L’annonce, en mai 2023, par Abdelmadjid Tebboune, de l’intégration des médias électroniques au dispositif officiel de publication des annonces de marchés publics a été présentée comme une avancée historique pour le paysage médiatique algérien. Vu le résultat, il y a de quoi s’inquiéter !
Nous revoilà encore avec le feuilleton de la presse en ligne et la reconnaissance de son rôle par les tenants du pouvoir et donc du chèque ! Entrée en vigueur en juillet 2025, cette mesure est censée donner aux plateformes d’information (ou de propagande officielle, c’est selon) une place équivalente à celle de la presse écrite dans l’accès aux financements liés à l’affichage légal. Mais derrière ce geste, se dessine une dynamique plus large : celle d’un encadrement accru de l’espace médiatique par l’exécutif. La preuve ? Il n’y a qu’à lire le contenu des canards exposés toute la journée sur les étals pour s’en convaincre.
Un geste politique sous habillage modernisateur
Dans un contexte où la presse algérienne, notamment écrite, traverse une crise structurelle — chute des revenus publicitaires, baisse de lectorat, concurrence des réseaux sociaux —, l’extension du marché des annonces légales à la presse en ligne apparaît comme un ballon d’oxygène. Officiellement, il s’agit de « reconnaître » un secteur déjà central dans la diffusion de l’information. Officieusement, ce dispositif constitue aussi un nouvel outil de sélection et de contrôle, puisque seuls les sites « dûment accrédités » et répondant à des critères définis par le ministère de la Communication peuvent y prétendre.
L’argument du soutien à la transparence est donc indissociable d’une logique de filtrage institutionnel : l’État détermine qui est média et qui ne l’est pas, et contrôle ainsi la redistribution de cette manne financière.
L’ombre persistante de l’ANEP et du financement conditionné par le degré d’allégeance
En Algérie, la publicité publique — longtemps gérée de manière centralisée par l’Agence nationale d’édition et de publicité (ANEP) — a toujours été un levier de pression politique sur les rédactions. Le tiroir-caisse est désormais ouvert pour les plus dociles. Les titres jugés « hostiles » au pouvoir en sont privés, tandis que les médias alignés bénéficient d’un flux régulier de contrats. Le nouveau décret transpose, dans le champ numérique, un système déjà bien rôdé dans la presse écrite.
L’inclusion des plateformes numériques dans le circuit des annonces légales n’échappe donc pas à cette tradition : la dépendance financière devient un outil implicite de régulation éditoriale. Pour de nombreux observateurs, cette intégration « officielle » risque de renforcer l’autocensure déjà largement répandue.
Transparence proclamée, opacité pratique
Le texte impose que les appels d’offres soient publiés dans au moins deux journaux électroniques agréés et que les détails des attributions soient mentionnés. Si, sur le papier, cela améliore la transparence des marchés publics, la concentration du pouvoir de diffusion dans les mains de la même institution — la Société nationale de communication, d’édition et de publicité — maintient un monopole étatique sur la circulation des annonces.
En d’autres termes, la transparence s’arrête là où commence la sélection politique des médias participants.
Un paysage médiatique verrouillé
Ce décret intervient dans un contexte où l’espace médiatique algérien, toutes plateformes confondues, reste fortement encadré. Les licences pour les chaînes de télévision privées sont accordées avec parcimonie et révocables à tout moment. La presse indépendante, qu’elle soit papier ou en ligne, est confrontée à un environnement légal restrictif, à des pressions économiques ciblées et à une surveillance accrue des contenus.
Si la digitalisation des mécanismes officiels de publication peut sembler un pas vers la modernité, elle s’accompagne ici d’une reproduction du modèle centralisé, où l’exécutif demeure l’arbitre ultime de la visibilité et de la viabilité financière des médias.
Un choix de dépendance plutôt qu’un pari sur l’indépendance
Plutôt que de créer un cadre véritablement pluraliste et ouvert — en favorisant l’accès de tous les médias, agréés ou non, aux ressources publicitaires publiques selon des critères objectifs —, le pouvoir algérien a choisi de prolonger son système de contrôle.
Cette décision traduit un paradoxe : reconnaître officiellement un secteur qui, par nature, devait élargir le champ de l’information, tout en l’inscrivant dans un dispositif qui limite sa capacité d’indépendance éditoriale.
En somme, la reconnaissance de la presse électronique dans les annonces légales algériennes n’est pas seulement un ajustement technique ou une avancée pour la transparence : elle marque aussi la transposition au numérique d’un système de dépendance structurelle, garantissant à l’exécutif la maîtrise des flux d’information et la marginalisation des voix dissidentes.
Sofiane Ayache