La Tanzanie s’enfonce dans une crise politique et humaine sans précédent. Trois jours après le scrutin présidentiel du 29 octobre, les principales villes du pays sont secouées par des affrontements meurtriers entre manifestants et forces de sécurité. Selon le principal parti d’opposition, le Chadema, près de 700 personnes auraient été tuées depuis le début des violences post-électorales.
Ce chiffre, rapporté notamment par The Guardian, Al Jazeera et Reuters, n’a pas été confirmé par les autorités, qui parlent seulement de “troubles isolés”. Des ONG locales évoquent de leur côté une centaine de victimes, tandis que l’ONU reconnaît “au moins dix morts confirmés” et “des rapports crédibles de nombreuses autres victimes”.
Un scrutin sous tension
Les violences ont éclaté à la suite de l’annonce de la victoire du président sortant, issu du Chama Cha Mapinduzi (CCM), au pouvoir depuis l’indépendance du pays en 1961. Le Chadema dénonce un “scrutin entaché de fraude massive”, marqué par des irrégularités dans la compilation des résultats, des bourrages d’urnes et des arrestations d’observateurs indépendants.
Dans plusieurs grandes villes, dont Dar es-Salaam, Mwanza et Arusha, des milliers de citoyens sont descendus dans la rue pour contester le résultat. Les forces de sécurité ont réagi avec une extrême brutalité. Selon le Chadema, 350 morts auraient été recensés à Dar es-Salaam, plus de 200 à Mwanza, et des dizaines d’autres à Dodoma et Arusha.
Répression et blackout numérique
Le gouvernement a ordonné la coupure d’Internet et bloqué l’accès aux réseaux sociaux, notamment WhatsApp, Facebook et X (ex-Twitter). Les médias indépendants ont été suspendus et plusieurs journalistes, locaux comme étrangers, ont été arrêtés ou expulsés.
Des vidéos diffusées avant la coupure montrent des scènes de chaos : tirs à balles réelles, civils à terre, forces de l’ordre patrouillant dans des quartiers bouclés. “Nous assistons à une mise sous silence organisée d’une population qui veut simplement faire entendre sa voix”, a déclaré un cadre du Chadema à Al Jazeera.
Les appels internationaux à la retenue
Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (OHCHR) s’est dit “profondément préoccupé” par la répression et a appelé à une enquête indépendante sur les exactions commises. L’Union africaine a publié un communiqué appelant au calme et au dialogue, tandis que les chancelleries occidentales, dont celles de Paris et Londres, ont exhorté le gouvernement tanzanien à “garantir les libertés fondamentales”.
Malgré ces appels, la situation reste explosive. Selon des témoins cités par The East African, des unités militaires lourdement armées patrouillent les rues de Dar es-Salaam, imposant de fait un couvre-feu. Les hôpitaux sont débordés, et de nombreuses familles n’ont toujours pas retrouvé leurs proches.
Une démocratie en péril
Longtemps considérée comme un modèle de stabilité en Afrique de l’Est, la Tanzanie vit une dérive autoritaire inquiétante. Depuis plusieurs années, les libertés publiques sont restreintes : journalistes emprisonnés, opposants poursuivis, ONG interdites. Le régime s’appuie sur un appareil sécuritaire puissant et une justice inféodée au pouvoir exécutif.
Pour Tundu Lissu, leader historique du Chadema aujourd’hui en exil, “ce qui se passe n’est pas une élection, mais une confiscation du droit du peuple tanzanien à choisir librement ses dirigeants”.
Le silence du pouvoir
Le gouvernement reste muet face aux accusations. Aucune conférence de presse n’a été tenue, et la Commission électorale nationale continue d’affirmer que le scrutin s’est déroulé “dans la transparence et le calme”.
Pourtant, la colère gronde. Dans les rues de Mwanza et d’Arusha, la population exprime sa lassitude et sa peur. “Nous n’avons plus confiance dans l’État. C’est lui qui nous tue”, confie une habitante jointe par téléphone avant la coupure du réseau.
Entre les chiffres divergents et le silence officiel, une chose demeure certaine : la Tanzanie traverse la plus grave crise politique de son histoire récente.
Ce pays réputé pour sa paix civile est désormais à la croisée des chemins, entre répression et espoir de démocratie retrouvée.
Synthese Mourad Benyahia

