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dimanche 14 septembre 2025
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Quand la mémoire se lève dans la nuit : Kaouther Adimi et « La Joie ennemie »

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La rentrée littéraire 2025 a démarré fort : depuis le 20 août en France et le 28 août en Algérie, le nouveau livre de Kaouther Adimi, La Joie ennemie, est en librairie (éditions Stock et Barzakh). Le texte, déjà remarqué puisqu’il figure dans la première sélection du Prix Renaudot, catégorie essais, s’inscrit dans la collection Nuit des musées et révèle une écriture d’une intensité rare.

Kaouther Adimi y raconte une nuit passée à l’Institut du monde arabe, devant les œuvres de Baya, l’artiste algérienne célébrée pour sa lumière et ses couleurs. Mais très vite, le regard posé sur la peinture devient un prétexte pour plonger dans l’enfance de l’auteure, dans les années sombres de l’Algérie des années 1990.

Les images surgissent avec une précision bouleversante : une photo de famille prise à Annaba en août 1992, un sourire figé sur le sable, la mer en arrière-plan, et quelques jours plus tard, l’assassinat de Mohamed Boudiaf qui annonce la descente du pays dans la décennie noire.

Le livre fait dialoguer la mémoire intime et l’histoire collective. Adimi raconte son père, universitaire revenu en Algérie par devoir, exposé comme tant d’autres intellectuels devenus des cibles. Elle évoque les consignes strictes des parents : apprendre, exceller, parler arabe, être dignes de la mémoire des martyrs. Derrière ces choix, on devine la volonté de protéger les enfants dans un pays où la peur s’installe au quotidien.

L’écriture se fait précise, presque clinique, pour dire l’inquiétude de l’enfant grandissant dans un pays en guerre avec lui-même. Le lecteur traverse avec elle les couvre-feux, les attentats, les visages fermés des adultes qui n’expliquent pas toujours mais dont les regards suffisent à dire la gravité. Et pourtant, il y a aussi la persistance des instants de joie : une baignade, une peluche rouge aux yeux noirs, un rire partagé. Des détails qui deviennent, des années plus tard, des ancrages pour résister à l’oubli.

En choisissant Baya comme fil conducteur, Adimi met en avant une figure de lumière. L’art, ici, n’est pas seulement un refuge esthétique : il devient une manière de survivre, d’opposer la couleur et la création à la peur et au silence. La collection Nuit des musées, qui invite des écrivains à passer une nuit dans un musée pour en tirer un récit, prend une dimension particulière dans ce livre : ce n’est pas seulement l’art que l’auteure raconte, mais la manière dont il entre en résonance avec ses propres fantômes.

La Joie ennemie frappe par sa sobriété et sa justesse. Loin de tout pathos, Kaouther Adimi parvient à restituer ce mélange d’effroi et de beauté qui a marqué son enfance. Ses phrases brèves, tendues, donnent au texte un rythme haletant.

Ce qui pourrait n’être qu’un témoignage devient une véritable expérience littéraire : le lecteur est entraîné dans une traversée de la mémoire où chaque détail compte, où chaque souvenir dit quelque chose de plus grand que lui.

Née en 1986 à Alger, Kaouther Adimi s’est imposée comme une voix importante de la littérature francophone. Elle a déjà publié plusieurs romans, dont Nos richesses (prix Renaudot des lycéens 2017) et Au vent mauvais (prix du roman des étudiants France Culture–Télérama 2022). Avec La Joie ennemie, elle franchit une étape nouvelle : écrire sur l’Algérie des années noires, sur son enfance prise dans cette tragédie, et transformer cette matière douloureuse en littérature.

Il y a dans ce livre une dimension intime, mais aussi une portée collective. Beaucoup d’Algériens retrouveront dans ces pages des échos à leur propre mémoire : la peur, les absences, les cicatrices encore vives. Mais Adimi réussit aussi à toucher au-delà : elle dit ce que signifie grandir dans un monde où la joie est toujours menacée, où la beauté doit être arrachée au silence, où la mémoire reste une lutte permanente.

La Joie ennemie est un livre important de cette rentrée littéraire. Il impose Kaouther Adimi comme une autrice qui sait faire de l’intime un récit universel, et de la douleur une matière de résistance. C’est un texte qui donne envie de relire l’Algérie, de relire son histoire à travers le prisme des enfants qui l’ont traversée, et de comprendre combien la littérature peut encore transformer la mémoire en force vive.

Djamal Guettala Djamal 

Éditions : Stock (France) et Barzakh (Algérie)

Date de parution : 20 août 2025 en France, 28 août 2025 en Algérie

Sélection : Prix Renaudot 2025, catégorie essais (1ère liste)

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