Sadek Yousfi fait partie de cette belle jeunesse algérienne, kabyle, émergente, une nouvelle génération d’artistes doués et passionnés qui remplissent la scène artistique par des créations de qualité qui laissent le public dans l’émerveillement.
Loin d’être une fracture avec la tradition orale, cette nouvelle ère de la création jaillissante est complémentaire, elle élève et rehausse l’héritage culturel vers une ouverture salutaire sur le monde, tout en sauvegardant ses spécificités évidemment.
Sadek Yousfi est un homme cultivé aux talents multiples, s’il a la carrure des acteurs américains il n’a rien à leur envier tant il manie l’art de la comédie avec justesse et passion.
On peut dire que Sadek Yousfi crève l’écran et fait vibrer les scènes de théâtre par son jeu naturel et vrai malgré son jeune âge. Il joue aussi bien au théâtre, au cinéma, qu’à la télévision. Il est aussi écrivain et metteur en scène pour le théâtre.
Quand on le voit une fois on ne l’oublie pas tant son charisme est grand, ce qui s’ajoute à ces nombreux talents, que ce soit le chant, la composition ou la comédie, Sadek Yousfi se sent à l’aise, il est chez lui, l’art accapare tout son être, pour n’en faire qu’un avec lui.
L’art et la musique ont été ses passions depuis sa tendre enfance. Cet enfant d’Iferhounene en Kabylie fait plaisir à voir et à écouter, c’est à la maison de jeune d’Iferhounene qu’il a fait ses débuts au théâtre.
Sadek Yousfi est aussi auteur compositeur interprète, c’est une voix avec une musique qui sonne l’universel sans toutefois perdre ses repères d’où le génie de Sadek Yousfi, qui sait fort bien marier des sonorités nouvelles à des airs empreints des parfums d’Afrique, kabyles et berbères.
Sadek Yousfi poursuit actuellement des études théâtrales à l’université Paris-8.
Le Matin d’Algérie : Votre parcours est fascinant, du théâtre au cinéma, comédien metteur en scène, de la musique au chant, vous êtes auteur compositeur interprète, la passion des arts vous anime, qui est Sadek Yousfi ?
Sadek Yousfi : Pour commencer azul fell-awen, donc Sadek est un jeune passionné des arts vivants, depuis ma tendre enfance je rêvais d’être sous les feux de la rampe, je me sens si bien quand je suis sur scène, j’aime la connexion, le partage et l’échange qui se créent avec le public.
J’ai grandi à iferhounene, depuis mon enfance je suis passionné par l’art, surtout la musique, en 2008 j’ai découvert le théâtre à la maison de jeunes d’iferhounene, grâce à monsieur Houche Salah, il nous a fait une formation suivie de la réalisation d’une pièce de théâtre qui s’intitule, Ulac el herrga ulac, un spectacle qui a donné plus de trois cents représentations sur les chaînes nationales.
À l’époque, j’ai fait du théâtre dans l’association de la maison de jeunes nommée : Hamid ben Tayeb. En 2011 avec mon équipe on a créé la coopérative théâtrale, Macahu, avec laquelle on a produit une pléthore de spectacles avec beaucoup de metteurs en scènes, où j’ai joué en tant que comédien, tel que Lunja, yennayi jeddi, Tafat deg cqiq n tlam, Tislit n wenzar, Tadsa di twaghit…
En 2015, je suis nommé président de la coopérative théâtrale, Macahu, j’ai piloté cette coopérative en décrochant le grand prix de la meilleure pièce au festival national du théâtre amazigh en 2016, avec la pièce, Tadsa di twaghit.
En 2017, je tente ma première tentative de mise en scène sur le texte, Sin-nni, de Mohya, adapté de la pièce, Les Émigrés, de Slawomir Mrozek (écrivain, dramaturge franco-polonais), avec cette pièce on a décroché plusieurs prix, à l’instar de la meilleure pièce au festival national du théâtre jeunesse à Boumerdès.
En 2022, j’adapte et je mis en scène, Asdarfef, d’après, Les chaises, de Eugène Ionesco, avec lequel je décroche la meilleure mise en scène au festival du théâtre amazigh à Batna. J’ai joué à Tamenghest.
