Dimanche 13 décembre 2020
Retour sur les ratés de l’accident du port de Bejaia
En cas d’accident majeur, il faut savoir communiquer et rendre les faits intelligibles au lieu d’accentuer la nébulosité ou de porter des jugements de valeur sur ce qui est arrivé. Une démarche censée de communication doit être suivie pour éviter de lâcher la bride aux plumes.
Une communication subjective et déconcertante de l’APS
Le contenu de l’article publié par l’APS en lien avec l’événement accidentel du port de Bejaia est déconcertant mais idéal pour un lectorat profane. Ce méchant abordage entre trois navires, occasionnant des blessures aux personnes, une perte de bien et un éventuel impact sur l’environnement est sans conteste un accident. Pour l’APS, il est vu en tant qu’incident! Pareillement, sans aucune preuve, l’APS a porté un jugement de valeur en mentionnant comme cause de l’accident : «une fausse manœuvre».
Ce jugement, au-delà de ses compétences, aurait dû être laissé aux enquêteurs. Dans l’article en question, on dénombre deux fautes d’accord à savoir : «de façon inattendu» et «en plein opération». Aussi l’APS a préféré qualifier les conséquences de l’accident de« grands dégâts» plutôt que de «gros dégâts»!
Enfin la communication a osé redorer le blason du staff opérationnel de l’entreprise portuaire de Bejaia pour son grand professionnalisme malheureusement en post événement. Ci-dessous le lien de cette débâcle http://www.aps.dz/regions/113809-collision-entre-trois-navires-au-port-de-bejaia
Un communiqué plus factuel et objectif
Le soir du 5 décembre 2020, trois navires commerciaux dont deux porte-conteneurs et un vraquier sont entrés en collision dans le bassin de l’arrière-port de Bejaia. À la suite de cet abordage, une grue en service sur le quai s’est renversée sur un des navires. L’opérateur de la grue a été hospitalisé. Cet événement s’est produit lors de l’appareillage du porte-conteneur le Vega Sigma du poste 22. Ce dernier aurait subi une perte totale de puissance ou un black-out intempestif.
L’alerte a été lancée conformément aux procédures internes de l’entreprise portuaire. Les causes et les circonstances exactes de l’accident font présentement l’objet d’investigation. Les dégâts matériels et l’impact sur l’environnement restent limités au site, point final au communiqué. Il est bien important de noter qu’après n’importe quel événement accidentel qu’il soit mineur ou majeur, la communication à chaud doit s’intéresser aux faits, rien qu’aux faits.
Qu’en est-il de la prévention d’abordage dans le port de Bejaia ?
Le terminal à conteneur du port de Bejaia, long de 750 m, dispose de quatre postes et d’un tirant d’eau de 12 m. Minimalement, la longueur hors-tout d’un porte-conteneur est de 150 m comme c’est le cas du Vega Sigma. Tout compte fait, il reste peu de «clearance» entre les navires. Cette zone portuaire restreinte constitue donc un facteur de risque qu’il faut bien gérer afin d’éviter l’effet domino en cas d’événement accidentel.
Pour ce faire, des dispositions et des restrictions s’appliquent notamment durant la phase d’appareillage qui est exigeante en termes de puissance de propulsion. Le jour de l’accident, nous imaginons que le port de Bejaia n’était pas consigné à cause des vents ou du ressac qui pénalisent les manœuvres.
Dans le code maritime algérien, tout navire est soumis au contrôle par l’autorité maritime. Ce contrôle vise entre autres les documents de sécurité pour s’assurer des conditions de bonne navigabilité. Le registre d’entretien, l’historique des pannes électriques, le journal de la salle des machines sont importants pour recueillir des informations pertinentes sur le navire. On se demande si ces mesures préventives ont été respectées?
Le black-out du Vega Sigma dans le port a conduit à un grave accident dont l’origine serait une panne électrique. Derrière cette panne machine pourrait se cacher une défaillance humaine, soit à bord du navire ou ailleurs. Pourquoi ce navire en perte de contrôle n’a pas été assisté ou encadré par les remorqueurs-pousseurs, un effet de surprise ou de la sur-confiance ?
Le navire est-il équipé d’une génératrice de secours en tant que système redondant parallèle ? Existe-t-il en Algérie un bureau d’enquête et d’investigation indépendant pour éviter les conflits d’intérêt ? En définitive, le port de Bejaia devrait revoir ses procédures pour se prémunir contre ce genre d’accident, luxe que l’on ne peut se permettre.
Djamel Gaham, agent de prévention et spécialiste en météo marine