6 mai 2024
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Proposition de sortie de crise

DEBAT

Proposition de sortie de crise

Nous publions ce texte de propositions qui se veut une contribution au processus de construction d’un cadre institutionnel démocratique dans le pays.

1. Contexte :

Le peuple algérien se mobilise à la recherche d’un processus de transition démocratique, le moins coûteux et le plus rassurant pour tous (selmiya et dialogue conditionné). Signe d’une maturité prometteuse et d’une prise de conscience collective, le peuple exige l’exercice de ses attributs constitutionnels.

La réponse du pouvoir, au demeurant, invariable, est jugée par les manifestants comme une manœuvre inappropriée ou insuffisante voire même provocatrice. Cet échange bihebdomadaire entre les protagonistes s’apparente à un bras-de-fer entre le mouvement populaire qui revendique ses droits légitimes et le pouvoir qui campe derrière un ordre constitutionnel décrié par le peuple.

Face à la détermination du pouvoir à maintenir le cap d’une élection présidentielle dans les délais les plus courts, le mouvement populaire, abusé dans ses voix, par les pratiques électorales antérieures, rejette définitivement toute démarche conduite par les mêmes personnes responsables des fraudes électorales généralisées pour faire du choix populaire un plébiscite du candidat du pouvoir. Cette situation qui perdure, affecte sérieusement aussi bien l’espoir suscité par l’institution militaire, à travers les allocutions du vice-ministre de la Défense, que les sphères économiques et sécuritaires.

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Ce face à face, Mouvement populaire – Pouvoir, porte en lui les germes d’une radicalisation et préfigure d’une dégradation dans les semaines à venir. Un défi pour lequel l’expérience vécue par les printemps arabes devrait être convoquée.

2. Les enjeux :

Chaque manifestation exprime l’exaspération du mouvement populaire, le rejet, avec insistance, du gouvernement ‘’bouteflikien’’ et révèle l’apparition de groupes aux objectifs douteux qui, à terme pourraient radicaliser le Hirak ou le faire imploser. Dans ce contexte de défiance, il devient urgent de tenir compte des enjeux sécuritaires, politiques et économiques auxquels est confrontée la Nation et dont le traitement requiert, en effet, des consensus.

  • Les enjeux politiques :

Au plan politique, l’espoir né de la dynamique populaire pour une refondation nationale autour d’une gouvernance ouverte et responsable qui garantit les libertés, les droits et l’expression libre des choix de ses dirigeants, doit être sauvegardé par le biais d’un compromis assumé, réaliste et donc responsable. Les 57 ans de gestion par un système de gouvernance instauré dès l’indépendance et décrié d’abord par ceux-là même qui furent à l’origine de la naissance de l’Etat algérien (national), et par le peuple ensuite, interpellent les tenants du pouvoir.

Les échecs sur les plans de l’économie, de l’éducation, de la santé publique, le chômage, la fuite des cadres, la corruption généralisée et autres comportements outrageants, devraient convaincre de la nécessité de réformes souples qui projetteraient le pays dans le système politique tant attendu, en harmonie avec les promesses de la Révolution autant libératrice qu’émancipatrice et répondant aux ambitions des nouvelles générations. Ces dernières montrent, à travers leurs appels hebdomadaires, une prise de conscience prometteuse qui mérite d’être entretenue.

  • Les enjeux sécuritaires :

Le débat entre le peuple et l’institution militaire est troublé par d’autres clans, dont les ambitions basses ne consistent qu’à maintenir leurs privilèges jusqu’à l’effondrement de ce qui reste du pays. L’infiltration du Hirak par les spécialistes des basses besognes et autres cellules dormantes, les fake-news, les provocations entretenues par l’argent sale… sont mis à contribution pour dévier tout effort populaire au redressement du pays. Si hier, la stabilité sociale a été entretenue par les moyens financiers de l’Etat, aujourd’hui ces moyens dilapidés ne suffisent plus.

