1 mai 2024
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Récit-feuilleton. Exils (21)

Alger. Enfin Alger la blanche. Il foulait le sol de la capitale après maintes années de vie provinciale. Ville devenue mythique pour lui. Et après quelques heures interminables de train cahotant.

En quelques foulées, il sortit de la gare les jambes ankylosées pour prendre les escaliers qui mènent vers le centre de la ville. Arrivé tôt le matin,il avait devant lui la belle devenue un mystère pour lui, habitant de l’intérieur. Les gens se pressaient pour se diriger vers la sortie. Tohu-bohu matinal des banlieusards. La gare somme toute exiguë pour être abusivement appelée centrale. Sommairement pourvue de quelques guichets et de quelques rares chaises pour figurer dans le classement des grandes gares. Qu’importe, il y était. Et pour quelques années il allait découvrir bien d’autres surprises qui achèvèrent ses illusions hier encore vivaces.

Récit-feuilleton. Exils (20)

Arrivé à la Grande Poste, il toisa cet édifice  occupant une bonne surface de la place. Située à l’embouchure de la rue Ben M’Hidi et non loin de celle de Didouche Mourad, elle trône avec ses immenses escaliers qui mènent à l’intérieur de ce véritable palais. En pente, tout en bas, le square Saïd où il lui arriva de passer quelques moments lors de ses diverses pérégrinations. En face, les arrêts des bus qu’il n’allait pas tarder à fréquenter assidûment et El Djenina qu’il lui arriva de traverser pour siroter son café. Tout en haut, le siège du Gouvernement ; un bâtiment datant de l’occupation coloniale avec une grande place servant de parking pour les voitures officielles…

Des souvenirs poignants viennent encore taquiner sa mémoire. Il se revoit dans le train qui le ramenait d’Alger vers Sétif. L’image de sa mère, pieuse méditation. Parfois, durant toute la journée, son souvenir le taraudait… Il se remémore toujours le train qui le ramenait d’Alger (capitale qui tourne le dos aux autres villes d’Algérie selon le bon mot de Pietro Di Sopra, leur prof. d’italien) vers Sétif, ville des Hauts Plateaux – martyr du 8 mai 45 qui vit plusieurs milliers des siens mourir sous les balles de la France coloniale, au moment où l’Europe fêtait la fin du nazisme …

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Le train toussait comme un vieux canasson. Il broyait sous ses rails les souvenirs qui jaillissaient  tel un geyser longtemps incarcéré. A chaque gare, il regardait sa montre pour la tester sur le temps. Le message laconique du télégramme dansait devant ses yeux. L’angoisse lui nouait la gorge. Sa poitrine se soulevait au rythme de l’amertume qui l’envahissait peu à peu et possédait son corps. La minute devint séculaire. Plus de six heures de trajet d’Alger à Sétif ! Il se surprenait à dire : « Comment tuer le temps, lui qui nous assassine ? Laissons-le-nous tuer ».

Chaque gare s’inscrivait inlassablement dans son cerveau en effervescence. De temps à autre, un sommeil pareil à une torpeur féerique le transposait à l’époque où tout gamin il enlaçait, de sa douce étreinte, celle qui fut pour lui d’une abnégation maternelle sans pareille… Pour meubler ses heures de voyage, il lui arrivait de s’intéresser à certaines de ses révisions laissées en suspens. Mais, il se rendait souvent compte que dans des cas analogues au mien, la mémoire fermait ses volets à toute pénétration d’idées autres que celles oppressantes du moment. Ce qui se passait à quelques centaines de kilomètres le  séparant de la mère pour qui il nourrissait un amour des plus respectueux l’accaparait par-dessus tout.

Dans le wagon, pour compagnons de voyage, il n’y avait que les cancans habituels. Il ne pouvait se forcer à entrer dans l’intimité de ces gens habitués à vivre des problèmes dont toute source pour eux est métaphysique. Les persuader qu’ils s’engagent dans une voie erronée constitue une véritable révolution. Leur dévotion, legs séculaire, se résumait à cette pratique irrationnelle. Il était inutile de les contrarier. A défaut, il aurait été considéré comme un dévoyé. (A suivre)

Ammar Koroghli-Ayadi, auteur-avocat 
Email : akoroghli@yahoo.fr

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