Je viens de lire dans Le Matin d’Algérie un article signé Kamel Bencheikh et titré ‘’Sur les pas de Kateb Yacine’’. Tout ce que s’écrit, se dit ou se montre sur Kateb Yacine m’intéresse et nourrit ma certitude que cet homme n’en finit jamais d’étonner. Il revient de sa fausse mort narguer les imposteurs et trinquer avec les copains. Il reste contemporain à nos âges successifs et à l’enfant qui naît, son futur lecteur.
Quelques notes sur l’article de Kamel Bencheikh.
L’auteur construit son propos sur un spectacle poético-musical animé par le duo Souad Massi, au chant et à la musique et Mohamed Kacimi, au texte parlé. Sur les pas de Kateb Yacine est donc censé être un condensé biographique essentiel dit par M. Kacimi qu’amplifie et irrigue le jeu de la guitare et la voix de S. Massi.
Je n’ai pas assisté à la prestation, seul le compte-rendu écrit par Bencheikh et publié dans Le Matin d’Algérie, fonde mes observations sur trois sujets : le périple exilé de Kateb ; Kateb et la religion ; Kateb et le Vietnam.
Il est écrit dans l’article que l’exil de Kateb s’est fixé en deux lieux, Paris et Hambourg. A part des passages de courte durée en Allemagne, notamment à Hambourg où il rendait visite à sa compagne d’alors et mère de son fils Hans, Kateb n’a jamais résidé dans cette ville allemande, pas plus d’ailleurs qu’à Leipzig, Florence, Bruxelles, Moscou, Zagreb, Uppsala, Tunis, Le Caire… Il est connu que, durant la guerre de libération, l’écrivain parcourait l’Europe d’Ouest en Est et du Sud au Nord, Paris restant le point fixe où son œuvre littéraire et théâtrale se publiait, se montrait.
Ce qui me paraît problématique c’est la citation mise en exergue dans l’article, mais non référencée, et attribuée à Kateb. Son contenu me paraît outrancier et d’une radicalité incompatible avec la finesse de l’analyse et du style katébien. Cette citation est-elle apocryphe ?
Pour lever le doute et livrer aux lecteurs une information vérifiée, il serait utile et déontologique d’en donner les liens bibliographiques et éventuellement de la comparer avec les dernières déclarations de Kateb à propos du sujet Religion et publiées dans le livre : Le Poète comme un boxeur, éditions du Seuil, 1994, pages 165 et suivantes.
A lire aussi les courts textes narratifs dans L’œuvre en fragments, Ed. Sindbad, 1986. Kateb y précise son point de vue sur cette question. Voilà ce qu’il répond à Hamid Barrada qui l’interrogeait en 1985 sur son rapport au religieux : Je me sens profondément antireligieux quand la religion- toute religion- me terrorise, et la religion me terrorise dès lors qu’elle s’érige en religion d’Etat, s’assimile au pouvoir d’Etat et abandonne son territoire pour envahir l’école, le cinéma, la littérature. Si elle se contentait d’être affaire de croyance personnelle et demeurait à sa place, je n’y verrais aucun mal. Ce que je récuse, c’est la terreur religieuse… »
La liberté de conscience et de pensée du poète est connue, son art de la polémique, son impertinence, sa véhémence et sa connaissance de l’histoire aussi. La laïcité est pour lui un principe cardinal sur lequel s’articule son combat d’intellectuel. Son engagement politique et philosophique est exemplaire et inaugural dans le monde arabe. Sans jamais être suspect de démagogie populiste, son discours s’adresse aux Algériens dans leurs conditions de colonisés, de déculturés, d’aliénés, d’exploités et de croyants… de victimes de toutes les impostures religieuses et militaro-politiques.
Il savait faire la distinction entre la religion (ici l’Islam), fait de civilisation et de spiritualité et les religieux qui l’instrumentalisent en pouvoir de Dieu, l’incorporent au politique et empêchent, par la force et la terreur, l’exercice du libre arbitre et donc de la citoyenneté. La terrible séquence historique qui commence en Algérie au début des années 1990, qu’il n’a pas connue, lui donnera raison.
Kateb et le Vietnam. Il est écrit dans l’article de Bencheikh que Kateb séjourna de 1967 à 1970 au Vietnam et qu’il participa au combat des Vietnamiens aux côtés du président Hô Chi Minh et du général Giap. Je ne commenterai pas le supposé compagnonnage de l’écrivain algérien et des deux hauts dirigeants du Vietnam en lutte pour son unité territoriale. Une question légitime : de quel ouvrage d’histoire Kamel Bencheikh puise-t-il cette affirmation glorieuse, mais fantasmée ? La réalité est plus simple. Elle est le fruit d’un hasard géopolitique comme si elle avait été écrite par Kateb lui-même. C’est par un jeu de carambolage que Kateb, parti d’Alger à destination de Moscou, se retrouve à Pékin et de Pékin à Hanoï.
En juin 1967, il est invité au congrès de l’Union des écrivains soviétiques. La délégation chinoise, qui y participe, l’invite à Pékin et invite également la délégation vietnamienne, présente. Kateb découvre la Chine dans la grande agitation de la révolution culturelle du Livre rouge. La délégation vietnamienne invite l’Algérien à visiter le Vietnam dans sa partie nord. A la fin juillet, Kateb quitte Pékin pour Hanoï et y séjourne tout le mois d’aout.
Le second voyage au Vietnam de Kateb date du 25 décembre 1970. Il fait partie d’une délégation officielle. Il s’en libère dès leur arrivée à Hanoï. L’homme aux sandales de caoutchouc est publié à Paris. L’oncle Hô est mort le 2 septembre 1969.
Les moments vietnamiens sont décisifs et féconds pour Kateb. Il voit une révolution se faire dans la réalité où l’espérance domine la souffrance et la mort, où les hommes inventent leur vie et les conditions de leur liberté. Il recoud la trame de l’écriture. Il regarde d’une autre façon le monde, manifeste sa solidarité pour la Palestine, les Noirs américains, l’Afrique du Sud…
Benamar Mediene