22 novembre 2024
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Rencontre avec Habiba Benhayoune

Habiba Benhayoune vient de publier un roman poignant, bouleversant, Cœur berbère, chez les éditions Ardemment, il raconte un drame humain, celui d’une famille, de cette petite fille assistant sans défense aux coups portés à sa mère par son père. Ces mêmes coups qu’elle sentait retentir dans son propre corps frêle.

Il y a des romans qui nous font rire ou sourire, celui-ci nous déchire par la force et la justesse des mots choisis, tranchants comme une lame fraîchement aiguisée tirant le lecteur de son confort en le laissant en larmes, il aimerait s’interposer pour protéger et rendre le sourire à cette petite fille et sa mère.

Ce roman nous raconte une tragédie mais aussi un drame psychologique, celui de cette famille originaire du Rif, secouée par une misère sociale qui s’accompagne d’une violence sans nom.

Ce roman pose des questions cruciales, celles du déracinement et de l’exil qui s’impose, de l’ortie qui étouffe la rose, dans une société rifaine du silence, des non-dits, où les femmes sont invisibles, écrasées par le poids des traditions, dans un monde d’hommes, souffrent en silence.

Du Maroc à l’Algérie, jusqu’en France, l’exil pèse, laissant des braises dans les entrailles et des âmes qui brûlent comme un feu de paille que personne ne voit, on se consume en silence, seules les cendres trahissent le feu qu’on se démène à cacher.

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Ce n’est qu’en dépassant le repli vers la culpabilité, dépassant, fracassant les tabous, qu’on entrevoit la liberté, pour se retrouver et se reconstruire.

Ce roman est un fleuve d’émotions qui interpelle notre cœur et notre esprit, il nous dit que même dans la nuit la plus sombre apparaît une lucarne d’où jaillit l’éclaircie qui rend tout possible, même le pardon impossible.

Le Matin d’Algérie : Vous venez de publier, Cœur berbère, chez les éditions Ardemment, un roman qui laisse des traces, qui transpire le vécu, qui est Habiba Benhayoune ?

Habiba Benhayoune : Cœur berbère est paru fin 2022 aux Éditions Ardemment à Paris. Habiba Benhayoune est une autrice, simple citoyenne française avec une double culture, qui toute sa vie s’est battue contre les aléas de la vie pour être et non paraitre, dans l’humilité et la discrétion. Habiba a traversé les mers houleuses, bravé des tempêtes pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui.

Le Matin d’Algérie : Vous étiez dernièrement au café littéraire parisien de l’Impondérable, invitée de l’écrivain Youcef, vous avez évoqué votre histoire familiale jalonnée de blessures, de souffrances, de silences, vous avez ému le public, le laissant au bord des larmes, comment peut-on se reconstruire après une jeunesse écorchée, volée ?

Habiba Benhayoune : Oui tout à fait et je salue le café littéraire de m’avoir accueillie ainsi que Youcef, que je félicite pour son initiative d’organiser ces rencontres littéraires qui permettent aux auteurs de s’exprimer. J’ai rencontré Youcef en février lors du salon du livre franco-berbère (CBF) et il m’a proposé de présenter mon livre au café littéraire.

L’histoire du roman n’est pas isolée. Les thèmes que j’y aborde de l’intérieur, à savoir la violence conjugale, le déracinement, l’exil, la souffrance que peuvent endurer des enfants dont les parents en font des covictimes est inhumaine. Cette violence est universelle, elle n’a ni visage, ni frontière. C’est ce que ce livre cherche à partager. Beaucoup de gens peuvent s’identifier à l’histoire de Yemma et de la famille du pêcheur, qu’ils se situent à n’importe quelle échelle sociale, leur histoire se ressemble. Le livre se veut porteur d’espoir et s’adresse à tout le monde, femmes, hommes, et concerne notamment les enfants en développement. Quel est le devenir de ces enfants qui vivent ces violences en spectateurs tétanisés, impuissants ! Ils mémorisent indéniablement des chocs pour le reste de leur vie car, les blessures du passé ne cicatrisent jamais totalement.

Le livre, non seulement, évoque la profondeur de la souffrance de la jeunesse d’Aouïcha, mais elle a commencé bien plus tôt, dès le berceau. Un enfant enregistre tout. Un enfant est une personne. Tout commence pour lui à ce moment-là. À partir de là, il peut devenir très sensible et voire même devenir fragile. Plus tard, certains s’en sortiront quand d’autres s’enliseront. La différence viendra des outils que chacun d’eux mettra en œuvre ou pas afin de sortir « presque » indemnes de cet héritage imposé, non choisi.

Cette écriture verbalise les violences, tapies souvent sous silence, pour les mettre en lumière.

Le Matin d’Algérie : Vous êtes psychologue du travail, est-ce les déchirements de votre vécu qui vous a ouvert les portes de la psychologie ?

Habiba Benhayoune : il faut savoir que je suis devenue psychologue du travail sur le tard. Après un bac littéraire et un BTS de tourisme, j’ai exercé plusieurs métiers auparavant. Au départ, j’ai souhaité reprendre des études en cours du soir, conciliant vie professionnelle et familiale. À quarante ans j’intègre le Conservation Nationale des Arts et Métiers de Paris pour y préparer le diplôme de Psychologue du Travail en autodidacte.

