19 avril 2024
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Quand Gisèle Halimi parlait de l’affaire Djamila Boupacha

TEMOIGNAGE

Quand Gisèle Halimi parlait de l’affaire Djamila Boupacha

Gisèle Halimi est morte, elle a été l’avocate de Djamila Boupacha. Elle explique dans un entretien dont nous reprenons un extrait l’histoire de cette affaire.

Quand j’ai défendu Djamila Boupacha, cela faisait six ans que je défendais des militants du FLN. Avec d’autres avocats, mais nous n’étions pas très nombreux, nous avions instauré un véritable pont aérien entre Paris et l’Algérie, là où il y avait des tribunaux militaires, des tribunaux d’exception. C’était d’autant plus urgent de le faire que sans nous probablement, il n’y aurait pas eu de défense : tous les avocats algériens avaient été plus ou moins arrêtés, déportés, mis dans des camps. Je l’ai fait pendant huit ans de ma vie. J’étais seule, j’avais deux enfants de cinq ans et deux ans, et je n’avais pas les moyens de les faire garder.

Mais il y avait une urgence absolue, non seulement pour la cause mais pour ce qui s’y passait. Djamila Boupacha, c’était en 1960. Cela faisait six ans que l’on parlait des tortures. Djamila Boupacha était au secret, torturée et détenue depuis plus de cinq ou six semaines. Militante du FLN, elle avait 21 ans, elle était musulmane, très croyante, elle n’avait pas commis d’attentat mais était sur le point d’en commettre un. Elle allait déposer une bombe, mais elle ne l’a pas fait. Et donc elle a été arrêtée puis abominablement torturée par des parachutistes, jour et nuit. Elle a été violée avec une bouteille d’abord, elle qui était vierge et musulmane ; elle m’écrivait des lettres : « Je ne sers plus à rien, je suis à jeter… » J’ai pris l’avion pour aller la défendre. Son procès avait lieu le lendemain. On m’a donné une autorisation, car il fallait ça, pour y aller. Je suis arrivée à Alger et quand je l’ai vue, j’ai été absolument… enfin comme n’importe qui l’aurait été, bouleversée.
Elle avait encore les seins brûlés, pleins de trous de cigarettes, les liens, ici (elle montre ses poignets), tellement forts qu’il y avait des sillons noirs. Elle avait des côtes cassées…

Elle ne voulait rien dire, et puis elle a commencé à sangloter et à raconter un petit peu. Je suis rentrée à l’hôtel pour préparer le procès du lendemain et le soir même, la police est venue m’arrêter et m’expulser. Je n’ai donc pas pu plaider le procès. Djamila a refusé de parler. C’est en rentrant que j’ai déclenché un peu les choses, j’ai vu Simone de Beauvoir, on a créé un comité pour Djamila Boupacha qui a été le comité de défense le plus important pendant la guerre d’Algérie, Il comprenait Aragon, Sartre, Geneviève de Gaulle, Germaine Tillion qui a fait énormément pour Djamila (née en 1907, Germaine Tillion a été résistante, arrêtée et déportée à Ravensbrück.

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Elle a témoigné au procès de Nüremberg. Grande ethnographe, elle a beaucoup travaillé en Algérie). Mais il ne comptait pas que des personnes favorables à l’indépendance algérienne,. Il y avait par exemple Gabriel Marcel, le philosophe existentialiste chrétien, qui était plutôt pour l’Algérie française.
Au ministère de la justice, Simone Veil, une petite magistrate déléguée à l’époque, nous a aidés à la faire transférer car on voulait l’abattre, là-bas dans sa cellule, pour qu’elle ne parle pas. On l’a arrachée aux griffes de ses assassins probables, on a fait un grand procès contre les tortures et nous en sommes arrivés aussi loin qu’on pouvait arriver dans une affaire comme celle-ci pendant la guerre, car c’était encore la guerre. Elle a identifié ses bourreaux en les reconnaissant parmi d’autres militaires sur des photos.

Quand on a demandé leur nom, le ministre de la Défense, à l’époque M. Messmer a refusé de les donner en disant que ce serait mauvais pour le moral de l’Armée !
Par ailleurs, un mouvement international est né, avec des manifestations devant les ambassades de France à Washington, à Tokyo, partout, pour elle. Là-dessus, les accords d’Evian ont été signés, c’est-à-dire la fin de la guerre, avec une amnistie pour tous ceux qui, de près ou de loin, étaient poursuivis pour des événements en relation avec la guerre d’Algérie. Alors, la chose amusante, c’est que, bien entendu, Djamila a été amnistiée pour ce pourquoi on la poursuivait mais en même temps, moi, j’avais fait inculper le général Ailleret pour forfaiture et pour recel de malfaiteurs, et le ministre de la Défense, Messmer, puisqu’il refusait de nous donner les noms de ces soldats. Ils ont « bénéficié », si je puis dire, de la loi d’amnistie. L’instruction pénale a été close.

J’ai aussi écrit un livre. J’ai rendu public tout le dossier d’instruction, ce que je n’avais pas le droit de faire. Il y avait des lettres d’elle et de son père de soixante-dix ans, qu’on avait torturé et qui criait : « Vive la France ! Pourquoi vous me faites ça ? » Sa sœur, qui était enceinte, torturée, qui a fait une fausse couche ! Djamila Boupacha représente un peu symboliquement ce qui est important pour moi : la défense de l’intégrité physique et morale des individus, les droits de la personne humaine, la lutte contre la torture, la lutte contre la colonisation. Mais en plus, c’était une jeune fille vierge de vingt ans qui avait été violée abominablement. Elle était un peu devenue le symbole de la lutte contre la torture et de la lutte du peuple algérien. Mais pour moi, si vous voulez, d’avantage, elle était devenue ce pour quoi je m’étais engagée comme avocate depuis toujours.

Depuis, entre autres appels, j’en ai signé un qui s’appelle l’Appel des douze pour la reconnaissance de la torture en Algérie. Nous sommes donc douze avec notamment Germaine Tillion, Pierre Vidal-Naquet (historien). En Algérie, la torture était érigée, soutenue, motivée je dirais, par la raison d’Etat, car le personnel politique était plus que complice : c’était le donneur d’ordre. Le Parlement tout entier, à l’exception de quelques voix, avait voté les pouvoirs spéciaux en Algérie. Il n’y avait plus de règles : on arrêtait, on mettait en garde à vue, les gens disparaissaient avec l’approbation du pouvoir politique. Pour notre appel à la reconnaissance de ce crime d’Etat, le Premier ministre nous a déjà suivis puisqu’il l’a reconnu. Reste le président de la République auprès duquel nous allons incessamment d’ailleurs tenter une démarche.

Cette reconnaissance n’est pas du tout une vindicte, ni un désir de vengeance. Nous voulons la reconnaissance de ce qui s’est passé, ne serait-ce qu’au point de vue pédagogique pour les générations qui viennent, que l’on ne truque pas l’Histoire de France.

L’intégralité de l’entretien est à retrouver ici http://bf.8ethique.free.fr/8halimi.htm

Bibliographie non exhaustive
Djamila Boupacha (préface de Simone de Beauvoir), Gallimard, 1962.
Le lait de l’oranger, Gallimard, 1988.
La cause des femmes, Gallimard, Folio, 1992 (nouv. ed.).
La nouvelle cause des femmes, Seuil, 1997.
Fritna, Plon, 1999.

 

Auteur
L. M.

 




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