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Saïd Sadi répond à Ahmed Ouyahia

Le Printemps berbère et la ruse de Bouteflika

Saïd Sadi répond à Ahmed Ouyahia

« Le 18 janvier 2018, le secrétaire général du RND déclarait devant les membres du conseil national de son parti : « Pour l’Histoire, des responsables de l’Etat ont entendu du moudjahid Abdelaziz Bouteflika qu’il n’était pas d’accord avec la décision d’interdire la conférence ( de Mouloud Mammeri ) et la décision de réprimer les manifestants ». 

Ce propos ne saurait être assimilé à l’incompréhension d’une information mal transmise. Je viens de vérifier qu’en 2009 le personnage avait osé la même allégation. Il s’agit donc bien d’une stratégie de désinformation puisqu’à l’époque déjà il était affirmé qu’en plus de son désaccord avec l’interdiction de la conférence et le recours à la répression, Bouteflika « avait demandé à ce que ses livres soient mis à la disposition du public » !

Pour ne pas alimenter une guerre de clans où l’obséquiosité n’est pas la moindre des tentations, je me suis interdit d’intervenir à chaud. Dans mon intervention au cinquième congrès du RCD, j’avais annoncé que le moment venu, je reviendrai sur cette affaire. L’approche de la commémoration du 20 avril est une bonne opportunité.

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Persuadé que les falsifications de l’Histoire sont l’une des grandes causes de notre malheur et convaincu qu’avril 80 n’a pas fini de nourrir l’espérance démocratique nord-africaine, je me fais un devoir de rappeler la vérité des faits à chaque fois que nécessaire. 

Il se trouve que j’ai été l’un des acteurs de cette séquence de notre Histoire et que les hasards de la vie politique m’ont permis d’entendre de la bouche même de Monsieur Bouteflika son analyse de la gestion du printemps amazigh par le pouvoir de l’époque. 

Je me limiterai ici à la narration de la partie de son intervention concernant cet événement car, pour ce qui est de la répression de manifestants, les Algériens, dont récemment les résidents de médecine, ont eu toute latitude de connaître les conceptions du chef de l’Etat sur le droit de manifester.

Nous sommes en 1999. Abdelaziz Bouteflika revenu aux affaires après une «élection» tumultueuse promet néanmoins de changer l’Algérie. Les premières déclarations et décisions sont symboliquement fortes et donnent à penser qu’il est déterminé à casser les codes du conservatisme politique ambiant. Un colloque sur Saint Augustin, un autre sur le statut de la femme avec Simone Veil en invitée d’honneur, réhabilitation du français dans l’expression officielle, rencontre avec Shimon Perez à Formentor (Baléares) et même, suprême audace, chaleureuse poignée de main avec le premier ministre israélien Ehud Barak, croisé à Rabat à l’occasion des funérailles de Hassan II… Le rythme est soutenu et les actions publiquement assumées ne manquent pas de surprendre.

Sollicité, le RCD décide de répondre aux invitations qui lui sont adressées pour sonder la consistance de ces promesses. 
C’est à l’occasion de l’une de ces rencontres qu’est abordé avril 80. Dubitatif sur les réelles possibilités d’ouverture, je pose comme condition à toute éventualité de collaboration l’installation officielle des commissions de réforme de la justice, de l’éducation et de l’Etat. Le tout nouveau chef de l’Etat fait mine de s’agacer de notre scepticisme avant de lâcher :
– Je connais le système mieux que quiconque. Je sais comment le faire évoluer
– C’est très bien, notre demande ne peut que renforcer vos intentions, répliqué-je.
– Les autres ne savent pas faire, ajouta-t-il, un rien dédaigneux et visiblement décidé à me convaincre de son génie tactique. Tenez, par exemple en 1980, ils n’ont pas su s’y prendre, ils ont très mal géré l’affaire.
– Je confirme.
– Ce n’est pas comme cela qu’il aurait fallu faire.
– Et comment auriez-vous fait ?
– Moi je n’aurai pas intercepté Mammeri pour interdire la conférence. ( Bouteflika prononce le nom de l’écrivain en emphatisant lourdement le « r » ). Personnellement, je l’aurais invité à un festin chez le wali et je l’aurais fait savoir. Ensuite je l’aurais fait accompagner par quatre motards à l’université. Partout les étudiants se méfient des intellectuels qui s’affichent avec les autorités. Sa conférence serait passée inaperçue et peut être même que des étudiants l’auraient chahuté.
– C’est à moi que vous dites cela. Mais passons sur ma position, qu’est ce que la ruse aurait réglé quant au fond du problème ?
– Il ne faut pas me demander d’être autre chose qu’un enfant du Mouvement National.
– Et que doit en penser l’enfant de la Soummam ?

Le reste de la discussion fut assez tendu ; essentiellement à cause de mon refus d’entrer personnellement au gouvernement et du contenu des réformes à engager ; mais cela est un autre sujet. 
Revenons au panorama politique à l’époque des faits ?

En 1980, Chadli Bendjedid avait déjà bien entamé sa déboumediénisation. Abdelaziz Bouteflika qui connaîtra bientôt les procédures de la Cour des comptes pensait pouvoir être épargné en faisant allégeance au nouveau chef. On voit mal un sursitaire politique se démarquer et encore moins dénoncer les décisions du chef de l’Etat sur un dossier particulièrement sensible qui, de surcroît, ne figure pas, loin s’en faut, au registre de ses préoccupations politiques.

« Pour L’Histoire » donc, Abdelaziz Bouteflika n’était ni favorable à la conférence de Mouloud Mammeri ni contre la répression. Il déplorait en catimini le fait que le régime n’ait pas su trouver les bonnes astuces pour démonétiser le conférencier à moindre frais et faire ainsi l’économie de l’adhésion populaire avec un mouvement qui a ébranlé les fondements du système. Il faut d’ailleurs relever que l’actuel chef de l’Etat n’a jamais exprimé publiquement les positions que lui prêtent ses courtisans.

Trop d’ambitieux, soucieux de complaire à leurs tuteurs pour sécuriser leur projet de carrière ont instrumentalisé l’Histoire.

On sait ce que ces falsifications ont coûté au pays.

Auteur
Saïd Sadi

 




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