Au départ, c’est l’expérience acquise au cours du parcours professionnel qui m’a conduite vers ce projet qui consistait à apprendre à comprendre les interactions en situations de travail. Qu’est-ce qui fait que les gens tombent malades au travail alors que pour moi, le travail est synonyme d’équilibre. J’ai mis sept ans au lieu de huit pour couronner ces longues années d’études. Ce sont ces études qui m’ont ouvert les yeux, m’ont fait comprendre ce que moi-même trouvais nébuleux. Cette prise de conscience m’a donné l’envie de me livrer. Un premier livre, l’Exil dans la vapeur » est paru en 2010 Aux Editions l’Harmattan. Un livre qui rend hommage au travail dit « invisible » et à l‘absence de reconnaissance.

J’ignore si mon vécu passé est la raison qui m’a donné l’idée de retourner aux études tout en travaillant, mais ce qui est certain, c’est que la rencontre avec des concepts de certains psychologues, entre autres (Freud, Vygotsky, Wallon, Piaget, etc.) résonnaient très fort chez moi. Ils m’ont permis de franchir des portes que je pensais closes à jamais. Je me sentais renaitre après chaque victoire. J’appris que le langage instrumentalise la pensée. Je me mets ensuite à griffonner tous les mots interdits que j’avais mémorisés depuis l’enfance et qui bouillonnaient dans ma tête. Ces mots interdits hérités que je m’entendais dire : « ne rien dire, ne rien faire, ce serait la honte ». Ces paroles que tout enfant enregistre n’est pas toujours efficace. Avec le temps et du recul, j’ai réussi à mettre des mots sur les maux qui me rongeaient en profondeur pour donner sens à une grande douleur refoulée depuis toujours, convertie en amnésie infantile.

L’objectif étant de réaliser mon indépendance, parvenir à me reconnaître dans une identité propre. Donc, oui ces études ont été une bénédiction pour moi. Mieux vaut tard que jamais.

Le Matin d’Algérie : Vous avez l’art de la narration, de la description, quels sont les écrivains qui vous influencent ?

Habiba Benhayoune : Ce livre s’est écrit dans ma tête tout le long de ma vie. Forcément, je me sens influencée par les écrivains, j’ai beaucoup lu étant jeune. Je lis un peu de tout. J’aime apprendre, tout peut m’interpeller, un livre, une affiche placardée dans les stations de métro, un tableau dans un musée, les voyages, les gens d’ailleurs avec leurs différences. Il ne faut pas oublier aussi que j’ai baigné dans une double culture dans le sud de la France et à Paris. Je passais mon temps à fréquenter les bibliothèques en dehors de l’école. Je ne partais pas en vacances. J’ai une écriture simple, accessible à tous et quand j’écris, je me demande si le lecteur comprendra, donc je me mets à sa place. J’affine, j’aime créer.

D’autre part, mon enfance passée sous silence dans mon pays natal, l’Algérie, dont les couleurs flamboyantes m’ont dotée de souvenirs inoubliables qui ne peuvent que raviver des mots et surtout une sensibilité emplie d’émotions. Ça va de soi. La nature environnante en en bord de mer là-bas parmi les pêcheurs, à Coralès, m’a bercée et encensée, semant une poésie irénique dans mon cœur. L’amour des choses, la saveur de la vie, la douceur de certains instants sont des éléments propices à l’écriture.

Plus tard, je découvrirai des auteurs et poètes classiques au collège et lycée. Ils me rendaient la liberté qui me manquait. Je devenais aérienne, me laissais entrainer dans une farandole poétique grâce à Ronsard, Baudelaire, Prévert, Gide.

Cependant ma route, semée d’embûches et d’écorchures indéniables, formait une ambivalence entre la vie familiale à la maison et l’école qui, paradoxalement m’offrait un espace propice à la rêverie. L’école de la République devenait ma deuxième famille. Les écrits de Victor Hugo résonnaient tellement chez moi. J’avais l’impression d’avoir vécu dans les Misérables. Je détestais les Thénardier de maltraiter Cosette. Tantôt gavroche car je me suis construite seule, tantôt Cosette quand il m’arrivait de n’avoir rien quand j’étais étudiante, seule au monde à Paris, mais la ténacité et l’espoir me poussaient à persévérer, me contentant de faire silence, de passer inaperçue. J’ai appris à me relever très vite de mes chutes. J’aime la poésie et je pense que je dois ce don précieux à ma mère qui m’a nourrie de contes et de chants amazighes.

Le Matin d’Algérie : Le poids des traditions cause encore bien des souffrances, l’Afrique du Nord peine à se démocratiser, la littérature peut aider à son émancipation, qu’en pensez-vous ?

