22 novembre 2024
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Récit-feuilleton. Exils (25)

Cité universitaire de Kouba. Quatre à cinq petits immeubles de trois à quatre étages. De petites piaules. Omar fut logé avec un étudiant en médecine, discret et bosseur. Il admirait ses dessins et peintures à la gouache. A vrai dire, peu d’activités culturelles. Une sorte de poulailler. Ils y logeaient pour y dormir le soir.

Le week-end, ils préféraient descendre à Alger pour se  défouler d’une semaine de train-train. Tout en haut, l’Ecole normale  supérieure (ENS) qui regroupait, outre des chambres, un restaurant universitaire où on leur servait des steaks savates (ça y ressemblait tellement qu’il était difficile de les trancher). Le soir, ils se gargarisaient de soupe pour se remplir la panse. Histoire de chasser la faim. Certains étudiants, n’ayant pas les moyens pour s’acheter des tickets pour manger, quémandaient littéralement le bol vide de l’un de ses camarades pour s’approvisionner deux ou trois fois de suite pour se rassasier. A la cafétéria, immense par la superficie, mais empli par le vide culturel à même de permettre une détente dont étudiants ils avaient légitimement besoin.

Récit-feuilleton. Exils (24)

Après un bref séjour à Ben Aknoun (certains snobs disaient alors Ben Ak). Les cours magistraux étant dispensés à Kouba à partir de huit heures trente du matin, ils devaient se préparer à partir de six heures pour pouvoir s’y rendre par bus. Quelle galère que le transport commun à Alger ! Surtout en hiver. Attendre durant parfois près d’une heure pour que pointe à l’horizon un bus qu’il fallait prendre littéralement d’assaut pour être sûr de pouvoir monter et faire partie des heureux élus au voyage.

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C’était tous les jours l’odyssée. Inutile de dire qu’en fin de journée, ils étaient éreintés. Et sans Pénélope. Outre que la nourriture universitaire laissait à désirer. Les salles de travaux dirigés avaient alors lieu dans des baraquements qui donnaient la désagréable impression d’être dans un bidonville. Bien entendu, certains s’en accommodaient fort bien. Les étudiants venant de l’intérieur du pays avaient trop misé sur un changement de leurs mornes existences de provinciaux pour s’en contenter. Quelle ne fut leur  désillusion ! Voilà pourquoi certains d’entre eux ont préféré troquer leurs chambres de Ben Aknoun, quartier plus prisé, pour une piaule de Kouba. On disait alors le Vieux Kouba. C’est dire s’ils étaient  logés à bonne enseigne. Mais comme dit le proverbe « que peut faire le mort entre les mains de son laveur » !

Avec le recul du temps, il se dit que cette politique était voulue pour les abrutir de fatigue. Le week end leur servant pour récupérer un tant soit peu leurs énergies, ils ne pouvaient ainsi se concentrer sérieusement ni sur leurs études, ni encore moins se  réunir en vue d’une quelconque action pour manifester leur colère quant à leurs conditions d’existence pour le moins insuffisantes. A part un ou deux cours qui se sont révélés pertinents, telle l’histoire des idées politiques, le reste fut vraiment un gâchis de leur temps. Il résolut ainsi d’y remédier en pensant à changer et de discipline et d’université. Etudes littéraires à Constantine par exemple.

Omar y a songé. Ce qui aurait eu au moins pour vertu de le rapprocher de sa famille. Parce qu’ils manquaient  cruellement d’orientation, ils se tous concertés dans les rues et cafés pour monter à l’assaut de l’IEP d’Alger. Mal leur en prit. A ce jour, il n’existe aucune forme de décentralisation de certains enseignements pour permettre aux étudiants des villes de provinces de suivre des études similaires à ceux de la capitale. Décidément Alger tourne toujours le dos au reste du pays. Elle demeure le lieu privilégié pour toutes activités culturelles d’importance nationale, outre qu’y ont été établies toutes sortes d’institutions dont la bibliothèque nationale…

Le sort en décida autrement. Sa mère tomba gravement malade, il devint nécessaire de repousser les études universitaires pour plus tard. Le fils du maçon qu’il était pouvait encore attendre pour accéder au pinacle du savoir. La démocratisation de l’enseignement tant vantée révélait ses lacunes ; lors de son passage devant la commission d’exemption du service militaire, on le rappela magistralement. Alors qu’il tentait vainement d’expliquer sa situation d’indigence, d’aîné et de soutien de famille avec une mère souvent à l’hôpital, on refusa sa requête au motif qu’il faisait des études supérieures ! Ce qui acheva de l’affranchir sur le mode de gouvernement qui les régissait alors.

