18 avril 2024
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« Périphéries », la sublime rudesse du nouveau roman de Philippe Lafitte

« Un bruit de plastique froissé la réanime, Nuri fouille dans un sac de courses ; « Tu es la honte de la famille», il grogne en lui jetant au visage un paquet qui se défait et tombe à ses pieds. Un hidjab, noir et long, cette fois. L’isolement, l’effacement et le deuil de soi-même. L’humiliation comme une gifle. La colère qui monte. Il me prend pour un meuble. « Tu le porteras demain matin. » Une bête de somme qu’on parque dans un enclos. « C’est comme ça. » Qu’on mène à l’abattoir » Périphéries, Philippe Lafitte

Avec Périphéries, Philippe Lafitte réussit un roman tellement noir que la noirceur semble se coller à l’esprit du lecteur. Tout y est construit pour donner cette impression de vies ternes, de malheurs assourdis sur fond d’une réalité crue. Il s’agit ici de Virgile, non pas le célèbre poète romain, mais d’un jeune Rom, qui entretient son corps sous les halos des voitures qui roulent sur le bitume des autoroutes qui tournent autour de Paris et, subséquemment, dans une salle miteuse du côté de Gennevilliers.

Virgile est installé, avec tout son clan de manouches venu de Roumanie, sur un terrain vague situé entre Gennevilliers justement et Clichy, à quelques encablures du périphérique nord de la capitale française. Le jeune homme a tout juste vingt ans et donc l’âge de tous les possibles. Un des rêves auquel il s’accroche désespérément, c’est d’acheter un vieux car pour ramener toute sa famille élargie en Roumanie, à Bezuscu, ville aux milles châteaux construits justement par des Roms. Pour décrocher ce rêve, Virgile n’a qu’une possibilité : passer des « combines  habituelles » des roms au trafic de drogue.

Pour ce faire, il n’a pas d’autre possibilité que d’empiéter sur le territoire de Nuri, un petit caïd de Gennevilliers qui ne veut pas se faire dépecer par un manouche. Nuri a une sœur, Yasmine, qui travaille justement à la réception de la salle de musculation fréquentée par Virgile. La vie de la jeune femme se partage entre son travail et l’appartement HLM où se trouvent sa nombreuse fratrie et son père malade sous le regard despotique du grand frère. Yasmine est obligée de ne plus fréquenter l’université et de porter le voile, une double peine partagée par des milliers de jeunes femmes des banlieues.

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La vie des personnages n’est pas celle des jeunes des quartiers chics du XVIe arrondissement et leurs destinées ne sont pas tracées avec un cordeau. Les jeunes, que Philippe Lafitte met en scène sous nos yeux, mettent tout en branle pour échapper au fatalisme. Le reste est à découvrir par soi-même dans ce roman d’une rugosité sublime et d’une représentation de la société à la limite de la désespérance.

L’architecture de Périphéries est celle des grands constructeurs – nerveuse et convulsive. Le roman est juste sublime, il nous montre une France qui se trouve en bordure des civilisations, à la lisière des sociétés évoluées. Périphéries est à l’évidence un grand roman et Philippe Lafitte un grand romancier.

Kamel Bencheikh

Périphéries, Philippe Lafitte, Mercure de France, 176 pages, 18 €

 

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