Le face-à-face, pouvoir – mouvement populaire ne laisse pas indifférentes les puissances étrangères dont l’ingérence dans les conflits de pays frères a conduit au chaos. L’instabilité à nos frontières mobilise une partie de nos forces armées. Les flux d’armes et de terroristes étrangers en Libye exacerbent les tensions régionales. Aussi une réponse adéquate aux revendications du hirak ne manquerait pas de neutraliser les esprits malveillants.

  • Les enjeux économiques :

La situation économique était déjà dégradée avant l’avènement du Mouvement Populaire : une croissance économique trop faible pour absorber la demande d’emploi qui arrive chaque année et dont une part importante est constituée de diplômés de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle. La décision des dirigeants, consistant à imprimer des billets de banque pour financer les déficits, est une fausse solution à un vrai problème. L’inflation n’a pas encore suivi mais elle est attendue. Ces « bombes » sont installées et peuvent à tout moment nous exploser à la face. L’enjeu économique de la sortie de crise est donc de taille et quand la revendication deviendra socioéconomique, le face à face, évoqué plus haut, devient plus aigu, car il s’agira d’une question de survie pour plusieurs millions d’Algériens.

En effet, si la revendication politique donne l’espoir et donc de la patience, d’où son caractère pacifique, la revendication économique exige des réponses immédiates car elle tient à des besoins essentiels de la population.

3. Les acteurs en présence et leurs positions  

Bien que l’institution militaire se soit engagée à répondre à toutes les revendications du mouvement populaire, ce dernier et le pouvoir sont rentrés dans un face à face qui s’apparente à un dialogue de sourds.

La réponse du pouvoir au changement du système de gouvernance reste invariable : – changement dans le cadre de la Constitution avec rejet de toute transition ;  – l’ouverture d’un dialogue inclusif suivi d’une élection présidentielle.

L’institution militaire précise les formes : La voie « du dialogue sérieux, rationnel, constructif et clairvoyant, qui place l’Algérie au-dessus de toute considération […] Le dialogue sincère et objectif consistera en l’évaluation des circonstances que vit le pays et de concessions réciproques pour le bien du pays… ainsi que l’examen approfondi des tenants et aboutissants de cette crise multidimensionnelle…Les contours de ce dialogue se préciseront en fonction du sérieux et de la faisabilité des propositions qui seront faites ».

Le souci sécuritaire, clairement exposé, exprime les appréhensions de l’institution chargée de la protection du pays. Dans cette situation de doute et pour assurer la sérénité nécessaire au dialogue constructif, l’armée sollicite le soutien des élites nationales, moteur incontournable pour la mobilisation des citoyens : « Il est attendu des élites détermination et assistance à l’ANP dans l’accompagnement des fils de notre patrie, lorsqu’ils présenteront leurs propositions constructives comme le requiert le noble devoir national. » l’objectivité est requise dans les suggestions de sortie de crise.

4. Sortie de crise

Dans ce contexte de doutes et d’appréhension, la sagesse commande un processus de changement réaliste, une progression vers la nouvelle république à pas mesurés. Car les expériences de transition démocratique à travers le monde, montrent que celles-ci sont toujours complexes, fragiles et incertaines, et qu’elles s’inscrivent dans la durée. Tout changement brutal est porteur de risques. Le pragmatisme nous dicte la sobriété dans nos démarches pour la construction de notre nouvelle république. Le changement auquel nous aspirons tous, pour être salvateur, doit bénéficier des expériences des autres en accordant le temps nécessaire à la mutation des institutions et des mentalités afin d’éviter au pays l’irréparable, la démocratie est une culture.

Les propositions de solutions de sortie de crise exprimées  par certaines associations politiques ou de la société civile sont toutes adossées aux revendications du mouvement populaire et toutes expriment le désir de trouver des compromis pour s’assurer le maximum de conditions de succès dans le changement souhaité et attendu par la société. La mise hors d’état de nuire du système prédateur et humiliant est sans aucun doute un point de convergence de toutes ces propositions.

