26 avril 2024
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«Les Clés du couloir», l’insoumission glorieuse des mots

«Tout est construit parfaitement pour retourner nos cerveaux, nous faire flancher, capituler pour qu’au moins ça s’arrête. Il suffirait de dire « oui », un si petit mot, qui peut changer une vie. Les Clés du couloir, Fanny Saintenoy

Dans son nouveau roman, Les Clés du couloir, Fanny Saintenoy a choisi un cadre bien singulier, une prison pour éléments déviants. Trois personnages occupent tout l’espace du texte narratif. Il y a d’abord Petra au prénom qui nous catapulte directement dans la cité perdue des Nabatéens. Circonstances aggravantes, cette femme est divorcée d’un indien qui a eu le temps de repartir vers son pays natal, en prenant avec lui les deux enfants métis du couple. Arrêtée pour athéisme, c’est elle qui ouvre le bal en se confiant, épistolairement, à Omeg, un ancien gérontologue, prisonnier au pavillon H, celui des homosexuels.

Pour lui faire parvenir ses lettres, Petra a recours à sœur Constance qui fait office ici, en même temps, de gardienne officielle et de factrice clandestine. Pour la prendre dans sa toile et attirer sa sympathie et croire en son silence, Petra confectionne un stratagème imparable : elle lui fredonne les chansons de Jacques Brel, de Barbara et de Léo Ferré.

Dans cet univers dystopique, les internés ont quand même le droit de se promener dans la cour où les résidents des différents pavillons ne peuvent pas se croiser. C’est à l’occasion d’une de ces promenades que le regard de Petra tombe sur la silhouette d’Omeg. Elle décide d’entretenir avec ce dernier une relation épistolaire, lui parler d’elle et lui dire ses espoirs quant à une possibilité d’une nouvelle prise de la Bastille.

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Pour que sœur Constance continue de jouer à l’intermédiaire entre les deux prisonniers, Petra lui chante les ritournelles du grand Jacques et de la dame en noir. Afin que tout se passe bien pendant ces séances, les lèvres de Petra doivent bouger comme s’il s’agissait d’une simple prière. Toute confession est interdite entre les murs blancs des cellules individuelles. Les seuls moments où la parole peut vaquer librement vers les oreilles des prisonnières, c’est lors des réunions organisées en groupes par la mère supérieure pour que les incarcérées puissent enfin accéder au salut et se racheter.

Les Clés du couloir ont ce pouvoir de nous restituer non seulement le monde aliéné que vit le trio que Fanny Saintenoy met en scène mais aussi et surtout celui de l’écrivaine qu’elle porte sur notre société versatile avec les yeux de quelqu’un de lucide. À travers les lettres que Petra adresse à son correspondant, nous pouvons deviner en filigrane la crainte de l’autrice que tout peut basculer sans prévenir.

Il reste que Fanny Saintenoy possède un talent fou pour charpenter nos espoirs de révolte en nous mettant face à nos multiples responsabilités. Son roman est une véritable pépite qu’elle nous offre pour que nous marchions toujours la tête haute.

Fanny Saintenoy a, c’est une évidence, cette force et ce génie d’articuler ses mots pour que nos certitudes soient toujours à la hauteur de nos espoirs. Elle nous livre un magnifique roman remarquablement actuel qui nous donne matière à réflexion.

Kamel Bencheikh

Les Clés du couloir, Fanny Saintenoy, Editions Arléa, 176 pages, 19 €.

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