18 mai 2024
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Récit-feuilleton. Exils (24)

Au sortir du lycée somme toute sans saveur et à la veille d’affronter la vie universitaire, Omar n’alignait pas ses certitudes tous les matins pour les admirer. Il vivait avec ses doutes. Pourquoi s’entêter à chercher le bonheur alors que la vie se présente, à chaque aube, avec son cortège de problèmes.

Il n’est nul besoin d’être un athlète de la pensée, un esthète de la parole et faire provision d’argumentation pour se convaincre de vivre humblement. La vie ? Une fête entre frères. Etre fidèle à son idéal, avec une rectitude morale et une inébranlable sincérité. De celles qui façonnent, je crois, la modestie des hommes éprouvés par la dure expérience de la vie.

Il se rappelle les réunions interminables, les discussions enflammées et les départs nocturnes pour les collages d’affiches. A l’époque, il vivait une idée exaltante. Les masses, encore endormies, s’éveilleront un jour. Depuis, elle fut réduite à l’état d’un slogan au service d’une armée d’arrivistes. C’est pourquoi il ne veut collaborer à aucun système. Ni se taire sur leurs crimes odieux. Il n’est à la recherche d’aucune promotion. Ni d’aucune carrière. Le recours aux méthodes extrêmes des dirigeants ne l’exalte guère. Pas plus que le culte de la personnalité tissé par leurs sbires. Pour mieux les flatter. Ils ne font que précipiter leur chute.

Récit-feuilleton. Exils (23)

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Il a encore en mémoire le récit de l’un de ses  camarades de classe : un haut fonctionnaire de la République exhibait les passeports non signés aux jeunes filles qu’il choisissait comme victimes de ses abominables besoins. Une boulimie de sexe. Les malheureuses devaient se plier à l’ordre intimé. Pour récupérer leurs documents, elles se retrouvaient dans l’appartement aménagé à cet effet.

Par les soins de ce « respectable » personnage. Après avoir bien entendu payé le tribut exigé par ce Gargantua du sexe. Quand il pensait aux frustrations des jeunes qui se contentaient de regarder les filles sortir du lycée -un essaim qui se dispersait quelques minutes plus tard-, il réalisait leur impuissance à changer la société. Ces jeunes devaient, en complément de leurs frustrations, affronter les arcanes des textes ésotériques et les labyrinthes d’une bureaucratie avide de procédures pour tenter de décrocher l’improbable autorisation de sortie imposée par l’administration de Boumediene. Tout ce qui restait à la personne humaine de dignité était dépouillé par la duplicité de ces rongeurs de papiers. Pièces à conviction contre tout candidat à l’exil extérieur…

Le désarroi et la révolte dormaient au fin fond de la conscience des camarades de sa génération. Comme une sorte de schizophrénie de l’autocritique. Avouer des fautes non commises. L’incitation au doute devenait le cérémonial auquel les manitous les conviaient en permanence. En quête de leur soumission totale. Une question lancinante apparaissait alors.

Comment trouer le désespoir institutionnalisé par les mystifications répétées ? Tapies dans l’ombre, certaines autorités continuaient d’organiser au pays leur curée, en faisant appel aux services des trafiquants en tout genre. Pour leurs besoins personnels. Ces trabendistes étaient devenus les clercs de leurs appétits. Satisfaire leurs œsophages et leurs sexes. Telle a été leur principale besogne. Alors qu’ils étaient censés veiller à l’intérêt national…

Dans les cœurs des démunis gisent d’immenses douleurs. Péchés quotidiens…Rendre à cette racaille œil pour œil, dent pour dent. Tendre l’autre joue relève d’un masochisme mystique. Il arrivait à Omar de penser que certains fieffés coquins se sont affublés de la robe de magistrats, il ne se gênait pas pour penser son mépris à leur endroit. Tel orphelin qui se fait arnaquer pour le maigre héritage légué par ses parents. Telle femme obligée de se laisser pratiquer pour accélérer la procédure de son divorce. Bien entendu, il lui arriva d’en rencontrer d’honnêtes… Ah ! Et ce grand officier, dodu à souhait et converti au commerce ; il traînait ses savates dans les quartiers chics des capitales européennes. Il sirotait le whisky dans les salons des chancelleries étrangères et négociait des contrats juteux. Il puait par tous ses pores la corruption. Il disait à de jeunes appelés indignés : « Tant que nous serons en vie et que nous régnerons sans partage sur ce pays, vous autres jeunes universitaires merdeux, vous n’aurez jamais le pouvoir ». C’était le règne de l’exil intérieur. De la hogra. Que restait-il d’ailleurs à ces jeunes ? Le bar ou la mosquée. Maigre consolation. Le bar où les clients s’empressaient de commander deux bières, de les vider illico et d’en recommander aussitôt.

Il ne pouvait s’empêcher de penser parfois à Kadda, l’ivrogne noctambule. Tous les soirs, il gueulait son anthologie de blasphèmes et ses insultes les plus intimes. Devant l’insistance de son épouse qui tentait de le ramener à la raison, il lui déversait son stock d’insanités au visage. En guise d’exorcisme, la pauvre femme  labourait le visage de ses ongles jusqu’au sang. La vérité sortait-elle de la bouche de l’ivrogne ? Souvent, il continuait de plus belle et sans relâche, à tonner contre tous les interdits de la Terre. Puis s’adressant à un interlocuteur que seul lui semblait voir. Ses paroles cinglantes s’accompagnaient de tapes violentes sur le rebord du balcon où il prenait appui. Comme pour exorciser sa mal vie. Pour lui, la vie n’était évidemment plus que l’expression d’une existence qui allait à vau-l’eau.

Le présent n’avait pas lieu d’être. Tellement il était amer. Les souvenirs du passé et l’espoir au futur étaient ses aliments. Les promesses des gouvernants ? De la pure propagande. Chaque nouveau chef insultait le précédent à satiété. De véritables cas de schizophrénie. De mégalomanie aussi. Indubitablement.

Que faire alors ? Devenir HTM, Hchicha Talba M’Icha, en quête de survie. Dur métier que de subir la hogra. Pour vivre, fallait-il accepter n’importe quel compromis ? Prostituer ses idées, les troquer contre quelques dinars de plus ? Comme on ne peut pas gagner décemment sa vie, naît alors un foisonnement de petits métiers. Une sorte de retour à une situation antérieure.

Les petits cireurs de naguère remplacés par les enfants qui vendent tout et rien dans les marchés tant les étals offraient un spectacle désolant. Des prix inabordables et qui s’affolaient en toute saison. Et singulièrement durant le mois sacré du Ramadan. Pourtant, le pays est beau, répète t-on encore à l’envie. Il y a le soleil. La belle affaire ! Mais est-ce qu’il y a du soleil dans la tête des gens ? S’en soucie t-on ? (A suivre)

Ammar Koroghli-Ayadi, auteur-avocat 
Email : akoroghli@yahoo.fr

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