Mercredi 1 mai 2019
Ramenez Saïd, le ventriloque !
Aujourd’hui, la justice algérienne- si justice il y a – ne sait plus où se fourrer la tête. Les dossiers, au poids substantiel aux affaires accumulées avec les années, tombent comme un ballon de baudruche sur les bureaux des juges.
Dans un pays, comme l’Algérie, au passé aussi lourd en affaires qu’en affairistes véreux, il suffit d’un réveil inopiné d’une divinité que l’on croyait morte, pour que le ballon se dégonfle et que le souffle qui l’a porté avec allégresse et amour, jusqu’aux confins de l’opulence, se rompt et se délite.
Dans des pays où l’État de droit prime sur les divinités et autres dogmes qui façonnent aussi bien l’imaginaire que l’invraisemblable des gens, la justice prime. C’est le socle institutionnel sans lequel aucun individu ne se sent protéger ni dans sa vie ni dans ses biens. Et dans les biens, il y a les richesses du pays qui reviennent de droit à toute la société, à tout individu qui, par son travail et son labeur, contribue à la richesse du pays.
Un pays aussi riche que l’Algérie se compte sur les doigts d’une main, comme d’ailleurs, les hommes qui détiennent ses richesses, se comptent en un tour de main. On commence à les connaître, mais pas tous, parce que souvent, un seul doigt cache la main qui fouille dans les caisses de l’État. Souvenez-vous de la sulfureuse affaire Sonatrach, il y en a eu tellement que l’on a commencé à les énumérer, de telle sorte que les feuilletons suivent une logique séquentielle. L’intrigue, suivie du suspense, dans les affaires de l’État Algérie, est une des meilleures mises en scène que l’on peut rarement voir, même dans un film hitchcockien. Mais, c’est grâce à la justice italienne que l’un de ces feuilletons s’est catapulté comme une missive bourdonnante par-dessus nos têtes éberluées.
Farid Bedjaoui, l’intermédiaire dans l’affaire Saipem-Sonatrach, écope de la prison, par contumace, suite à une enquête diligentée par la justice italienne. Rappelons que Bedjaoui, était l’ex-bras droit et l’homme de confiance de l’ex-ministre de l’Énergie, Chakib Khelil. La justice a démontré que les pots-de-vin ont servi à des achats immobiliers à New York et Paris. Les montants révélés par la presse italienne, suite aux résultats de la mise en examen de ses deux manias de la pétro-corruption, sont phénoménaux. On parle de presque trois milliards d’euros versés à Bedjaoui par l’entremise de Saipem et certaines de ses filiales pour le compte de la Pearl Partners Limited, basée à Hong Kong et propriété de Farid Bedjaoui.
Pour ce qui est de Chakib Khelil, la presse italienne révèle des versements qui lui ont été faits par l’entremise de proche collaborateur, à l’instar de l’ancien directeur de cabinet du PDG de Sonatrach, Reda Hemche qui a reçu 1,75 million de dollars dans un compte à Genève. Un autre proche, Omar Habour a bénéficié d’un versement de 34,3 millions de dollars dans son compte à la banque Audi Saradar port de Beyrouth.
Dans cette sulfureuse affaire, qui dépasse l’entendement, la justice italienne a dévoilé une des plus grosses affaires de corruption internationale, jamais encore traitée à ce jour.
S’en suivent, ensuite, les petites affaires portées à notre connaissance par les quelques voix ventriloques qui officient de derrière les rideaux de la maison mère, celle qu’on ne sait jamais si elle se trouve à Zeralda, à El Mouradia ou dans les panses obscures d’une chic villa à Ben Aknoun ou à Hydra. L’ex-ministre de l’Industrie Abdeslam Bouchouareb, suite aux révélations du patron du groupe automobile Elscom. Bouchouareb, avec les vieilles méthodes de racket d’argent, des méthodes de petit caïd mal famé qui, de sa planque de quartier, demande à à ses sbires de rançonner les plus anodins des passants. Le petit Caïd, en charge de l’industrie, a bien huilé la machine de la corruption au sein du ministère pour qu’il puisse, à ce point, concurrencer les riches Qataris, dans les plus beaux et chics quartiers de Paris.
Tout ce monde-là, aux poches repues de billets à l’odeur du pétrole et du gaz, rompus aux méthodes de grand banditisme d’État, bourlingue de pays en pays, sans qu’ils soient inquiétés. La mère patrie veille au grain, au bon sens des relations diplomatiques, qui veulent que les affaires priment sur les râleurs et les rameurs comme nous, qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts. La justice algérienne, celle qui s’applique aux plus pauvres et les plus dociles des opposants et des éclaireurs d’opinions, ne veut aller chercher par-dessus les strates sombres et inviolables de la corruption d’État.
