.

Qui peut le plus, peut le moins, dit-on. Or il manque aux hommes et aux femmes qui ont réussi à modifier l’énoncé d’une équation identitaire réputée intouchable à mériter le sens du nom qu’ils portent, celui d’« hommes libres ». Autrement dit, ils doivent conquérir les libertés auxquelles ils ont droit en vertu de leur Constitution, se libérer d’un système mafieux qui a corrompu la nation et pille en cercle fermé les richesses nationales, se doter d’un Etat de droit, d’élections démocratiques et d’une justice indépendante qui sont devenus le lot de l’écrasante majorité des peuples contemporains.

4) Les acteurs de l’alternance

Ce doit être d’abord les nouvelles générations d’Algériens de l’intérieur et de l’extérieur toutes tendances politiques confondues, les élites intellectuelles et sociales, l’armée et les corps de sécurité. Ces derniers doivent rompre avec l’idée qu’ils sont au service du pouvoir comme l’étaient les Janissaires au temps des Deys et des Beys. Personne ne sera de trop dans cette bataille de destin qui passe par des actions collectives comme :

  • L’affirmation d’une volonté de changement se manifestant sous toutes formes d’expression pacifiques ;

  • La structuration de cette volonté dans un courant d’opinions formé des animateurs de la société civile et de la vie politique ;

  • La cristallisation de cette mobilisation autour du rejet du cinquième mandat comme menace sur l’avenir du pays et du refus d’une succession arrangée ;

  • L’élaboration d’une plateforme traduisant la volonté de changement en axes de travail, engagements et objectifs clairs ;

  • La mise au point des modalités de désignation d’une candidature commune aux forces de l’alternance, à l’élection présidentielle d’avril 2019.

Nous y reviendrons dans la prochaine séquence.

1er Yennayer 2968

 

Auteur
Noureddine Boukrouh

 




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