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dimanche 27 juillet 2025
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Tayacout : l’envol discret d’une voix kabyle moderne

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Tayacout s’impose dans le paysage musical kabyle comme une voix rare et précieuse, une artiste à la fois discrète et essentielle. Son œuvre se déploie avec une délicatesse remarquable, mariant subtilement mémoire, émotion profonde et engagement sincère.

Originaire de Kabylie, elle appartient à cette génération d’artistes qui refusent de renier leurs racines tout en osant un dialogue audacieux entre tradition et modernité. Sa voix, claire et profonde, oscille entre mélancolie et lumière solaire, portant des textes en tamazight d’une grande richesse poétique. Chaque mot qu’elle choisit est minutieusement pesé, comme pour tisser un lien intime et sincère avec son auditoire, une invitation à la réflexion autant qu’à l’émotion.

Depuis ses premiers pas dans la musique, Tayacout travaille en étroite complicité avec son mari, Rachid Kotama, compositeur et musicien polyvalent, véritable architecte sonore de son univers musical. Cette collaboration est bien plus qu’un simple partenariat : c’est une fusion artistique profonde où Rachid façonne avec finesse des arrangements subtils qui marient les sonorités kabyles ancestrales à des influences variées, allant des mélodies celtiques aux nuances andalouses et méditerranéennes. Pourtant, jamais leur musique ne perd son identité kabyle profonde. Grâce à la maîtrise et à la discrétion de Rachid, chaque chanson bénéficie d’une structure fluide et raffinée, permettant à la voix de Tayacout de s’épanouir pleinement, de respirer, de s’élancer et de toucher au cœur, comme si elle évoluait au sein d’un jardin sonore soigneusement cultivé.

Parmi les créations qui illustrent parfaitement la richesse de son univers musical, on retrouve notamment « Lefjer », « Azetta », « Ameqyas » et « As Inigh ». « Lefjer » évoque avec poésie l’aube, ce moment éphémère entre ombre et lumière, symbole d’une renaissance intérieure, d’un renouveau fragile mais puissant. « Azetta » puise quant à elle ses racines dans la tradition kabyle ancienne, revisitant avec sensibilité légendes et figures mythiques, mêlant une poésie d’autrefois à la fragilité du présent. « Ameqyas » célèbre avec émotion le bracelet berbère, emblème de féminité, de transmission et de respect des traditions, une mélodie envoûtante qui capte toute l’essence de la culture amazighe.

Enfin, « As Inigh », qui signifie « Je lui dirai », est une déclaration d’amour maternel intense, un chant rempli de tendresse, d’espoir et d’engagement face aux incertitudes de la vie, où l’enfant devient le symbole d’une force qui transcende les épreuves.

Le titre « Tevrek » occupe une place particulière dans son répertoire. Hymne poignant dédié à la Kabylie meurtrie par les incendies dévastateurs qui ont ravagé ses forêts, cette chanson est bien plus qu’un simple témoignage. La noirceur évoquée dans ce mot est aussi bien physique que métaphorique, incarnant le deuil, la douleur et la perte humaine et naturelle. Pourtant, au-delà de cette tristesse, la musique de Tayacout devient un appel vibrant à la solidarité, à la reconstruction et à l’espoir. La mélodie, à la fois émouvante et puissante, porte une main tendue vers un avenir où la Kabylie pourra renaître.

L’impact de Tayacout dépasse largement le cercle traditionnel de la musique kabyle. Dans un univers encore largement dominé par des artistes masculins, elle impose, avec humilité mais détermination, la force d’une parole féminine libre et authentique. Sa musique, loin des effets superficiels, soigne, relie et interroge. Elle n’est jamais nostalgique, mais plutôt une veille attentive sur le vivant, sur les blessures silencieuses et sur les beautés discrètes du monde.