Ces mêmes décideurs s’aperçurent, ô miracle, que la professionnalisation de l’armée était sans doute la réponse adéquate à la défense du pays et qu’il fallait donc libérer les jeunes gens de plus de trente ans qui commençaient à se faire vieux pour être enrôlés sous les drapeaux…

Sa mère souffrant le calvaire, il admit qu’il lui fallait aider sa famille pour s’en sortir un tant soit peu. L’un de ses camarades de classe lui suggéra l’enseignement. Durant une année, il enseigna dans un collège situé à quelques dizaines de kilomètres de la ville. Sans formation particulière. Animé de sa seule volonté de vouloir se mesurer  à la vie pratique et d’apporter sa quote-part au développement de son pays. L’enthousiasme aidant. Il est vrai que sa mère malade, il n’eut d’autre choix que d’assumer son rôle d’aîné, son père étant décédé depuis quelques années déjà. Après une année à l’IEP d’Alger, il résolut de faire une pause dans ses études. Il lui était impossible d’abandonner sa mère et les siens dans une situation d’indigence avancée.

Ce fut une année autant laborieuse et harassante que riche d’enseignements. Sortir de la théorie anesthésiante pour servir quelque peu ses idées. Etre utile autant à ses proches qu’à ses compatriotes. Il mit quelques semaines en été pour accepter cette idée ; avec le recul du temps, il  regrettait d’avoir entamé des études à Alger, situé à plus de trois cent kilomètres de la ville natale. Sétif, ville martyre du 8 mai 1945 et wilaya classée alors deuxième ville du point de vue démographique, n’avait alors pas d’université. Et lorsque celle-ci vit le jour quelques années plus tard, elle fut bâtie à la périphérie de la ville. Comme si le pouvoir craignait le savoir. Même l’indu occupant colonial y fit construire le seul lycée dans le centre ville, quasiment face au siège du Département.

Pour se rendre au collège, il fallait prendre un car, le seul existant alors. Il était dans un état identique à celui du pays. Sous-développé à souhait. Ses voyageurs avaient la hantise de tomber en panne. Ce fut un combat de tous les jours. Près d’une heure à l’aller et une autre au retour. Traverser des terres labourées, des champs en jachère, de petits villages.

Souvent, tôt le matin. En hiver, c’était une prouesse que d’emprunter ce car échappé au musée des vieilleries mais qui rendait néanmoins service, l’Etat ayant démissionné de sa mission de service public par l’octroi de cars rutilants à la direction des transports de la wilaya. Par moments, c’était l’arche de Noé. Certains montaient avec leurs poules et moult valises, ils  venaient les jours de marché pour vaquer à leurs affaires. L’Algérie profonde était là, avec ses souffrances quotidiennes. Le pays était au début de sa reconstruction. Il souhaitait apporter sa contribution. Le car démarrait d’en face de la caserne de la ville, plus tard aménagée en parc d’attractions.

Ils étaient quelques-uns, partagés entre enseignants et surveillants, venus d’autres villes. Ils  eurent l’heur et le malheur d’être les pionniers. Le collège où ils furent affectés ouvrait pour la première année. Au début, ils avaient été logés au collège même. Leurs repas, sommaires, étaient consommés dans une vieille gargote. Dans une ambiance bon enfant. Ils  faisaient bonne figure.

Les habitants les avaient à l’œil. Ils devaient se montrer dignes en qualité de pédagogues de leurs enfants. Ils s’acquittaient du mieux qu’ils pouvaient de leur tâche. Plus tard, ils  avaient pu manger au collège, à la même table que les collégiens. Ce fut une leçon d’humilité. Las, ils furent priés par la direction de céder les chambres à deux qu’ils occupaient. La galère reprit de plus belle. Le fameux car oublié quelques semaines redevint leur  moyen de locomotion obligé. Faire contre mauvaise fortune bon cœur. Le devoir estompait leurs tracas.

Il est vrai que parmi ses collègues, Salah, Mokhtar, Abdelatif, Kamel, ils avaient pu former une équipe à la fois pour assurer un travail des plus réguliers, mais également pour se seconder. Il se  revoit à plusieurs en photos. Leur vie était construite autour d’anecdotes et de mini-débats sur divers thèmes, en l’absence manifeste de lieux de détente.

Au contraire, ils furent amenés à en créer pour stimuler leurs élèves. Ainsi, un petit journal fut créé pour susciter quelques vocations ; les meilleures rédactions en arabe et en français étaient publiées. Quelques groupes furent constitués pour remplir les rôles de troupes théâtrale et musicale. Ils réussirent même à projeter des films. Omar avait alors acheté des livres avec l’argent des rentrées pour instituer une à deux heures de lecture par semaine dans les classes, ouvrages distribués à la fin d’année aux plus brillants collégiens. Ils avaient même fait du sport avec eux.

Hélas, au lieu d’encouragements, ils reçurent  quelques réprimandes de la direction qui eut tendance à prendre leurs initiatives pour autant de provocations surtout lorsque il eut l’idée mise en pratique d’enseigner au personnel du collège quelques rudiments linguistiques. Il fut carrément considéré comme meneur ! Il eut même droit à l’extinction des feux en plein cours. Plus même, une colère injustifiée de cette direction en plein réfectoire, il a même été soupçonné de vouloir prendre sa place ! Tout cela à cause de ses initiatives de doter le collège de quelques activités qui manquaient cruellement. En guise de remerciements, des reproches d’un autre âge. Il termina l’année tant bien que mal… (A suivre)

Ammar Koroghli-Ayadi, auteur-avocat 
Email : akoroghli@yahoo.fr

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