L’orage risque d’être violent et fort et les dégâts, pour une fois, ne seront pas juste collatéraux, mais toucheront les vrais instigateurs de ce système mafieux qui ne repose pas, seulement, sur les individus qui l’incarnent, mais sur toute la hiérarchie qui le soutient.
Mais, dans ce ballet d’inculpations, de mises en examen et d’arrestations, il n’y a guère l’ombre d’une quelconque personnalité qui, du haut de la hiérarchie où elle se trouve, peut être inquiétée, et par la même, entraînée avec elle d’autres protagonistes du même acabit. Non, le système de corruption, en Algérie, a été bâti sur le principe du bienfaiteur bienfaisant, rien ne s’imbrique entre les deux, mais ils se rejoignent à des points centrifuges du vrai pouvoir obsolète qui les instruit.
Pour faire simple, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce ne sont pas les juges qui instruisent les affaires, diligentent des enquêtes et décident des sentences, mais tout le contraire : ce sont les affaires, qui font les juges et qui jugent, dans notre pays. D’aucuns du régime passé, y compris Benflis, qui a été, en partie, l’un de ses artisans avec Bouteflika, ne peuvent se targuer d’avoir agi à l’opposé des points centrifuges de la corruption. Ils n’ont pu accéder et n’accède au pouvoir que s’ils adhèrent au schéma préétabli de ce qu’est l’État et ses institutions : l’État avec un fonctionnement de type monarchique et ses institutions au fonctionnement de type oligarchique. Le tout, sous contrôle de l’institution militaire, le vrai juge qui fait et défait l’État et ses institutions.
Comme il n’y a pas de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire, puisque, depuis l’indépendance, nous vivons dans une dictature, il ne peut y avoir d’indépendance de la justice. Le pouvoir législatif est à la solde du pouvoir judiciaire, c’est même lui qui le fait et le défait, moyennant, Chkara. Bon nombre de députés, dont Baha Eddine Tliba, se sont illustrés en la matière. On comprend alors que nos institutions n’ont rien d’institutionnel que le rafiot dans lequel, chacun se donne du coude pour ne pas prendre de l’eau.
Le général-major Ahmed Gaïd Salah n’est pas des moindres de tout ce monde qu’abhorre la rue de plus en plus fort. Son immobilisme explique, en filigrane, le fait que ni Said ni les autres protagonistes proches des sphères décisionnelles du pouvoir ne soient interpellés ou du moins inquiétés. Pendant ce temps, Gaïd Salah, tergiverse, balbutie, lit d’une langue fourchue des déclarations de plus en plus ambivalentes, au grès des affaires qui tombent, des hommes qui se retournent ou d’autres qui se rangent du côté du plus fort.
Il est le premier à savoir qu’il n’y a point de justice dans le pays. Il est lui aussi dans les cercles centrifuges du pouvoir, qui ont pris pour acquis que le système Bouteflika est la manchette idéale pour continuer à faire des affaires. Il leur doit sa longévité au sein d’une institution qui comptait bien le mettre définitivement au placard, après la décennie noire. Alors aujourd’hui, il compte sur cette même justice aux ordres, pour se sortir, lui, et ceux qui accepteraient ses compromis, de cet imbroglio qui ne cesse de se complexifier.
Une vraie opération mains propres déconstruirait tout le château de cartes sur lequel a été monté le processus législatif, juridique et fonctionnel de la corruption. Une telle opération mettra en péril l’État absolu dans l’État obsolète, derrière lequel les vrais décideurs se pavanent en toute liberté.
Il leur faudra alors, en plus de la corruption qui délite les institutions de l’Etat, se pencher sur les dessous politiques et juridiques de toutes les affaires qui ont entaché l’histoire du pays : de l’assassinat de Boudiaf au brûlot de la réconciliation nationale, que Bouteflika a fomenté pour qu’il n’y ait jamais de justice sur cette foudroyante guerre civile qui a endeuillé le pays. Leur guerre, nos morts!!
Si Le général-major Gaid salah veut réellement remettre les règnes du pouvoir au peuple, qu’il ramène, Saïd, le ventriloque. Mais je doute fort que cela se produise. Si Saïd est le ventriloque, ceux qui l’ont fait, sont de talentueux illusionnistes.