Sid Ahmed Chaâbane, né à Oran, est un artiste peintre algérien dont l’œuvre est profondément marquée par son parcours personnel et artistique. Diplômé de l’École régionale des Beaux-Arts d’Oran et de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts d’Alger, il a acquis une maîtrise des techniques classiques tout en développant une sensibilité artistique distinctive.
Un événement marquant de sa vie fut son emprisonnement en 1988, lors des troubles politiques qui secouaient l’Algérie. Cette expérience bouleversante a radicalement transformé sa perception de la peinture, l’incitant à abandonner l’approche académique pour se tourner vers des thèmes plus personnels et profonds. Les murs des prisons, ornés d’inscriptions, de graffitis et de traces, sont devenus une source d’inspiration majeure. Dans ses œuvres, il utilise ces éléments pour jouer avec les textures, les marques et les imperfections, afin de traduire le passage du temps et la violence de l’histoire.
En 1992, Sid Ahmed Chaâbane choisit l’exil en France, cherchant à se libérer des contraintes politiques et sociales de son pays natal. Il débute en tant que portraitiste à Montmartre, avant de poursuivre son parcours artistique ailleurs. Son travail se caractérise par une expérimentation constante, mêlant techniques mixtes, pastels, encres et crayons. Il incorpore souvent des « accidents » dans ses créations, transformant les imperfections en éléments clés de ses œuvres.
Les thèmes qu’il aborde sont universels et profondément humains : le passage du temps, la violence, la mémoire et l’interaction entre l’homme et son environnement. Ses œuvres, souvent sombres, sont imprégnées d’une “lumière intérieure nocturne”, reflétant une quête de sens et de spiritualité. Dans certaines de ses toiles, il explore la fragilité du corps humain face au temps, en jouant sur les textures et les couleurs pour évoquer la peau, les cicatrices et les transformations.
Sid Ahmed Chaâbane ne se limite pas à la peinture sur toile. Il participe à des expositions, des projets artistiques et des collaborations variées. Il a également ouvert un atelier en plein cœur d’Agde, un espace dans lequel il partage son savoir-faire dans le cadre de sa pratique artistique, permettant à d’autres artistes et amateurs de découvrir et explorer leur propre créativité. Sid Ahmed Chaâbane est aujourd’hui à Montpellier.
Pour Sid Ahmed Chaâbane, le temps est une force omniprésente, presque divine, qui façonne la matière et les êtres. Cette réflexion se trouve au cœur de ses œuvres, où il cherche à capturer l’essence de cette transformation. Il utilise des matériaux et des techniques qui mettent en valeur les traces laissées par le temps, créant des œuvres à la fois poétiques et introspectives.
Sid Ahmed Chaâbane est un artiste dont le parcours et l’œuvre témoignent d’une profonde sensibilité aux enjeux humains et historiques. Son travail invite à une réflexion sur la condition humaine, la mémoire et la résilience face aux épreuves du temps et de l’histoire. Son emprisonnement en 1988 fut un tournant décisif dans sa carrière. Il a intégré dans ses œuvres les textures, inscriptions et traces des murs de prison, créant ainsi une peinture qui illustre la souffrance humaine et les cicatrices laissées par le temps.
Cette approche unique a permis de donner une voix aux oubliés et aux opprimés. Sid Ahmed Chaâbane utilise des techniques qui valorisent les transformations imposées par le temps, capturant la fragilité de l’existence humaine et la résilience face aux épreuves.
L’œuvre de Sid Ahmed Chaâbane s’impose comme un témoignage artistique puissant, né d’une expérience intime et marquée par l’histoire. En transposant les stigmates du vécu carcéral et les traces du temps dans sa peinture, il a forgé une esthétique singulière, à la fois brute et poétique. Son approche, fondée sur l’expérimentation et l’acceptation de l’imperfection, interroge la mémoire, la souffrance et la résilience humaine. En exil, il a su faire rayonner une voix artistique algérienne contemporaine, tout en contribuant activement à la scène culturelle locale par ses expositions, ses collaborations et son engagement dans la transmission.
Le Matin d’Algérie : Comment votre formation aux Beaux-Arts d’Oran et d’Alger a-t-elle façonné votre approche de l’art, et quels souvenirs gardez-vous de ces années d’apprentissage ?
Sid Ahmed Chaâbane : J’ai été formé dans deux écoles qui ont profondément marqué mon parcours : celle d’Oran et celle d’Alger dans les années 80-90.
À Oran, j’ai reçu une formation académique classique, avec des professeurs compétents et engagés, comme monsieur Belhachemi Nourredine, Rabah Echaib, Malika Kouskoussa, Mme Essgayer, Cherfaoui Efif, Merssali Otmane, et d’autres…
Ce socle solide m’a permis de me lancer plus librement dans la peinture expérimentale, une fois arrivé à Alger. Là-bas, au contact de Maîtres comme Denis Martinez, Mesli ou Ali Khoudja, j’ai compris que la peinture pouvait être bien plus qu’une technique : un langage personnel, un espace de pensée.
Ma rencontre avec mon ami Mokrani a aussi été déterminante sur le plan conceptuel. Mais au fond, ma plus grande école à Alger, ça été la ville elle-même. Dans une période de fortes tensions politiques et culturelles, tout ce que je vivais dans les rues, les quartiers, les échanges, m’a nourri artistiquement. Cette vie-là, chaleureuse et intense, m’a appris autant que des cours.
Le Matin d’Algérie : Votre emprisonnement en 1988 a marqué un tournant dans votre vie artistique. Comment cet événement a-t-il transformé votre vision de la création et les thématiques que vous explorez ?
Sid Ahmed Chaâbane : Les événements d’octobre 1988 ont été un tournant décisif à la fois personnel et collectif.
