Il était une fois un troupeau, simple et paisible, qui avançait sous la conduite d’un berger. Les moutons broutaient, suivaient leur chemin sans se poser de questions, croyant fermement que leur guide connaissait la route vers de verts pâturages. Mais quelque chose clochait.
Le berger, qui autrefois marchait d’un pas sûr, semblait désormais hésiter. Chaque jour, il s’arrêtait, scrutait l’horizon, incapable de choisir une direction. À gauche, l’abattoir menaçant. À droite, les pâturages promis, mais devenus de plus en plus lointains et incertains.
Le troupeau, habitué à suivre, avançait en cercle, dans une sorte de routine confuse. Certains moutons, les plus lucides, commencèrent à douter. « Où allons-nous ? » demandaient-ils. Mais la majorité restait docile, convaincue que le berger finirait par trouver la bonne voie. Après tout, n’était-il pas leur guide, celui en qui ils avaient toujours eu confiance ?
Pourtant, cette hésitation n’était pas anodine. Elle n’était pas le fruit d’un simple manque de savoir ou d’une faiblesse passagère. Le berger connaissait bien le chemin, mais il avait d’autres priorités. Son pouvoir reposait sur cette inaction, sur cette confusion qu’il entretenait soigneusement. L’indécision lui permettait de maintenir l’ordre, de préserver ses privilèges. Pourquoi choisir, quand l’hésitation elle-même pouvait lui garantir un contrôle total ?
Ainsi, le troupeau continuait d’avancer, de plus en plus perdu. Les pâturages promis restaient un rêve lointain, tandis que l’abattoir se rapprochait, invisible mais inéluctable. Les moutons broutaient ce qui restait, sans comprendre qu’ils étaient pris au piège. Leur confiance aveugle les maintenait dans un état de soumission tranquille.
Le berger, lui, restait au sommet de la colline, observant son troupeau s’égarer, jouant avec l’illusion du changement. Il parlait de réformes, de renouveau, mais ne faisait rien. Car dans cette hésitation, il se trouvait son pouvoir. Pendant ce temps, les moutons perdaient peu à peu la capacité de distinguer la vérité des promesses vides.
Et un jour viendrait où le troupeau se réveillerait, trop tard, face à l’abattoir qu’il n’avait pas vu venir. Alors, il se demandait : « Pourquoi avons-nous suivi sans jamais questionner ? » Mais à ce moment-là, il n’y aurait plus de chemin pour revenir en arrière.
Car dans cette histoire, le vrai danger n’était pas l’abattoir. C’était l’illusion du berger hésitant, qui avait su maintenir son troupeau en mouvement, sans jamais lui montrer la voie.
Le troupeau avançait, jour après jour, dans un brouillard d’incertitude. Certains moutons commencèrent à murmurer entre eux, à poser des questions à voix basse. « Et si nous changeons de chemin ? Et si nous trouvions un autre guide ? » Mais ces murmures se perdaient dans le vent, noyés par la routine, étouffés par la peur de l’inconnu. Après tout, suivez le berger était plus simple. Se rebeller exigeait du courage, et personne n’était certaine de ce qu’il trouverait de l’autre côté de la colline.
Le berger, quant à lui, savait parfaitement ce qu’il faisait. Il voyageait ces doutes, ces murmures, et les surveillait de près. Un mot d’encouragement par-ci, une promesse vague par-là, suffisait à calmer les esprits. Il connaît le pouvoir des illusions. Tant que les moutons croyaient qu’un pâturage les attendaient, ils continuaient à marcher. Tant qu’ils espéraient, même sans preuve, ils ne se rebelleraient pas.
Mais certains, plus lucides, comprenaient que le vrai danger n’était pas seulement l’hésitation du berger. C’était cette complaisance, cette habitude de suivre sans réfléchir. Ils voyaient que l’abattoir n’était pas un lieu lointain et inconnu. C’était l’aboutissement logique de cette route sans fin, de ces promesses jamais tenues. Ils tentaient de prévenir les autres, de leur ouvrir les yeux. Mais leur voix était faible, souvent noyée dans le bêlement du troupeau qui avançait, tête baissée.