Avec la troupe de Azzouz Abdelkader, au théâtre régional de Tizi, j’ai joué dans deux productions, une en 2019 (Anag wis sebaa), et une autre en 2023 (Rosa hnini). Au cinéma j’ai joué dans plusieurs courts métrages en français comme : Celui qui brûle, Ne rien écrire sur mon épitaphe, en kabyle, J’ai joué un long métrage qui s’intitule : Azamul et un feuilleton ramadanesque qui s’intitule, Tayri d texidas. J’ai à chaque fois incarné le premier rôle.
Dans la musique, j’ai deux clips disponibles sur YouTube, Werggegi et Anida-ten, et je sors bientôt un nouveau titre. Sinon je suis actuellement étudiant en licence théâtre à l’université Paris 8 de Saint-Denis.
Le Matin d’Algérie : En Algérie, on a l’impression que tout est à faire, il y a si peu de productions, aussi bien théâtrales que cinématographiques, pourtant les talents ne manquent pas, mais le public ne montre que très peu d’intérêts aussi, que faut-il faire d’après vous ?
Sadek Yousfi : Il y a malheureusement un manque de formation et de culture théâtrales, les algériens savent très peu de choses sur le théâtre et le cinéma, on a pas eu un Shakespeare, un Molière, ou un Brecht, c’est pour dire qu’on a pas beaucoup de références, hormis quelques tentatives de Alloula (Abdelkader Alloula), Kaki (Abdelkader Ould Abderrahmane, dit Abderrahmane kaki), et Mohya (Abdallah Mohia) pour ne citer que ceux-là.
On se sent coupé du monde, on ne regarde pas ce qui se fait ailleurs, on s’est quelque peu refermés sur nous-mêmes, et l’on ne peut pas avancer sans s’ouvrir aux autres. C’est ce que Mohya (Abdallah Mohia) a compris en adaptant les grands auteurs universels comme, Am win yettrajun Rebbi, En attendant Godot, de Samuel Beckett, Aneggaru a d-yerr tawwurt, La Décision, de Bertolt Brecht, Llem-ik, Ddu d udar-ik, L’exception et la règle, de Bertolt Brecht, Tacbaylit, La Jarre, de Luigi Pirandello, Si Lehlu, Le Médecin malgré lui, de Molière, Si Pertuf, Tartuffe, de Molière Muhend U Caâban, Le Ressuscité, de Lu Xun.
Il y a des versions d’Antigone (une tragédie de Sophocle qui se déroule en 442 avant J.-C), de Roméo et Juliette (une tragédie de William Shakespeare publiée en 1597), de Médée (une tragédie grecque d’Euripide, produite en 431 avant J.-C), dans beaucoup de langues, alors pourquoi pas nous ? C’est dans ce sens qu’il faut aller, mettre les gens qu’il faut là où il faut et leur donner les moyens de travailler. Après, le public va suivre, c’est une évidence. C’est à l’artiste d’orienter le public non l’inverse.
Le Matin d’Algérie : La bonne santé des arts révèle le niveau de bonheur d’un pays, en quoi l’art peut-il aider au rayonnement d’un pays ?
Sadek Yousfi : Faut dire que le système en Algérie n’aide pas beaucoup l’artiste, toutes les salles sont monopolisées et étatiques, il n’y a pas de salles privées comme partout dans le monde où l’artiste pour se produire, il n’y a pas d’industrie musicale et cinématographiques qui entraîne un grand business du sponsoring des médias … etc.
L’artiste souffre en silence chez nous, déjà qu’il n’a même pas un statut digne pour le couvrir, ici en France ils ont l’intermittence, pas chez nous !
En plus de cela l’artiste est toujours pointé du doigt, quand il y a un deuil, c’est à lui d’annuler ses spectacles, quand il y a un problème c’est à lui de prendre position et le régler, c’est comme si l’artiste devait tout résoudre. Il doit parler du sport, de la politique de la météo… je pense qu’on demande trop de l’artiste.
Si on lui offre juste les conditions nécessaires pour produire son art et lui permettre de bien le diffuser, je pense que ce serait mieux pour tout le monde.
