Au Soudan, les Forces de soutien rapide du général Hemedti (FSR) ont annoncé dimanche 26 décembre avoir d’abord pris le contrôle du quartier général de l’armée d’El-Fasher, au Darfour du Nord, puis de la ville.
El-Fasher – considéré comme le dernier bastion de l’armée dans la région – est assiégé depuis dix mois, théâtre d’intenses combats entre les FSR et l’armée soudanaise appuyée par ses alliés.
Les Forces de soutien rapide « annoncent avec fierté avoir pris le contrôle de la ville d’El-Fasher », selon un communiqué publié sur leur chaîne Telegram. Plus tôt dans la journée, elles revendiquaient déjà la saisie du quartier général de l’armée. C’était le dernier bastion gouvernemental du Darfour.
Prudence tout de même. L’armée du Soudan n’a pas encore réagi, mais un porte-parole du Comité de résistance populaire, le mouvement créé en soutien à l’armée soudanaise conduite par le général al-Burhan, rejette la version des FSR : « contrôler le QG de l’armée ne veut pas dire contrôler El-Fasher », et la bataille se poursuivrait.
Si cette avancée des FSR devait se confirmer, ce serait bien entendu un coup dur pour l’armée soudanaise. Les paramilitaires parlent déjà d’un « tournant décisif ».
La résistance populaire, alliée à l’armée soudanaise, assure qu’El-Fasher n’est pas tombée et que la bataille se poursuit. Des sources locales, le site Sudan Tribune parle d’un « retrait » de l’armée vers d’autres quartiers.
Caroline Bouvard est directrice pays de l’ONG Solidarités International, basée à Tawila, à une soixantaine de kilomètres d’El-Fasher. Elle est en contact avec des personnes sur place et partage ce qu’elle a entendu du terrain :
« Il y a eu hier une très grosse offensive des FSR sur El-Fasher. Cette offensive, hier soir [samedi 25 octobre, NDLR], elle a été à nouveau repoussée par les forces de l’armée régulière, même si les FSR avaient réussi à occuper la maison du gouverneur qui se trouve effectivement juste en face du quartier général du 6ᵉ bataillon. Et donc ce matin, la nouvelle complémentaire, c’est que le sixième bataillon, le quartier général du 6ᵉ bataillon, vraisemblablement, avait été abandonné par les troupes et a été effectivement occupé dans la foulée par les FSR. Il y a eu beaucoup de célébrations dans les villes contrôlées par les FSR, donc Geneina, Zalingei et Nyala ce matin assez tôt, ce qui fait que d’ailleurs, toutes les équipes humanitaires ont dû interrompre leurs activités parce qu’il y avait du happy shooting, des tirs de célébration et il y a encore des poches de résistance de l’armée régulière et de ses alliés qui sont dans le centre, enfin dans les différentes parties de la ville ».
En tout cas, les humanitaires craignent un exode massif des civils. Médecins sans frontières dit avoir accueilli plus de 1 300 personnes venues d’El-Fasher le week-end dernier. D’après MSF, 75% des enfants examinés souffraient déjà de malnutrition aiguë. « L’inquiétude, c’est de voir un mouvement massif de population qui – les routes n’étant pas sécurisées et toutes les routes extérieures étant contrôlées par les FSR – vont probablement essayer de traverser, soit en payant leur traversée auprès des FSR s’ils en ont encore les moyens, soit en traversant à pied à travers le désert pour essayer de rejoindre Tawila, explique à RFI Caroline Bouvard, directrice pays de l’ONG Solidarités International. Cela risque d’impliquer qu’on va voir arriver des gens dans des conditions assez dramatiques de déshydratation, sachant qu’ils étaient déjà très probablement dans des conditions de malnutrition assez importantes. Le premier problème aujourd’hui sur El-Fasher, c’est l’accès à la nourriture, suivi de l’accès à l’eau et l’accès aux médicaments pour des gens qui sont déjà mal nourris. »
Ce dimanche 26 octobre 2025, en soirée, le chef des opérations humanitaires de l’ONU, Tom Fletcher, a demandé un passage sûr pour les civils piégés à El-Fasher. « Avec les combattants avançant davantage dans la ville et les voies d’évacuation coupées, des centaines de milliers de civils sont piégés et terrifiés – bombardés, affamés, et sans accès à la nourriture, aux soins ou à la sécurité », a-t-il déploré dans un communiqué.
Le soutien logistique de la Libye
Pour le chercheur Roland Marchal, cette avancée a été rendue possible par un soutien logistique important venu du sud de la Libye, qui a donné aux FSR un net avantage. El-Fasher est une ville clé qui, si elle a changé effectivement de mains, permettra aux FSR de contrôler tout le Darfour. Elles pourront faire circuler hommes et armes depuis le Tchad et la Libye. Et elles mettront la main sur des ressources importantes, comme l’or.
« C’est un contrôle des routes d’approvisionnement, humanitaire bien sûr, mais aussi militaire. Donc, il est possible que les FSR, avec le soutien des Émirats arabes unis, arrivent à redresser la balance, parce que depuis maintenant plusieurs mois, elles sont en retraite à partir de la capitale vers l’ouest du pays », analyse au micro de RFI Marc Lavergne, directeur de recherches émérite au CNRS, spécialiste de la Corne de l’Afrique. « Pour les FSR, c’est un défi parce qu’il s’agit de gérer une ville avec des centaines de milliers de déplacés. Il faut les nourrir, il faut que l’aide humanitaire internationale parvienne. Donc, les FSR doivent protéger les convois au lieu de les attaquer. C’est leur crédibilité à l’échelle du Soudan en général, mais aussi international qui est en jeu », explique-t-il.
El-Fasher est considéré comme le dernier bastion de l’armée dans la région. La ville est soumise depuis des mois à des combats meurtriers, avec des attaques régulières de drones de plus en plus fréquentes ces dernières semaines, les habitants d’El-Fasher manquent de tout sur place. Selon l’ONU, 260 000 civils — dont la moitié sont des enfants – manquent de nourriture, d’eau et de soins. Plus d’un million de personnes ont déjà fui.
Les paramilitaires veulent peser davantage sur les négociations internationales
Cette victoire, si elle était confirmée, pourrait être monnayée politiquement, souligne Roland Marchal, spécialiste du Soudan. Les FSR veulent ainsi s’imposer comme un acteur incontournable et affaiblir la position du général Burhan dans les discussions à venir. De fait, selon plusieurs observateurs, si cette avancée des RSF se confirme, ce serait un coup dur pour l’armée soudanaise au Darfour. Le contrôle du terrain passerait alors du côté paramilitaire et cette victoire pourrait être monnayée politiquement, souligne le chercheur Roland Marchal.
Une victoire encore qui intervient deux jours seulement après la création à Washington d’un comité opérationnel réunissant les États-Unis, l’Égypte, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Objectif : tenter d’obtenir un cessez-le-feu, un accès humanitaire et une transition politique au Soudan. Elles se posent ainsi en acteur incontournable, face à un Quad (États-Unis, Égypte, Arabie saoudite et Émirats arabes unis) qui pourrait être tenté de parler d’abord avec les autorités reconnues internationalement.
Un tournant dans le conflit ?
Si la chute d’El-Fasher se confirme, ce serait un succès « symbolique et psychologique » pour les FSR qui apparaissaient en difficulté ces derniers temps, ayant notamment dû abandonner Khartoum.
C’est le constat de Marc Lavergne, directeur de recherches émérite au CNRS, spécialiste de la Corne de l’Afrique. RFI lui a demandé s’il s’agissait d’un tournant dans le conflit.