Le berger, lui, continuait son jeu. Il parlait de changements à venir, de jours meilleurs. Mais rien ne changeait vraiment. Car, en réalité, il n’avait jamais eu l’intention de mener son troupeau vers les pâturages. Sa priorité n’était pas le bien-être des moutons, mais la préservation de son pouvoir. L’immobilisme était son arme, l’indécision sa stratégie. Pourquoi risquerait-il de tout bouleverser, alors que l’ordre actuel lui convenait si bien ?
Le troupeau continuait donc de marcher, prisonnier d’une routine sans fin. Chaque jour rappelé au précédent, chaque promesse s’évaporait avec le vent. Et pendant ce temps, les moutons les plus jeunes, ceux qui n’avaient jamais connu les véritables pâturages, commençaient à se demander si ces derniers n’étaient pas qu’un mythe. Peut-être que le berger avait raison, après tout. Peut-être que l’abattoir était leur seule destination possible.
Mais un jour viendra où la vérité éclatera. Où le troupeau, fatigué d’attendre, ouvrira les yeux sur la réalité de son parcours. Alors, il sera peut-être trop tard. Le berger ne sera plus là pour répondre de ses choix, et les moutons se retrouveront seuls face à l’abattoir qu’ils n’ont pas su éviter. Ils comprendront alors que le plus grand danger n’était pas l’ennemi extérieur, ni même la route difficile, mais cette confiance aveugle accordée à un guide qui n’avait jamais eu l’intention de les sauver.
Et ce jour-là, peut-être se poseront-ils enfin la question : « Pourquoi avons-nous marché si longtemps sans jamais lever la tête pour voir où nous allions ? » Mais dans un système où l’illusion remplace la vision, où l’indécision devient stratégique, il est bien difficile de reconnaître la vérité avant qu’il ne soit trop tard.
Le troupeau continue sa marche silencieuse, bercé par des promesses qui s’évaporent au fil du vent. Chaque hésitation du berger est un pas de plus vers l’abattoir, chaque jour passé dans l’inaction une occasion manquée de changer de destin. Mais dans ce jeu cynique, où l’illusion de direction masque une réalité de stagnation, le véritable danger ne vient pas seulement du berger, mais de la complaisance du troupeau.
Car la plus grande tragédie n’est pas de se perdre, mais de ne jamais chercher à comprendre où l’on va. Le troupeau avance, convaincu que le berger sait mieux, que le changement viendra de lui. Mais tant que cette illusion perdure, tant que l’on confond immobilisme et sécurité, le chemin vers les pâturages reste hors de portée.
Un jour, peut-être, les moutons lèveront la tête, questionneront la route, et réaliseront que la clé de leur liberté réside dans leur propre capacité à choisir. Mais d’ici là, le berger hésite encore, et l’abattoir se rapproche. Le temps est compté, et l’espoir, fragile comme une herbe rare, ne demande qu’à être ravivé avant qu’il ne soit trop tard.
La moralité de cette histoire est simple et poignante : un troupeau qui suit aveuglément un berger hésitant fini par se perdre dans les méandres de l’inaction. La véritable liberté ne vient pas de la promesse d’un guide, mais de la capacité à questionner la direction prise. Tant que le peuple se contente de suivre sans comprendre, l’illusion d’un choix reste plus dangereuse que l’absence totale de direction.
Le berger peut incarner l’autorité, mais la responsabilité de la route revient aussi au troupeau. Car rester passif face à l’indécision, c’est accepter l’abattoir comme destination finale.
l ne suffit pas d’attendre que le berger change de cap ou prenne enfin une décision audacieuse. Le troupeau doit réaliser que sa survie dépend de sa vigilance collective, de sa capacité à discerner les vrais pâturages des illusions. La passivité est le plus grand ennemi, car elle nourrit l’inaction du berger, qui, tant qu’il est suivi, n’a aucune raison de chang
Ainsi, la moralité ultime de cette chronique est un appel à la lucidité : un troupeau éveillé peut se libérer des chaînes de l’immobilisme, mais un troupeau endormi se condamne à l’abattoir, victime d’un destin qu’il aurait pu éviter . La vraie force ne réside pas dans la soumission, mais dans la volonté de tracer son propre chimique
Par Dr A. Boumezrag