La revue El Badil fut un autre moment de sa vie. Il lui a consacré une partie de sa vie. Le plus clair de son temps. Parfois et même souvent au détriment de sa vie privée et familiale.
Ce fut pourtant un autre moment d’apprentissage. Ce fut un autre moyen de communication, autrement plus substantielle car s’inscrivant résolument dans l’opposition à un système dominé par la pensée unique. Et par ce qu’il sera convenu d’appeler les « décideurs », le « cabinet noir », la « camarilla », la « mafia politico-financière »…
L’Armée continua à être instrumentalisée nonobstant le départ fracassant de moult officiers du comité central du FLN, sacré parti unique et vilipendé par feu Mohamed Boudiaf dont il reçut la première carte d’adhésion. Ahmed Ben Bella qu’il a rencontré tantôt à Genève tantôt à Lausanne- lui semblait avoir assimilé les erreurs du passé, celles qui aboutirent à constitutionnaliser le parti unique et à consacrer la personnalisation du pouvoir ayant in fine abouti au culte de la personnalité.
Après moult péripéties, il résolut de rendre son tablier de rédacteur en chef. Les mentalités de ceux qui furent alors parmi ses compagnons de lutte pour la démocratie étaient trop marquées par un état d’esprit dont il subodorait qu’il devait aboutir à remplacer un parti unique par un autre parti unique, voire un système de pensée unique par un autre. Le jeu n’en valait pas la chandelle.
Il finit par se rendre à l’évidence : se défaire de son tablier de rédacteur en chef. Capitaine de son vaisseau, il ne cherchait qu’à le renflouer. Non à exacerber les difficultés pour le faire couler. Il mit seulement du temps à comprendre qu’il fallait mettre au défi ses détracteurs. Non pas gratuitement ou par un quelconque machiavélisme dont ils se régalaient d’ailleurs sans vergogne, mais par simple bon sens. Partir. Pourvu que l’œuvre demeure. Ce fut pour lui un dur apprentissage que le métier de la démocratie…
Chaque matin, il se présentait au siège de la revue. Un vieux local aménagé dans la région parisienne. Il prenait souvent le temps de méditer sur le déroulement de la journée devant une tasse de café. Une fois arrivé au bureau, il épluchait les journaux du jour. Là où eurent lieu de sombres manœuvres et fourbi nombre de coups bas par Khalfoun, son prédécesseur. Pour garder son poste. Et pour cause, il était payé trois fois plus que lui.
Par esprit de discipline et pour faire preuve d’abnégation et d’honnêteté, il avait accepté d’exercer cette fonction. Mal lui en prit. Honnête, il ne pouvait concevoir le travail bâclé. Il eut une propension à faire appel à une certaine forme d’autorité atténuée toutefois par la participation de ses collaborateurs à la confection de leur canard. Les uns et les autres selon leurs capacités. A tous était dévolue une tâche précise. Position difficile que la sienne. Se faire aider par tout un chacun sans s’aliéner l’amitié de tous. Exercice périlleux. Il lui en coûta une expérience.
Dans son bureau, il découpait son temps en plusieurs parties, réservant le plus clair de celui-ci à la lecture et à la rédaction d’articles. Pour l’organisation quotidienne de son travail, il évitait la bureaucratisation. Ils étaient des militants de l’information avant tout. Pas de démagogie non plus. Celle-là même qui était utilisée par certains membres du comité de rédaction, faisant office du même coup de direction.
La machine marchait à merveille. Sauf quelques contretemps qui survenaient de temps à autre. Ils étaient résorbés sans difficulté. En revanche, ce qui l’horripilait, c’était l’inactivité de certains de ses assistants. Ou plutôt un manque de volonté et d’implication. Surtout Nadia. Elle se contentait à longueur de journée de découper et de classer les articles parus dans la presse nationale et internationale. Sans plus. Quand il prit possession de ses fonctions, il lui fit part de sa désapprobation. Dans un climat amical et serein. Difficile de reconvertir quelqu’un à une autre tâche. Il lui apprit à être utile. D’autres diraient plus efficace. Dorénavant, pour elle l’archivage des articles devait être réduit au profit d’un travail plus rationnel : préparer des dossiers de presse pour les journalistes permanents. Cette documentation leur facilitait la rédaction de papiers répondant aux besoins du moment.
Plus difficile fut d’aborder le problème de la modification de la mise en page. Le maquettiste était d’un caractère irascible. Plus, il était susceptible jusqu’au chantage. Il prit un soin particulier pour apprivoiser cet animal en mal de reconnaissance. Après plusieurs séances de travail avec lui, il fut convenu de s’inspirer des autres revues. Le choix des photos et des caractères, la disposition des titres et des colonnes furent désormais à l’ordre du jour. Il échappa graduellement à Mamoun, le metteur en page. Un léger mieux s’ensuivit. Il fit part à celui-ci des félicitations du comité de rédaction, mais aussi de leurs recommandations. Tactique qu’il considérait comme un exercice périlleux. Une mise en garde sévère fut adressée à Mamoun. Soit il donnait satisfaction, soit sa place était compromise. Il réagit violemment. Prévisible. Il n’était plus question pour lui de venir à la revue pour s’enfermer trois ou quatre jours dans la pièce où il travaillait. Une sorte de bunker. Malgré lui, il finit non par admettre ou accepter mais par apprendre à contre cœur de nouvelles règles du jeu.
Auparavant, les bromures corrigés lui étaient servis avec des photos correspondant au contenu des articles et le sommaire par le responsable de la revue. En échange de quoi, Mamoun obtempérait aveuglément aux desiderata de Khalfoun. Lequel n’avait cure de la qualité des papiers. Encore moins de l’esthétique. Sa fonction devint, d’une certaine manière, un avant poste composé pour l’essentiel de personnes incompétentes. Il leur demandait une obéissance sans borne, voir une allégeance. Un calife des temps modernes. Il fut détrôné. Après maintes tergiversations, il est vrai. Ses acolytes partirent avec lui… (A suivre)
Ammar Koroghli-Ayadi, auteur-avocat
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