Habiba Benhayoune : Les traditions ont été transmises de nos aïeux à nos parents qui nous les inculquent. Nous héritons de ce partage intacte, d’origine, qui ne s’adapte pas forcément au contexte moderne. Pourque ces traditions puissent continuer de se perpétuer, elles doivent s’adapter continuellement au parcours de chacun, les vivre autrement, les améliorer, ou rendre caduques certaines. Le monde avance en s’adaptant constamment. C’est alors que les traditions utilisées à bon escient, à petites doses, peuvent être bénéfiques et leur poids s’alléger. Il faut trier les choses pour alléger et convertir en positifs ce qui peut l’être. Une personne ne peut pas prendre à la lettre tout ce qui se dit tout comme elle ne peut pas non plus porter les valises seule au risque de s’effondrer ! Utiliser avec parcimonie et intelligence ce qui est positif et s’écarter du négatif. Agir en fonction de chacun et je sais pertinemment qu’on ne peut pas plaire à tout le monde. À chacun de saisir sa liberté d’action, sa destinée.

La littérature ne suffit pas à elle seule à prétendre être une solution. Elle s’adresse aux lettrés mais que faire des personnes si nombreuses encore à ne pas fréquenter l’école, nombre de filles aujourd’hui n’ont jamais mis les pieds dans une école. À la campagne, souvent elles sont mariées jeunes, on ne leur demande pas leur avis. Même si des progrès sont fournis à ce sujet, la route reste encore loin, longue, inaccessible à la gente féminine. On ne peut pas parler d’émancipation dans ce cas si l’éducation demeure inabordable.

Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?

Habiba Benhayoune : Oui, tout à fait un projet en cours, en gestation. Un autre à venir plus tard, j’ai besoin de temps. Je ne suis qu’à mon début et le dernier mot n’est jamais dit me concernant.

Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?

Habiba Benhayoune : Je vous remercie de me donner la parole. Je suis honorée que le Matin d’Algérie s’intéresse à mon livre dans lequel j’adresse un clin d’œil à mon pays natal. Je ne me sens plus seule désormais.

Je souhaite transmettre un message aux jeunes filles, aux jeunes femmes pour leur dire de ne pas rester dans l’ombre, de continuer à persévérer même si c’est dur, rien ne vaut la dignité, un combat de tous les jours, l’humilité, le respect de soi et des autres, et l’humanité dont j’ai moi-même été dotée par ma mère. La sagesse dans laquelle elle m’a élevée m’a sauvée. Aujourd’hui je continue mon chemin de résilience. La mémoire de certains souvenirs est toujours présente et me susurre à l’oreille « qu’on ne guérit pas de son enfance mais qu’on peut y survivre ».

Ce livre est un hommage à Yemma qui a beaucoup tremblé pour moi. Elle m’a encouragée à aller de l’avant. Une mère est universelle, une mère est irremplaçable. Elle donne la vie. Elle est le pilier de sa famille, elle porte et supporte, c’est elle qui continue de se battre, de porter le monde quand d’autres abandonnent. Cette femme dont la vie, mise à dure épreuve, est passée sous silence. Cette femme amazighe analphabète au foyer est avant tout Yemma. Elle m’a encouragée à persévérer pour devenir indépendante financièrement afin, je cite ses mots, « ne pas être une bourrique qui reçoit le bâton ».

Son intelligence pratique m’a construite, sa sagesse m’a fait grandir. Je suis fière d’avoir été sa fille. Le pardon peut être rendu possible mais pas les actes de violences.

Entretien réalisé par Brahim Saci

4 Commentaires

  1. Je cite: «  La littérature ne suffit pas à elle seule à prétendre être une solution. Elle s’adresse aux lettrés mais que faire des personnes si nombreuses encore à ne pas fréquenter l’école, nombre de filles aujourd’hui n’ont jamais mis les pieds dans une école. À la campagne, souvent elles sont mariées jeunes, on ne leur demande pas leur avis. Même si des progrès sont fournis à ce sujet, la route reste encore loin, longue, inaccessible à la gente féminine. On ne peut pas parler d’émancipation dans ce cas si l’éducation demeure inabordable. »

    Madame, la literature c’est de la programmation. Il a 2 formes: Authentique et Abrutissante. Vu qu’auncune des langues Nord-Africaines n’est libre de s’ecrimer ou meme d’exister, et les langues etrangeres sont DES MENSONGES GROSSIERS, c.a.d. DE LA TROMPERIE PURE, alors, vive les langue orales. Il ne s’agit pas alors d’education ou de savoir du tout, mais d’un rapport de force entre populations. Pour certaines elles manquent de moyens, d’autres de diciplines pour rentabiliser leurs moyens surtout Humains et pour d’autres encore, c’est une question d’effectif. Effectif pour avoir mal-investi, c.a.d. avoir perdu tous leurs hommes dans la liberations des autres. Mais, tot ou tard, les equilibres naturels seront retablis et avec eux l’Ordre Naturel. Ce dont il y a besoin est que davantage de femmes aillent vivre en Kabylie. Et les barbus se reproduisent entre eux !!!
    Ce dont il ya besoin, c’est plus d’Hommes forts, de vrais, qui etablissent le rapport necessaire avec les obscurantistes. Et, c’est pour ca je vous dit que c’est une question de rapport de force. La literature c’est de la masturbation mentale !

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