Les points de divergence sont dans les démarches préconisées, dont la question de la mise en place d’une période de transition est le point d’achoppement. La période de transition est une situation sui generis, c’est-à-dire qui n’obéit à aucun ordre institutionnel ni à une quelconque rationalité ; c’est pourquoi elle peut être source de dérapage et/ou une séquence de compromission sur le dos de la revendication populaire. De plus, une période de transition allonge le processus de sortie de crise. Cette dernière ne sera effective qu’une fois un président élu au suffrage universel direct dans une élection présidentielle organisée, supervisée et contrôlée par des instances indépendantes de toutes tutelles administratives ou politiques qu’elles qu’en  soient l’origine ou le statut.

Concessions réciproques 

L’offre de dialogue exprimée dans le dernier message du président de l’Etat est une opportunité pour sortir de ce face-à-face qui prend les formes d’un bras de fer. Quel que soit le dénouement, le pouvoir en assumera, lui seul, la responsabilité.

Depuis 17 semaines, les Algériens n’ont pas cessé de clamer leur rejet de la gouvernance politique en place et d’exprimer des revendications légitimes. En situation normale, les citoyens ont le droit d’exprimer leurs mécontentements à l’endroit des tenants du pouvoir en place ; le mouvement populaire, expression des citoyens, n’a pas vocation à leur trouver des solutions, celles-ci sont du ressort des instances et des institutions qui incarnent l’Etat. En situation de crise, comme c’est le cas présentement en Algérie, la solution doit être recherchée en commun, à travers un dialogue responsable du fait que les instances et les institutions du pouvoir, à leur tête la présidence de la république et le gouvernement, sont, elles-mêmes, remises en cause.

Le face à face est une source de défiance, alors que nous avons besoin, en ce moment crucial, de rétablir la confiance dans la société. Le dialogue n’est pas la négociation, mais c’est un préalable à cette dernière si elle devient nécessaire.

Le président de l’Etat en poste, constitutionnellement reconnu, peut être préservé afin d’assurer la continuité de l’Etat par l’exercice des fonctions de représentation autour des missions régaliennes (Diplomatie, Défense, service public …).  Etêter le pouvoir en situation de crise est un non-sens.

L’obstination à coller fermement à la lettre de la Constitution sera interprétée comme une velléité de reconduire le système en place rejeté par la population. Une telle perspective signifierait la non-reconnaissance par le pouvoir des revendications du mouvement populaire, et donc une fin de non-recevoir.

L’acceptation du dialogue et le maintien de l’actuel président de l’Etat constitueraient les concessions du mouvement populaire. A charge pour le pouvoir de déclarer sa volonté politique de changement du système de gouvernance.

Le sens des responsabilités, en cette période où tout peut basculer, commande au chef du gouvernement de céder la place à une personnalité acceptée par le peuple et à laquelle incomberait le choix de personnes crédibles pour assurer la gestion des affaires courantes dont on devine les difficultés qu’elle doit surmonter, les risques qu’elle doit prévoir et les incertitudes qu’elle devra gérer. Une personnalité nationale qui bénéficie de la confiance du mouvement populaire et du pouvoir, forte d’une expérience avérée, pourrait mener cette phase délicate et déterminante pour l’avenir du pays.

Accompagnée des compétences d’un ministre de l’Intérieur et un ministre de la Justice fiables, la commission indépendante d’organisation, de contrôle et de surveillance des élections pourra alors garantir l’émergence du président légitime. Une telle mesure qui peut être celle du compromis, si elle est consentie, ne manquerait certainement pas de rétablir la confiance entre les protagonistes et de regrouper le peuple autour du principe sacré de «Sécurité nationale».

Le compromis dans la démarche sera le facteur d’une réussite assurée. Le reste des réformes s’inscrira dans la mission du président démocratiquement élu. Investi de la confiance du peuple, il disposera des données objectives pour lui soumettre sa conception de la nature du pouvoir à adopter.

Pour qu’aucune tendance ne puisse s’approprier notre Algérie, notre Constitution future doit être un contrat social approuvé par le peuple, garantie par l’institution militaire, un conseil constitutionnel élu et par une justice indépendante.

M.C. Belmihoub (Dr.es-Sc. Eco) et M. Khalfaoui (Off. Sup./ANP à la retraite)

Auteur
M.C. Belmihoub et M. Khalfaoui

 




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