28 novembre 2024
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Quand dire c’est faire ou la performance de « Yatnahaw-Ga3 »

REPONSE A AHMED ROUADJIA

Quand dire c’est faire ou la performance de « Yatnahaw-Ga3 »

« Par le vide, le cœur de l’Homme peut devenir la règle ou le miroir de soi-même et du monde, car possédant le Vide et s’identifiant au vide originel, l’Homme se trouve à la source des images et des formes. Il saisit le rythme de l’Espace et du Temps ; il maîtrise la loi de la transformation. ». François Cheng

Je n’ai pas trouvé mieux pour illustrer ma réponse au professeur Rouadjia que de reprendre le titre d’un livre anglo-saxon pour informer les lecteurs de la gêne occasionnée par l’emploi du mot « inanité » lorsqu’il s’agit d’observer faute d’une analyse approfondie, la société algérienne en mouvement.

D’après Austin, les philosophes ont longtemps supposé qu’une affirmation ne pouvait que décrire un état de fait, et donc être vraie ou fausse ; autrement dit, qu’il n’y avait que des énoncés « constatifs ». Austin montre cependant que les énoncés qui sont en eux-mêmes l’acte qu’ils désignent n’entrent pas dans cette catégorie. Il les baptise « phrase performative » ou «énoncé performatif». Il explore par la suite, et avec beaucoup de soin, toutes les conséquences de cette découverte. Une énonciation est performative lorsqu’elle ne se borne pas à décrire un fait mais qu’elle « fait » elle-même quelque chose.

Cependant, par le passé, j’ai déjà essayé de comprendre les motivations du sociologue algérien lorsqu’il parle du travail de ses collègues. Le fait qu’il propose par le discours aux sociologues algériens de mieux encadrer la société est en soi, une habile entreprise plus au moins réussie de la sociologie.

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Toutefois, il oublie que l’interventionnisme sociologique venu d’outre-Atlantique est fortement influencé par le mercantilisme. Il n’est point nécessaire de revenir sur l’histoire de la sociologie pour définir le champ d’action des professionnels mais toujours est-il que je préfère de loin me joindre à tous ceux qui accompagnent par la réflexion les mouvements sociaux. Au point que le titre éloquent de l’article cité en référence me paraît dénué de fondement s’il ne prend pas en compte le détournement de la sociologie par le pouvoir politique. Il faut rappeler qu’avant la sinistre réforme de l’enseignement supérieur de 1974 qui a consacré la sociologie comme seule science sociale en Algérie, tout allait pour le mieux pour tous ceux qui résistaient au contrôle exclusif de l’université algérienne par l’Etat. Comme le professeur n’a pas jugé utile de revenir sur ces années macabres, il est fortement recommandé de lui rappeler que cet épisode malheureux a définitivement soumis la sociologie au pouvoir politique. Une orientation proprement scientifique de la sociologie algérienne a été perturbée par les allégations fallacieuses du nationalisme idéologique.

Hélas, l’entreprise de démolition de l’université algérienne continue et s’étend au champ linguistique comme si l’échec de l’arabisation n’a pas suffit à produire des locuteurs digglotiques. Diable ! Que peut faire un locuteur algérien en ajoutant du lexique anglais dans son répertoire de communication à un système linguistique désorienté par la diglossie. On rajoute des mots aux mots pour produire de plus en plus de schizophrénie linguistique qui chagrinent pas mal de spécialistes. Pourtant, les admirables travaux des sociolinguistiques algériens en témoignent par l’ampleur du désastre agglotique qui décidément n’épargne pas les Nord-Africains et plus spécialement les Algériens. Malheureusement, la décision du ministre de l’Enseignement supérieur s’inscrit dans cette logique déstructrice de la langue. De mon point de vue, il succombe facilement à l’impérialisme de l’oncle Sam et plus grave, il confond le domaine de la communication et celui de penser.

A titre d’illustration, la dernière publication dans la revue américaine « Nature » des préhistoriens algériens sur le site de Ain Hanech représente parfaitement la différence entre l’acte communicationnel ou médiatique et l’acte de penser. De bonne foi, la plupart de ces préhistoriens algériens réflechissent et pensent en français et cela ne les empêchent pourtant pas de communiquer lorsqu’il le faut en anglais.

Si la « sociologie sans sociologues » me laisse perplexe sur les perspectives de la sociologie en Algérie, l’usage du mot inanité pour caractériser un mouvement populaire d’une telle ampleur me laisse sans voix. Sans entrer dans l’aspect spéculatif, il ressort que le mot « GAE » recèle plus qu’un sens. Il regorge de significations à tel point que la prise de vue en direct de l’un des tous premiers jeunes manifestants par l’équipe de télévision anglaise a intensifié l’usage du mot Ga3. Finalement il est devenu le mot le plus repris par les manifestants algériens.

Le surcroît philologique ne fait que de propager le mot à tel point qu’il est devenu le nœud de l’exégèse linguistique et religieuse. Il faut rappeler que la réponse du jeune homme à la journaliste de Sky News a été immédiate dans un parler algérien qui dénote l’incompréhension de l’envoyée de Sky News qui pourtant insiste auprès de lui pour qu’il exprime en arabe standard comme s’il y avait un autre arabe parlé par les Algériens. Sa réponse a été fulgurante lorsqu’il lui dit : « qu’il n’y a pas en Algérie un autre arabe que celui que je parle ».