Enlevé de chez moi sans motif, par la, Sécurité Militaire, j’ai été enfermé dans une cellule souterraine, sombre et isolée.
C’est là, face aux murs griffés, couverts de traces, d’inscriptions anonymes à moitié effacées, que quelque chose a basculé, en moi. Ces murs portaient une mémoire vivante, comme une présence – absence bouleversante. Ils sont devenus mes premières « œuvres », faits de strates, de traces et de témoignages.
Cette expérience a profondément transformé ma vision de la peinture : elle ne pouvait plus n’être que décorative. Elle devait porter une vérité, un vécu, une mémoire, un espace de passage, une trace mentale, d’un « Moi-pluriel ».
Le Matin d’Algérie : Quel impact votre exil a-t-il eu sur votre processus créatif ? Estimez-vous que cette expérience a élargi ou modifié votre regard sur l’art et l’identité ?
Sid Ahmed Chaâbane : L’exil pour moi est un espace suspendu entre le pays natal et le pays d’accueil. Cette suspension mentale se reflète directement dans mon travail, la fragmentation, l’effacement, l’accumulation, l’inachèvement, etc… sont autant de caractéristiques picturales qui traduisent cette expérience de l’exil.
Je le perçois comme un troisième pays, à construire intérieurement, un espace instable, certes, mais aussi profondément créatif – un véritable laboratoire d’expérimentation, si l’on sait comment l’habiter.
L’exil m’a beaucoup appris et continue de m’enseigner chaque jour.
Le Matin d’Algérie : Vous intégrez souvent des textures et des imperfections dans vos œuvres. Pouvez-vous nous expliquer votre démarche artistique et ce que vous cherchez à exprimer à travers ces choix esthétiques ?
Sid Ahmed Chaâbane : Les textures et les imperfections dans mon travail ne sont pas un style, mais les conséquences d’un processus long et métamorphique. J’interviens sur le même support pendant des mois, parfois des années, dans une dynamique d’accumulation et d’effacement.
Ce « Moi pluriel » construit, détruit, creuse et révèle, créant une sorte de palimpseste pictural. Ce processus, je l’ai reconnu dans les murs des cellules de prison (octobre 1988), comme dans les façades abandonnées, marquées par le temps, les accidents et les traces humaines anonymes.
Ma peinture est ainsi le reflet d’une vision mentale, en mutation constante – faite d’hésitation, de balbutiements, de monologues, où s’incarne un « Moi » en transformation, dans un temps sans fin.
Le Matin d’Algérie : Vos œuvres abordent des thématiques universelles telles que le passage du temps et la mémoire. Quelle est la place de l’histoire et de vos expériences personnelles dans votre travail artistique ?
Sid Ahmed Chaâbane : Je ne me considère pas comme un peintre de l’histoire, mais comme un peintre de visions, poétiques.
Mon travail cherche à incarner comme une poésie mentale sur la matière, sans partir d’un thème défini. C’est le processus métamorphique fait d’accumulation, d’effacement dans une durée qui fait naître le sujet. Je ne cherche ni à illustrer ni à interpréter, mais à révéler les formes qui surgissent d’elles-mêmes. Comme un archéologue, je fouille le chaos pour faire renvoyer une vision mentale. Le tableau se construit presque seul ; je ne suis qu’un médium, un passeur.
Le Matin d’Algérie : Vous donnez des cours d’art plastique dans votre atelier. Que représente pour vous cet aspect de transmission, et comment inspirez-vous vos élèves à travers leur propre processus créatif ?
Sid Ahmed Chaâbane : J’ai arrêté d’enseigner, parce que transmettre demande une énergie et une disponibilité que je n’ai plus à 64 ans. Aujourd’hui, je préfère consacrer pleinement ce qui me reste de force et de temps à mes propres recherches picturales.
La création est un monde sans fin, où chaque jour ouvrir sur une découverte. Peindre pour moi, reste le seul espace où je peux me perdre… pour mieux me retrouver.
Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?
Sid Ahmed Chaâbane : Oui, j’ai des projets en cours, notamment la création d’un beau livre mêlant peinture et poèmes, ainsi qu’une collection d’ouvres variées retraçant mon parcours pictural.
Ce sont pour moi, une façon de rassembler, de transmettre et de donner forme à tout le chemin intérieur.
Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?
Sid Ahmed Chaâbane : Merci pour cet échange, vos questions m’ont permis de revisiter mon parcours et mon processus de création. Je vous offre, en toute amitié, quelques dessins, comme une poignée de lumière partagée, modestes mais pleine de sens.
Entretien réalisé par Brahim Saci
Il est difficile de parler de l’artiste , major de promotion , alchimiste des couleurs , des sens et de la sensibilité à fleur de peau , sans parler de l’homme ,écorché vif et tellement humain.
Sid Chaabane est un artiste inégalable et inegale dans son expression ,explorant les âmes errantes dans le labyrinthe des sentiments aux extrêmes inconnues..
Les oeuvres , bien que diverses , constituent une encyclopédie déclinée sous forme de
chefs-d’œuvres en segments de vie et chapitres d’un roman .
Le roman de sa vie , de ses rêves et de ses songes éveillés .
Prince de la lumière et des couleurs mises en scènes poussant les atmosphères dans le dernier retranchements.
S’il est vrai que les rendus sont d’une créativité vertigineuse , le message subliminal révèle et dévoile un segment de vie personnel bien que le l’universel s’impose et s’installe sans crier gare .
Les longues années passées à attendre la naissance d’une œuvre m’ont appris à découvrir l’immensité de son talent , la créativité de sa passion devorante et la grandeur d’un Homme si grand ,à l’âme si sensible et fragile….et au cœur gros comme ça..merci brahim….et toute ma déférence à mon ami, Maitre Sid Chaabane…..