Le Matin d’Algérie : Vous passez d’un art à l’autre avec une facilité déconcertante, le théâtre, le cinéma, la composition musicale et le chant, comment réussissez-vous cette performance ?
Sadek Yousfi : Je pense que celui qui a une formation théâtrale peut facilement passer d’un art à l’autre. Le théâtre est un art tellement complet qu’il est comme une passerelle qui s’ouvre vers toutes les autres expressions artistiques.
Le théâtre est le père des arts, pour être un bon comédien de nos jours il faut non seulement savoir jouer ou incarner des rôles mais en plus chanter, danser, et avoir une bonne expression corporelle.
Au théâtre, on travaille la diction, la voix, l’imaginaire, le corps, ces exercices là on les retrouve aussi dans le cinéma et le chant …. J’insiste sur la formation, quelle soit physique ou intellectuelle.
Le Matin d’Algérie : Vous êtes un chanteur talentueux, mais on vous voit peu sur scène, est-ce parce que vous faites du cinéma une priorité ?
Sadek Yousfi : Tous les kabyles sont des chanteurs de nos jours (rire), il y a beaucoup de concerts, et il y a même un grand public pour ça, mais en ce qui me concerne j’ai fait du théâtre une priorité, j’aspire à un théâtre universel en kabyle. Avec la chanson on arrive à remplir les plus grandes salles parisiennes comme le Zénith, je rêve qu’on puisse faire la même chose pour le théâtre et le cinéma kabyle.
Nous avons malheureusement l’impression qu’il n’y a que la chanson dans notre culture, d’ailleurs le grand public ne connait pratiquement que les chanteurs. Les auteurs, les réalisateurs, les metteurs en scènes restent méconnus. Il reste donc beaucoup à faire.
Le Matin d’Algérie : Quels sont ceux qui vous influencent dans le théâtre, le cinéma et la musique ?
Sadek Yousfi : L’art en général et les artistes universels m’influencent, je suis sensible aux œuvres intemporelles. Charlie Chaplin au cinéma était extraordinaire, sans dire un mot, il a fait rire le monde entier, la seule expression de son visage suffisait, de l‘Amérique à l’Afrique, à l’Europe à l’Asie, la seule évocation de son nom fait rire. Parce qu’il s’adresse au cœur humain, Charlie Chaplin a su toucher le monde entier.
Concernant le théâtre, je dirais le théâtre de Vsevolod Meyerhold (Karl Kasimir Theodor Meierhold dit Vsevolod Emilievitch Meyerhold un dramaturge et metteur en scène russe), Car c’est un théâtre qui se base sur l’expression corporelle, pas sur le parler, et le corps est compris par le monde entier, on a soif de la même façon, on manifeste partout la douleur de la même façon.
Pour ce qui est de la musique, j’aime la musique dite moderne et les fusion musicales…
Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours et à venir ?
Sadek Yousfi : Je sors bientôt ma nouvelle chanson avec un clip filmé comme au cinéma, comme j’aime le faire dans tous mes clips, j’essaie de raconter une histoire qui ne raconte pas tout à fait le texte de la chanson mais une histoire qui marche en parallèle avec le texte de la chanson, donc proposer au public deux œuvres dans une seule.
Dans le théâtre, j’ai finalisé l’écriture d’un monodrame féminin, que je souhaite mettre en scène très bientôt.
Pour ce qui est du cinéma, j’ai des propositions ici en France mais rien n’est encore décidé. On verra d’ici là.
Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?
Sadek Yousfi : Pour conclure, j’appelle les jeunes artistes à s’instruire, à encourager la formation, parce que le don à lui seul ne suffit pas, si tu manques d’intellect tu vas vite disparaître, j’appelle les autorités concernées à ouvrir les portes des théâtres, à encourager encore plus cet art, et j’espère qu’un jour on aura des œuvres à l’image de Vava inuva ou de Nedjma de Kateb yacine qui feront parler d’elles dans le monde.
Entretien réalisé par Brahim Saci
Chaîne YouTube : https://www.youtube.com/@SadekYousfi