3 novembre 2024
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« Sartre et l’Algérie » de Kamal Guerroua

Sartre et l'Algérie
La couverture de l’ouvrage de Kamal Guerroua

Les éditions Tafat, à leur tête le jeune écrivain Tarik Djerroud, ne cessent d’enrichir la scène éditoriale algérienne par des livres très intéressants qui prospectent l’actualité ainsi que l’histoire contemporaine de notre pays.

Au mois de juillet dernier, un opus intitulé « Sartre et l’Algérie » de l’auteur Kamal Guerroua vient de voir le jour. C’est un travail d’orfèvre jusque-là inédit en Algérie. Le défi est immense : revenir sur l’épopée du philosophe existentialiste et de son rapport engagé avec l’Algérie d’alors en révolution contre l’une des grandes puissances coloniales du XXe siècle.

L’essayiste Salah Guemriche qui a préfacé l’ouvrage signale en incipit que l’essai de Kamal Guerroua est unique en son genre et qu’il réalise un focus particulier sur l’engagement anticolonial de l’auteur de L’Être et le Néant. L’arrivée de ce nouveau-né sur le marché du livre est, sans doute, une aubaine pour l’immersion de la nouvelle génération et du public intéressé dans les convulsions de la IVe et de la Ve République, en guerre contre les Indigènes-la qualification des Algériens à l’époque, révoltés. Par-delà cette dimension-là, c’est une sorte d’hommage amplement mérité au philosophe germanopratin.

Dans l’introduction, Kamal Guerroua met longuement l’accent sur l’apport de Sartre à l’Algérie combattante et l’oubli dont il est victime, que ce soit en France ou en Algérie. « Il n’est nullement, précise-t-il en page 17, dans mon intention de porter Sartre au pinacle ni de mythifier son combat philosophique, médiatique ou politique engagé, mais seulement de lui rendre justice ».

Rendre justice à Sartre, c’est, paraît-il, le but avoué de l’écrivain-journaliste. Jean-Paul Sartre demeure, pour lui, une personnalité très peu connue par les Algériens et cela pose problème, toujours d’après lui, à la connaissance de notre mémoire collective.

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Tout au long des quatorze chapitres de cet essai de 240 pages, du reste bien denses et référencées, K. Guerroua revient sur les principales escales du parcours sartrien : le Congrès de la salle Wagram en 1956, le Manifeste des 121, Francis Jeanson et les Porteurs de valises, la question de la torture notamment avec les affaires Audin et Alleg, les manifestations du 17 octobre 1961 et le rôle éminemment important qu’avait joué Sartre dans la prise de conscience des Français du gouffre dans lequel les a mené la politique va-t-en-guerre socialiste, puis gaulliste, etc.

En ce sens, la vie du philosophe est piochée avec soin et parfois dans le moindre des détails. On sent, au fil de la lecture, comme une sorte de fusion dans la narration, dans la mesure où, dans certains chapitres où il y a comparaison entre Sartre et bien d’autres intellectuels de la IVe et de la Ve République, à l’image de Camus, Raymond Aron, André Malraux, et tant d’autres, Guerroua met en relief de façon particulière l’influence de la pensée de Sartre : existentialisme, approche sur la violence révolutionnaire, la praxis marxiste, etc.

Et puis, tout un chapitre est réservé à Frantz Fanon, sur le mode comparatif avec le philosophe existentialiste. Logique qui, en parallèle, creuse, mais d’une autre manière, toute la différence entre la pensée sartrienne et camusienne, bien discutée auparavant. Sartre qui fut, pour rappel, un indépendantiste convaincu a privilégié l’usage de la contre-violence révolutionnaire du FLN à l’encontre de la violence des Colons.

« Le déni en demi-teinte de Camus du fait colonial, sinon son refus d’engagement avait donné, dixit K. Guerroua en page 100, à la gauche, en général, et à Sartre en particulier, un avant-goût d’ersatz de la trahison des idéaux républicains de la France de la résistance sous le régime du Vichy ». Ce qui lui a coûté l’adversité du milieu intellectuel parisien et du gouvernement français. Si, au cri de « fusillez Sartre » prononcé par les Colons, de Gaulle a opposé en 1961 : « on ne tue pas Voltaire », il n’en demeure pas moins que l’aversion de l’élite hexagonale du philosophe était autrement très forte et elle est due, en grande partie, à son soutien à l’Algérie.

