AccueilA la uneRéformes annoncées par Tebboune : une manœuvre de contrôle ?

Réformes annoncées par Tebboune : une manœuvre de contrôle ?

L’annonce de réformes « importantes » par Tebboune pour la fin de 2024-début 2025 semble être une manœuvre complexe visant à renforcer le contrôle de l’État sans véritablement ouvrir de dialogue avec les forces vives de la nation.

Cette initiative, loin d’être anodine, s’inscrit dans une continuité historique où le pouvoir central a toujours cherché à réduire au silence toute velléité d’opposition. En nommant Daho Ould Kablia, âgé de 91 ans, pour « restructurer l’État », Tebboune réaffirme son recours à des figures emblématiques du passé.

Ould Kablia, connu pour son profil policier et de fidèle du système, incarne la perpétuation d’une politique de continuité, où les mêmes acteurs de l’ombre jouent les prolongations pour maintenir un statu quo favorable au régime. Cette stratégie témoigne du manque de renouvellement des élites et de la volonté de ne pas céder aux pressions populaires pour des changements profonds et significatifs.

Le choix d’Ould Kablia illustre ainsi la persistance d’un pouvoir néocolonial et néopatrimonial qui continue de gouverner en coulisse, sans partage réel du pouvoir avec les nouvelles générations.

Le découpage administratif : une stratégie contre la Kabylie ?

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Dans cette optique, Tebboune s’apprête à lancer un nouveau découpage administratif, divisant les grandes wilayas pour en diluer l’influence politique, notamment en Kabylie. Cette région, historiquement frondeuse et politiquement active, est perçue par le pouvoir central comme une menace potentielle à l’autorité de la Régence.

Le découpage administratif ne vise aucunement une meilleure gouvernance locale, il ne peut viser qu’à affaiblir les poches de résistance régionale capables de contester la légitimité du pouvoir central. Alger, Oran, Constantine, et d’autres grandes régions seront ainsi morcelées dans un puzzle de près de 100 wilayas.

En fragmentant ces territoires, Tebboune espère désamorcer toute montée de contestation en réduisant la capacité d’organisation des populations locales. La Kabylie, cible principale de cette réforme, est emblématique de la lutte pour une plus grande autonomie, et cette réorganisation ne peut être perçue que comme une tentative d’étouffer toute revendication politique émanant de cette région.

Des nouvelles lois pour un contrôle accru

Parallèlement, Tebboune met sur la table l’élaboration de nouvelles lois sur l’information, les partis politiques, les syndicats et envisage des réformes économiques majeures. Ces lois sont présentées comme une modernisation de l’appareil législatif, mais leur objectif semble avant tout de resserrer le contrôle sur les médias et de limiter l’émergence de nouvelles forces politiques indépendantes.

La réforme de la loi sur les partis politiques pourrait aboutir à une plus grande bureaucratisation de la classe politique, en favorisant les partis proches du pouvoir et en marginalisant ceux qui ne se conforment pas aux attentes des décideurs.

Toutefois, toutes ces réformes devraient théoriquement être discutées dans le cadre du dialogue national promis pour 2025-2026. Or, Tebboune, dans une logique autoritaire, précipite ces changements sans débat préalable.

En imposant d’abord ses réformes puis en convoquant ensuite un dialogue, il renverse la logique démocratique, révélant ainsi une approche centralisée où le dialogue n’est qu’une formalité après coup pour valider des décisions déjà prises.

Le retour de Belkhadem : un signal aux islamistes ?

Le retour potentiel d’Abdelaziz Belkhadem à la présidence du Sénat, ou peut-être comme successeur de Tebboune, renforce cette dynamique politique. Belkhadem, crypto-islamiste et ancien Premier ministre, reste une figure respectée par les courants islamistes conservateurs.

