2 mai 2024
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Récit-feuilleton. Exils (1)

De brefs souvenirs parviennent à Omar du passé de la prime enfance. Quelques bribes. L’intrusion de soldats en armes dans la hara de Langare. Cris. Peur. Panique. Menaces. Bruits de bottes.

Armes bien en vue. Mères éplorées. Pères hagards. Enfants hébétés. Il eut sûrement peur ce jour là, mais il ne saurait dire s’il avait conscience de ce qui leur arrivait alors. Le tragique de la situation était accentué par la misère que vivaient leurs parents. Leur malchance était liée aux pénibles métiers du bâtiment.

A leur inculture également. Ils ne s’expliquaient pas leurs tribulations dans un pays qui était le leur. Pourquoi, se demandaient-ils, s’ingérait-on ainsi dans notre vie ? Parmi eux, rares étaient ceux qui pouvaient comprendre les aberrations du système colonial. Infime minorité, à vrai dire.

Quartier de Langare. Des maisons sommairement construites et réparties à l’intérieur en chambrées où ils s’entassaient en familles. Les briques en toub, en terre, étaient visibles à l’œil nu. Une architecture sommaire. L’urbanisme ? Un luxe. Autour, la désolation comme au douar des Ouled Mosly où naquit et vécut sa mère. Des terrains vagues baptisés châaba.

Littéralement lieux déserts où souvent gisaient les immondices et où erraient les chiens sans maîtres. Et où ils allaient jouer au ballon, faute de terrains adéquats ; c’était là qu’ils vidaient leurs querelles en bagarres sous la houlette d’un arbitre improvisé. Gare au perdant car s’il rentrait le nez en sang ou l’œil tuméfié et les vêtements déchiquetés ou simplement en poussière boueuse, il avait affaire à son paternel qui ne manquait pas là l’occasion de lui administrer la raclée de sa vie…

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Ils vivaient à la périphérie de la ville. Mais pas seulement. A l’ombre des sombres heures de la guerre de libération, un exil intérieur. Surtout pour leurs parents, le jour exploités dans les chantiers et la nuit suspects de rébellion dans leur propre pays. Par moments, il leur arrivait d’en faire amèrement les frais car ils étaient conduits sans ménagement, manu militari, à la sortie de la ville, dans un stade pour y rester la journée, exposés en masse sans nourriture ni eau… De pareils souvenirs dormaient agités dans leurs mémoires qui méritaient mieux…

Des bruits de bottes insistants dans la courette. Des torches allumées dans l’obscurité régnante qui ajoutait à la terreur des femmes déjà au paroxysme de la peur. La soldatesque franchissait brutalement et sans crier gare les portes de ces maisons. Avec forces cris et gesticulations pour effrayer encore plus les paisibles occupants dont certains dormaient déjà.

Comme à la campagne. Figés comme des statues devant leurs seuils, leurs parents étaient souvent rudoyés et, sans retenue, copieusement insultés et roués de coups. Il fallait avouer quelques délits et crimes, forcément commis à l’endroit des gaouris ; en tous cas, ils devaient coopérer avec l’administration coloniale appuyée par la force des baïonnettes en vue de dénoncer quelques fellagas, ces coupeurs de routes, embusqués quelque part dans les recoins de ces quartiers mal famés où la population européenne bien née ne rêvait mettre le pied.

Ces descentes policières effectuées par des militaires laissaient les uns et les autres, femmes, enfants et hommes, dans un état d’immense détresse psychologique à telle enseigne que les langues se déliaient durant de nombreux jours après pour les évoquer à seule fin de conjuration. Ce qui explique sans doute que nos jeunes consciences en éprouvaient une sainte répulsion.

On installa en eux une peur que seul le temps réussit à les en débarrasser. Nos princes s’en inspirèrent hélas après l’indépendance. Terroriser un peuple pour le dominer faisait alors partie de la panoplie des occupants indus du pouvoir; comment devait-on alors espérer fraterniser avec la population toute occupée à digérer ses peurs et qui, vaquant à ses affaires, flirtait avec l’indigence quotidiennement renouvelée ? C’était pure illusion.

Pourtant, le Vietnam a été l’occasion de mesurer les limites de pareille politique. Avec Dien Bien Phu. Il est vrai que le Général Giap a pu dire depuis que le colonialisme est un mauvais élève…(A suivre)

Ammar Koroghli-Ayadi, auteur-avocat 

Email : akoroghli@yahoo.fr

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