Je ne reviendrai pas sur les travaux des sociolinguistes algériens qui ont mis en relief la nécessite d’introduire dans le système éducatif algérien, la langue maternelle pour faciliter le travail pédagogique des enseignants et l’apprentissage des jeune enfants. Je n’ignore pas non plus, le problème de la diglossie comme réalité du trilinguisme et des postulats de la disparition de la langue amazighe. Mais toujours est-il que si je tiens à la réalité linguistique algérienne, il va de soi que le discours des élites est aux antipodes de la langue du peuple. Il ne me revient pas encore une fois de démontrer que le parler algérien et ses divers accents est une évidente production du contact des langues. J’ai déjà préconisé que les parlers maghrébins sont la conséquence de l’amazigholisation de l’arabe en tant qu’instrument de la diffusion de l’Islam en Afrique du Nord. A la croisée des chemins de la cristallisation nationale de l’Etat, la dominante de la langue arabe s’est imposée comme ultime sacralisation de la langue coranique.

Bref, les contours idéologiques du problème sont inhérents au nationalisme algérien et laissent en suspens la question linguistique. L‘actualité politique dévoile non seulement l’impéritie du système FLN mais elle expose au grand jour l’écart entre l’élite et le peuple. La relation la «Khassa » avec la «Ama » est une vieille affaire qui traverse tous les âges de l’histoire nord-africaine et elle est l’épicentre du défaut de la représentation de la population algérienne. Ainsi, il se montre par exemple que l’élite politique qui s’adresse aux gens via les médias est prise dans le tourbillon de la rhétorique sans aucune portée significative. Lorsque par exemple, le leader d’un parti dissous qui est certes constamment harcelé par les forces de sécurité algériennes, s’adresse aux téléspectateurs, il utilise des mots aux séquençages théologiques qui ne peuvent satisfaire que les partisans de sa cause et il oublie trop souvent de s’exprimer en « darija » ou le cas d’un journaliste qui pris dans une sorte de dyslexie, hésite à donner un sens à la phrase « habou Yakhad’ouna». En cherchant les mots dans l’arabe classique, on constate que le journaliste en question est pris dans une situation de langues confuse que les sociolinguistes algériens interprètent comme le «mépris de soi» ou la « honte de soi «. Les exemples ne manquent pas pour illustrer le défaut de l’éloquence lorsqu’on utilise un langage que la majorité de la population ne comprend pas ou peu. Hélas, ils sont nombreux ces Algériens qui se disent de l’opposition (hommes politiques, journalistes, militants des droits de l’homme, intellectuels grandiloquents, etc.) qui faute discernement linguistique ne font que reproduire les mêmes travers comme si le peuple souffre de sa propre langue.

Pour ce que est de l’actualité, je crois savoir que la complexité du jeu politique algérien et malgré toutes les tentatives du détournement du Hirak se dit toujours par l’ajustement des slogans des manifestants à la réalité du moment. Pour déjouer la manipulation du régime, les Algériens ne cessent d’inventer des mots pour désigner les faits et rien d’autre que les faits. Par exemple, lorsqu’ils emploient le mot « Hannou-cha », ils ne désignent pas un genre de vertébré mais la perfidie des gens du système.

Tout autant, la variation des mots est une richesse lexicale qui dénote l’inventivité linguistique des gens du peuple. Tout au contraire serait l’inanité qui selon le Larousse est un: » Caractère de ce qui est vide, sans contenu réel, ne présente aucun intérêt pour le cœur ou pour l’esprit : Inanité d’une conversation mondaine. » est en-deçà d’un mouvement révolutionnaire qui est toujours porté par un peuple enthousiaste qui sort tous les vendredis pour réclamer une vraie indépendance parce qu’à juste raison, les Algériens pensent que la révolution algérienne a été détournée.

L’évocation par les protestataires des martyrs de la révolution algérienne n’est pas seulement l’appropriation d’une histoire dénaturée mais c’est une surexposition sémiologique qui accentue de degré de conscience de la population envers l’imposture. Le fait de dire que l’ANP n’est pas l’ALN ou d’affirmer preuve à l’appui que presque tous ceux qui ont dirigé l’Algérie depuis l’indépendance sont des arrivistes de la dernière heure montre que les mots et les images constituent au propre l’emblème de la révolution pacifique. Tout au contraire de ce que suppose le sociologue algérien, Yathnahaw-Ga3″ d’ailleurs renforcé par l’itération « Goulna yathnahaw-Ga3 » en tant qu’acte de faire est l’unique signalétique de la mobilisation ininterrompue du Hirak qui de jour en jour accentue la pression sur le régime algérien. De plus, la situation du langage des nombreux slogans, porte en elle des propositions qui de fait selon l’enseignement de la philosophie analytique impacte le réel.

Preuves à l’appui, les acquis politiques sont considérables si l’on s’en tient à la nature du régime qui interdisait toute manifestation publique et bannissait toute personne qui osait critiquer le système. A plus forte raison,Yathnahaw-Ga3 dans sa traduction française (Ils dégagent tous) est le point de cristallisation de la souveraineté du peuple. Yathnahaw-Gae n’est pas seulement le cri de l’espoir. Il est l’élément le plus mobilisateur de la politique comme performance du discours parce que précisément, il rassemble les gens et les unit pour en faire la principale force de la société (civile) afin retrouvée.

Certes dans le jeu politique, on assiste ça et là, à des initiatives marginales de quelques individus qui s’autoproclament « représentants du Hirak » sans pour autant diminuer le potentiel la mobilisation de la population qui inlassablement réitère sa plus importante revendication c’est à dire l’application des articles 7 et 8 qui donnent la pleine et entière souveraineté au peuple. Autant dire que pour les autres slogans répertoriés par Ahmed Rouadjia, tous produisent du sens et en définitive, transforment le réel.

L’essentiel de la différence entre le performant et le décisif réside dans la victoire du peuple sur toute la Issaba. On n’en n’est pas loin.

 

Auteur
Fatah Hamitouche, ethnologue Paris

 




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