La dépêche de l’APS, l’agence officielle d’information, reproduit un communiqué de la présidence de la République ce jeudi 21 mars 2024. L’intitulé de la dépêche annonce : « Le président de la République décide la tenue d’une élection présidentielle anticipée le 7 septembre prochain ».
Le communiqué reproduit fait état d’une réunion « consacrée à l’examen des préparatifs de la prochaine élection présidentielle ». Après avoir donné les noms des participants à cette réunion suivis de leur fonction, le communiqué conclut : « Il a été décidé la tenue d’une élection présidentielle anticipée ». Ce qui suggère une décision collective ou une décision approuvée par les participants à la réunion.
Alors la question se pose : qui a pris la décision ?
Formellement, c’est bien sûr au président de la République qu’il faut accorder la paternité de la décision pour deux raisons évidentes. La première raison, c’est que ce collectif de responsables d’institutions nationales ne correspond à aucune structure (comité, conseil ou haut conseil) consultative ou délibérative prévue par la Constitution.
La deuxième raison, seul le président de la République dispose de pouvoirs étendus selon les dispositions de la Constitution de décembre 2020 et la loi organique relative au régime électoral (Ordonnance n° 21-01 du 10 mars 2021).
Une question s’ensuit : quelles sont les dispositions constitutionnelles ou législatives qui habilitent le président de la République à décider d’une élection présidentielle anticipée ?
Le communiqué est muet sur cette question. Il est de rigueur d’invoquer les articles de la constitution et des lois qui fondent toute décision du président de la République. Ce qui est une exigence juridique et démocratique ; juridique pour le devoir de respect du Droit ; démocratique pour le devoir d’information des citoyens.
Il faut rappeler que le président de la République n’a proclamé aucune des situations qui lui accordent des pouvoirs spéciaux : états de guerre, d’exception, d’urgence ou de siège. Il faut donc rapporter la décision d’anticiper la tenue de l’élection présidentielle à un contexte non exceptionnel. La loi électorale donne une indication de la conduite à tenir dans une telle situation. L’article 245 de la loi électorale n°21-01 du 10 mars 2021 dispose : « Les élections présidentielles ont lieu dans les trente (30) jours qui précèdent l’expiration du mandat du Président de la République ».
Le président Tebboune a prêté serment le 19 décembre 2019. Son mandat expire le 18 décembre 2024. L’élection présidentielle devait se tenir entre le 20 octobre et le 19 novembre 2024 (à un jour près). L’anticipation porte donc sur 45 jours environ. Si ces calculs sont confirmés, la faible amplitude de cette anticipation ne suggère pas la gravité.
Cela s’assimile difficilement à une manœuvre électorale visant à favoriser un candidat. Ce serait d’une grande maladresse. Les spéculations ne manquent pas qui attribuent les raisons de l’anticipation de l’élection présidentielle à un emploi du temps présidentiel ou à une éventuelle manifestation internationale.
En l’absence d’informations suffisantes sur les motivations réelles de l’anticipation, une question essentielle s’impose : Quel est l’évènement prioritaire dans une situation non exceptionnelle ? L’élection présidentielle ou des manifestations circonstancielles ?
La composition de la réunion dont fait état le communiqué de la présidence de la République suggère également un rapprochement avec des dispositions constitutionnelles. En effet, dans les situations d’exception, la Constitution prévoit dans le processus décisionnel que « le Haut Conseil de Sécurité (soit) entendu », que « le Président du Conseil de la Nation, le Président de l’Assemblée Populaire Nationale et le Président de la Cour constitutionnelle (soient) consultés ». Le protocole habituel veut, eu égard à leur statut qui exclut des relations hiérarchiques, que ces personnalités politiques soient reçues individuellement par le président de la République. Le chef d’état-major de l’ANP n’est pas un représentant du Haut Conseil de Sécurité.
La constitution prévoit une consultation collégiale du Haut Conseil de Sécurité qui comprend d’autres responsables militaires et des services de sécurité. La présence du ministre de l’intérieur et du chef de cabinet du président de la République qui relèvent de l’Exécutif et l’ordre du jour « consacré à l’examen des préparatifs de la prochaine élection présidentielle » ne sont pas de nature à impliquer les responsables des institutions de la démocratie représentative et le président de la Cour constitutionnelle. L’état de préparation de l’élection présidentielle relève de la responsabilité de l’exécutif. Ce qui amène à s’interroger sur la conformité de l’organisation de cette réunion avec l’esprit et la lettre de la Constitution.
En matière de Droit, la forme, les procédures, ne sont pas secondaires. La forme garantit l’égalité devant la loi. La citation du juriste prussien Rudolf von Ihering (1818 -1892) est bien connue des juristes : « ennemie jurée de l’arbitraire, la forme est la sœur jumelle de la liberté ». Cette citation établit avec beaucoup de justesse le lien entre le respect de la procédure et la liberté des citoyens.
Les recours des justiciables devant la Cour de cassation pour des vices de forme ou vices de procédure constituent des exemples significatifs du rôle de la forme dans la défense du droit. La tradition du parti unique qui s’inscrit en contradiction avec la séparation des pouvoirs a permis jusqu’à présent aux présidents de la République de prendre des libertés par rapport à la Constitution.
Un exemple est donné dans « Grâce présidentielle particulière et amnistie politique générale ». « Le défunt président de la République Abdelaziz Bouteflika avait même eu recours en janvier 2000 à une « grâce amnistiante » par la signature d’un décret présidentiel. Cette initiative réalisait la prouesse de fusionner en sa personne les prérogatives constitutionnelles distinctes du président de la République et de l’Assemblée nationale populaire (APN). Certains juristes n’avaient pas manqué alors de relever l’illégalité du procédé et son caractère non constitutionnel ». Si nous considérons que l’Algérie est sortie du système à parti unique, n’est-il pas temps pour les institutions de l’État et la présidence de la République d’adapter leur relation à la Constitution ?
Historiquement, les constitutions nationales sont venues limiter les pouvoirs du souverain. Les pays européens sont progressivement passés de la monarchie absolue, la monarchie de droit divin, à la monarchie constitutionnelle. Le pouvoir du monarque s’est trouvé réduit au profit de la représentation démocratique. La Constitution des pays démocratiques traite en priorité de l’organisation des pouvoirs, de leur séparation, et des droits des citoyens. Elle est avant tout contraignante pour le pouvoir exécutif. Il est temps que l’Algérie s’inscrive dans cette conception de la Constitution.
Addendum
Saïd Aït Ali Slimane
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