Son retour probable dans les hautes sphères du pouvoir reflète la volonté de certains clans du régime de réactiver des alliances avec les islamistes, dans un contexte où le pouvoir cherche à consolider ses soutiens face aux défis socio-économiques croissants. Bien que son influence ait été réduite après son éviction par Bouteflika en 2014, Belkhadem pourrait resurgir comme un acteur clé des futures recompositions politiques, particulièrement s’il parvient à restaurer les liens avec les franges conservatrices de la société.

Son retour serait également un signal envoyé aux islamistes qu’une place leur est toujours réservée dans la scène politique nationale, même si le discours officiel glisse, semble-t-il, vers une rhétorique pseudo-moderniste.

Cette dynamique pourrait potentiellement revitaliser le courant islamiste dans la vie politique, tout en donnant aux secteurs démocrates l’illusion d’un rapprochement avec le pouvoir. Il se peut donc que nous assistions à une nouvelle phase du mouvement de balancier qui ne s’est pas interrompu depuis l’indépendance.

La question de la composition du gouvernement

L’autre question cruciale est celle de la composition du gouvernement. Tebboune a annoncé la formation d’un gouvernement de « compétences », tout en reconnaissant ses difficultés à trouver des profils adéquats pour occuper des postes clés. Derrière ce prétendu manque de compétences se cache probablement une lutte interne entre les différentes factions du pouvoir. Le général-major Saïd Chanegriha, dont l’influence demeure prédominante, pourrait chercher à se maintenir au pouvoir, voire obtenir un poste politique, tel que ministre délégué ou ministre de la Défense.

Le rôle des militaires dans le processus de nomination est central, et la recomposition des commandements militaires qui pourrait intervenir pour le 1er novembre sera un indicateur clé des rapports de force qui se jouent en coulisse. Si Chanegriha parvient à obtenir un poste politique de premier plan, cela marquerait une nouvelle étape dans l’emprise militaire sur la sphère civile et montrerait que la régence militaro-bureaucratique n’a aucune intention de se retirer de la gestion des affaires publiques.

Une impasse politique renforcée

Dans ce climat de tensions et de manœuvres politiques, la régence militaro-bureaucratique continue de peser lourdement sur la stabilité du pays. Les querelles de sérail, loin d’apporter des réformes significatives, renforcent l’impasse politique actuelle. Le manque de renouvellement des élites et l’absence de perspectives pour la jeunesse algérienne contribuent à un sentiment de stagnation générale. L’Algérie est piégée dans les soubresauts d’un régime néocolonial et néopatrimonial.

Cette continuité des anciennes pratiques, couplée à un manque d’ouverture vers des figures nouvelles, enferme le pays dans une spirale de statu quo, où les réformes annoncées ne visent finalement qu’à renforcer l’architecture du pouvoir central sans transformation réelle de la gouvernance. Tebboune, tout en promettant des réformes, ne fait que renforcer les mécanismes de contrôle, montrant que l’objectif premier reste de maintenir le pouvoir coûte que coûte, même si cela signifie sacrifier des opportunités de changement profond pour l’Algérie.

Finalement, un changement en trompe-l’œil

En somme, ces réformes annoncées par Tebboune, qu’il s’agisse du découpage administratif, des nouvelles lois sur l’information, les syndicats et les partis, ou de la tentative de rassembler un gouvernement de compétences, témoignent d’une volonté d’afficher un changement tout en renforçant le cadre autoritaire en place.

Le retour des figures anciennes, telles que Ould Kablia et Belkhadem, illustre le manque de renouvellement au sommet de l’État. Ce climat de contrôle renforcé, couplé à des luttes internes entre factions de la Régence, plonge le pays dans une impasse politique où la caste militaro-bureaucratique semble plus solidement ancrée que jamais.

Pour sortir de cette impasse, un véritable dialogue national impliquant toutes les forces vives de la nation serait nécessaire, mais rien n’indique pour l’instant que cela soit l’intention réelle du pouvoir en place.

Mohand Bakir

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