Toutefois, ce qui étonne l’auteur Kamal Guerroua, c’est l’oubli algérien. Un oubli incompréhensible, ambigu, ingrat! « Mais osons quelques questions, finit ce dernier dans sa conclusion en page 192, sur notre oubli, nos oublis, nos ingratitudes à l’égard de notre mémoire collective. Parlons-en entre Algériens, en toute honnêteté, avec sérénité! La première des questions que je me pose, à moi-même, et que je voudrais poser aux miens : pourquoi a-t-on oublié Sartre?  »

Dans la foulée, l’auteur cite le problème palestinien dans lequel la position de Sartre était un peu ambigüe. Ce qui aurait pu susciter peut-être, à l’en croire, tout le ressentiment officiel de l’Algérie indépendante qu’on connaît à l’égard de tout ce qui est en rapport avec Jean-Paul Sartre.

En revanche, en remontant le fil des événements, Kamal Guerroua a comme éclairé, avec des références appuyées, sur la cohérence de la pensée sartrienne sur beaucoup de sujets, dont la résistance palestinienne soutenue aussi avec force par le philosophe. Ainsi incite-t-il les Algériens à redécouvrir cette icône mondiale pour qui l’anticolonialisme n’est, en fin de compte qu’un humanisme, en proposant de baptiser en son nom écoles, jardins, métros et théâtres, rues et boulevards, etc.  En gros, Sartre et l’Algérie est une mine d’or à ne pas rater, décidément…

Bachir Djaïder

Kamal Guerroua, Sartre et l’Algérie, préface Salah Guemriche, Tafat éditions, 15 juillet 2023, 240 pages, Prix : 1200 DA – 20 €.

4 Commentaires

  1. Ce n’est pas que l’engagement de Sartre à nos cotés que nos historiens doivent mieux faire connaitre à nos jeunes générations, ou rappeler aux anciennes, souvent mal informées ou amnésiques. C’est tout le bilan de la glorieuse Fédération de France du FLN, la VIIème Wilaya, qui reste à faire. Raconter la manière dont ses militants, sous le commandement d’hommes d’élite, de la trempe d’Omar Boudaoud, Rabah Bouaziz, Kaddour Ladlani et bien d’autres, se sont acquittés de la mission, tant politique que militaire, qui leur fut assignée par le CCE : rétablir la vérité sur la lutte du peuple algérien, et porter la guerre chez l’ennemi. Le succès de ce combat pour la liberté doit beaucoup au concours, précieux, de ces femmes et hommes que la France sait produire de mieux, pour éclipser le pire, qui nous offrirent soutien, abri et protection, en ces temps à la fois glorieux et difficiles : intellectuels, prêtres et dignitaires religieux, catholiques en particulier, syndicalistes et ouvriers, ainsi que, on l’oublie bien trop souvent, de nombreux intellectuels juifs qui n’avaient rien oublié de leur passé. Ce serait la belle manière de dire les choses pour l’histoire, et, dans le même temps, effacer notre honte, en réparant la terrible injustice qui fut faite à ceux d’entre eux que nos dirigeants autoproclamés, ont expulsés de leur pays d’adoption où, l’indépendance acquise, ils avaient cru pouvoir s’enraciner. Je vais commander ce livre.

    • En parlant d’intellectuels juifs, me viens à l’esprit le nom d’Henri Curiel, ce révolutionnaire infatigable, à l’occasion faussaire de haute volée, qui savait vous fabriquer de parfaits vrais faux papiers, qui mis sa grande expérience au service de l’Algérie combattante. Il fut lâchement assassiné à Paris en 1978, par les mêmes mains qui assassinèrent Maitre Ameziane Ait Ahcène à Bonn en 1959.

    • Oh la la la… tu mentionne un merite a quelconque Juif, toi! On dirait que tu cherche une condanation a perpetuite’. Et combien de profs universitaires, laisse tomber le grand public, pourront lire votre promotion comprendre de quoi il s’agit? J’espere que ca sera traduit vers le Kabyle ou Anglais, un de ces 4. Quand au Francais, je le limite dans ma vie a vous lire et biensur la communications avec des friends and family, qui y sont prisonniers.

      • Votre discours est trop compliqué pour moi, je n’y pige que dalle. A marzeg n sen, je persiste et signe. À l’hommage à Henri Curiel, je joins ma reconnaissance à Claude Lanzmann.

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