Dimanche 6 juin 2021
Repentance : Bouteflika est passé par là…
Dans l’interview donnée au Point, le président Tebboune a laissé entendre que l’Algérie n’exige plus la repentance de la part de l’ancienne puissance colonisatrice, mais se contenterait d’une simple « reconnaissance » des crimes coloniaux. Les journalistes : « Vous parlez finalement davantage de reconnaissance que de repentance ? » Réponse de Tebboune : « Reconnaître, c’est une forme de repentance. »
Pourquoi ce recul ? Aveu de faiblesse devant le refus obstiné des autorités françaises de faire repentance ? Souci de ne pas embarrasser Macron ?
Ni l’un ni l’autre. En fait, l’Algérie officielle a été piégée par l’ancien président Bouteflika qui, comme chacun a fini par le savoir, ne répugnait pas à troquer la fierté nationale contre une tape sur l’épaule, une considération d’un instant ou un sac de verroterie.
Les Emiratis avaient largement profité des largesses accordées ce méprisable personnage qui a enrichi des escrocs du Golfe et appauvri son pays. C’est lui qui a imposé l’abandon de la repentance… contre un soutien de Sarkozy pour un troisième mandat.
Le 21 novembre 2007, à 10 jours de la visite officielle du président Sarkozy en Algérie, Bouteflika instruit le chef de la diplomatie algérienne, Mourad Medelci, de la besogne, annonce ainsi à Paris, lors d’une conférence de presse conjointe avec le ministre français des Affaires étrangères, que les excuses de la France, pour ses crimes de guerre, n’étaient plus une priorité : « Je pense que le plus sage est de laisser le temps agir en espérant que cette question trouvera une réponse un jour… Il faut savoir garder la porte ouverte à nos deux sociétés et à l’intelligence de nos deux peuples qui sont capables de suivre le bon chemin. »
Ensuite, le quitus au projet d’Union méditerranéenne « pour envisager une Méditerranée de paix et de sécurité face à toutes les menaces », applaudissant à « cette idée forte de codéveloppement que le président Sarkozy a abordée, comme par exemple ce projet de mise en place d’une banque méditerranéenne qui viendrait soutenir des projets communs aux deux rives ».
C’était l’erreur de trop : dans sa hâte à vouloir forcer la décision de la France, Bouteflika avait surenchéri dans l’offrande et engagé unilatéralement l’accord du Territoire sur des dossiers de souveraineté nationale, sans disposer du consensus au sommet. Mais pire, il venait de prendre deux décisions antipopulaires qui allaient l’affaiblir.
Comment, en effet, cacher à l’opinion que participer à l’Union méditerranéenne c’est s’asseoir aux côtés d’Israël ? Car l’Élysée avait bien précisé, à la veille du voyage d’Alger, que l’État hébreu serait membre à part entière de la nouvelle organisation. « L’objectif est bien sûr que l’Union méditerranéenne regroupe tous les pays du pourtour méditerranéen (…) et je vous confirme qu’Israël est bien un pays méditerranéen », avait affirmé le porte-parole de l’Élysée, le 9 juillet.
Comment, en outre, annoncer aux habitants du territoire le renoncement à la repentance de la France quand on les avait abreuvés du contraire pendant deux longues années ? La semaine où un sondage du journal El Khabar, paru sur son site Internet, indiquait que la majorité des citoyens souhaitent voir la France présenter des excuses officielles pour les crimes coloniaux !
La « famille révolutionnaire » réagit avec véhémence. Le secrétaire général de l’Organisation des moudjahidines se dit « étonné » des déclarations de Medelci et avertit que « l’Organisation allait prendre une position ferme lors d’une prochaine réunion ». Le lendemain, c’est au tour des Affaires étrangères de désavouer leur propre ministre !
« Nous tenons toujours aux excuses de la France », rappelle le chargé de la communication, promu pour l’occasion aux hautes fonctions de censeur de son propre chef ! Quelques heures plus tard, c’est le chef du gouvernement qui désapprouve à son tour son ministre ! Interrogé à Oran sur les déclarations de Mourad Medelci concernant l’abandon des excuses de la France, Abdoul le Persan l’a jugé « improbable », ajoutant un peu d’huile sur le feu : « Nous allons continuer à défendre cela au FLN, aujourd’hui et demain…car il est impossible de parvenir à une véritable amitié avec la France sans que cette dernière ne s’excuse pour ses crimes durant l’ère coloniale ». Puis c’est l’uppercut direct. Le ministre de la Communication, Abderrachid Boukerzaza, attaque sans détour Medelci et fustige ceux « qui claironnent qu’il faut laisser le temps au temps », martelant que les excuses de la France étaient « un préalable non négociable avant toute idée de réconciliation.» C’est alors que fusa le scud Mohamed Chérif Abbès.
Le personnage, discret ministre des Moudjahidines, n’avait jamais fait parler de lui auparavant. Mais ce 25 novembre, il se rattrapa d’un seul coup de gueule : « Les Français ne son pas prêts pour la normalisation des relations, en tout cas pas durant le mandat de M. Sarkozy. Vous connaissez les origines du président français et les parties qui l’ont amené au pouvoir, le lobby juif qui a le monopole de l’industrie en France. »
Le message de Mohamed Chérif Abbès à l’adresse de Sarkozy est trop structuré, trop éloquent pour n’être qu’une éruption de colère incontrôlée. Il signifie au président français que les Frères Ali Gator savent tout de ses connivences avec les groupes sionistes mais aussi de ses arrière-pensées néocoloniales ( « Il cherche une politique qu’il peut « sarkoziser ») et l’invite à la retenue (« Je crois qu’il s’est un peu précipité. En tout cas il a le droit de lancer tout les projets qu’il veut, mais ce qui nous importe, c’est sa politique vis-à-vis de notre pays ») Et, surtout, le ministre s’autorise à parler au nom du pouvoir, comme s’il était chargé d’annoncer les réserves d’Alger à propos de l’Union méditerranéenne (« Certains responsables se sont précipités en approuvant ce projet. Tant que la France ne reconnaît pas ses crimes, les relations ne dépasseront pas le cadre des échanges commerciaux.»)
C’est la tempête.
La presse française, à l’image du Figaro, s’indigne qu’on puisse accuser le président français « d’être un agent à la solde d’Israël » et note que « le dérapage n’a guère ému les milieux politiques d’Alger » ; le Quai d’Orsay déplore, dans une sèche déclaration, des propos « qui ne correspondent pas au climat de confiance et de coopération dans lequel nous préparons la visite d’État du Président de la République » ; l’UMP s’offusque des propos « grotesques, inutilement blessants, totalement déplacés et extrêmement grossiers » et exige « des éclaircissements avant la visite de M. Sarkozy à Alger » ; des proches du président exigent l’annulation du voyage…
Ainsi fut abandonnée la « repentance » au profit de la « reconnaissance », dans la bouche de Tebboune.