L’apport de Tayacout à la musique kabyle contemporaine est à la fois profond et subtil, marquant un tournant important dans l’évolution de cet art. Dans un contexte où la musique kabyle a longtemps oscillé entre un attachement rigide à ses racines traditionnelles et les influences parfois envahissantes de la modernité, Tayacout réussit à créer un équilibre rare et précieux. Elle incarne une forme de renouveau qui ne sacrifie jamais l’essence culturelle au profit d’une modernité superficielle. Au contraire, elle explore et élargit les frontières de la musique kabyle en y intégrant avec finesse des sonorités venues d’ailleurs, sans jamais diluer l’identité première de son héritage.

Cet apport se manifeste d’abord dans sa capacité à réinterpréter la tradition avec respect et innovation. Elle ne se contente pas de reproduire des formes musicales anciennes, mais les fait dialoguer avec des influences celtiques, andalouses, méditerranéennes, créant ainsi une musique qui parle à la fois au passé et au présent. Ce dialogue entre tradition et modernité est une invitation à ne pas considérer la culture kabyle comme un musée figé, mais comme un organisme vivant, capable de se renouveler et de se réinventer.

Tayacout nous livre une poésie d’une grande densité, rare dans la chanson kabyle, en choisissant avec soin chaque mot en tamazight, offrant ainsi une profondeur littéraire et émotionnelle souvent peu explorée dans ce registre. Ses textes ne sont pas de simples paroles chantées, mais des fragments de pensée et de mémoire, porteurs d’une richesse symbolique et d’une authenticité qui résonnent bien au-delà des frontières linguistiques. Cette poésie, associée à sa voix claire et profonde, donne à sa musique une dimension universelle qui touche aussi bien les Kabyles que les mélomanes du monde entier.

Un autre aspect fondamental de son apport réside dans la place qu’elle donne à la voix féminine. Dans un univers artistique traditionnellement dominé par les hommes, Tayacout s’impose avec une force tranquille, incarnant une parole féminine libre, sincère et ancrée. Sa musique exprime des émotions, des luttes, des espoirs et des engagements féminins souvent peu mis en avant dans la scène kabyle. Elle ouvre ainsi un espace d’expression important, contribuant à une représentation plus équilibrée et diversifiée de la culture amazighe.

Son œuvre porte un engagement discret mais réel. Par des chansons comme « Tevrek », qui rend hommage à la Kabylie ravagée par les incendies, elle offre une voix aux douleurs collectives, tout en proposant un message d’espoir et de reconstruction. Cette dimension engagée, loin de toute forme de militantisme agressif, ajoute à sa musique une portée humaine et sociale, faisant d’elle une artiste sensible aux réalités de son temps, qui utilise son art comme un moyen de conscientisation et de lien social.

Tayacout représente bien plus qu’une simple voix au sein de la musique kabyle ; elle est une véritable gardienne et innovatrice d’un patrimoine vivant. Par son approche délicate et sincère, elle réussit à conjuguer avec justesse mémoire et modernité, tradition et expérimentation, tout en restant fidèle à l’âme kabyle. Sa musique ne se limite pas à divertir, elle invite à la réflexion, à la rencontre, à l’émotion partagée.

En tant que passeuse, elle tisse des ponts entre les générations, transmettant avec douceur mais fermeté un héritage culturel riche et parfois fragile. Son œuvre, empreinte de sensibilité et de profondeur, rappelle que la musique est aussi un vecteur de résistance, un langage universel capable de panser les blessures du passé et d’ouvrir des perspectives nouvelles.

Tayacout incarne ainsi l’espoir d’un avenir musical kabyle à la fois respectueux de ses racines et ouvert sur le monde, capable de parler à tous, de toucher chacun, et de laisser une empreinte durable dans les cœurs et les esprits. Son parcours et son art montrent que la musique peut être un refuge mais aussi un levier de transformation, une lumière douce qui éclaire le chemin entre souvenir et devenir. C’est cette délicatesse alliée à cette force qui fait d’elle une figure incontournable, une artiste dont la voix, bien que discrète, résonne avec puissance dans le paysage culturel contemporain.

Brahim Saci 

http://tayacout.com 

https://www.youtube.com/@tayacoutofficiel7862

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