Une femme, DRH dans une multinationale, évolue dans un univers masculin où compétence rime rarement avec reconnaissance. Les obstacles ne sont ni bruyants ni spectaculaires.
Ils prennent la forme de silences, de petites trahisons, de pressions informelles. Dans Rassa Morra, son premier roman publié aux éditions El Qobia, Ania Mezaguer donne à voir ce quotidien de résistance, à travers le personnage d’Aziyadé, femme intègre, cible d’un management agressif et mal préparé.
Ce n’est pas une fiction inventée de toutes pièces : le récit s’inspire du vécu de l’autrice, elle-même DRH dans plusieurs multinationales. Rassa Morra condense des années de tensions, d’injustices, d’observations – les siennes, et celles de nombreuses femmes africaines évoluant dans des structures dominées par des logiques de pouvoir opaques.
Trois thèmes majeurs traversent le livre :
– La marginalisation des femmes dirigeantes, souvent déstabilisées quand elles ne se plient pas aux jeux de pouvoir ;
– Le déficit criant de compétences managériales, dans des postes où l’autorité se confond trop souvent avec l’abus ;
– L’expatriation, non pas comme un tremplin, mais comme une forme d’isolement professionnel et humain.
Le titre, Rassa Morra, intrigue autant qu’il interpelle. Dans un entretien accordé au quotidien L’Expression, Ania Mezaguer explique que l’expression lui a été soufflée par son père, lors d’une discussion sur les dérives et humiliations qu’elle a subies au travail. Sous le coup de la colère, il lance cette formule en arabe dialectal – qu’elle traduit par « race maudite » – pour désigner certains comportements destructeurs. L’autrice hésite, juge le terme trop dur, puis finit par l’adopter, tant il résume ce que le livre dénonce : une violence systémique, feutrée, mais brutale.
Ania Mezaguer aurait pu écrire un témoignage ou un essai. Elle a préféré la fiction. « Je voulais qu’on lise une histoire, pas un manuel », dit-elle. Le choix du roman psychologique s’impose comme une évidence, pour dire l’usure silencieuse, le doute qui s’installe, la dignité qui tient bon.
Avec Rassa Morra, elle signe un premier roman sobre, tendu, sans effets inutiles. Un texte qui résonne longtemps après sa lecture, tant il touche à une réalité partagée, mais rarement nommée.
Djamal Guettala