Dans cet entretien donné à L’Opinion, les relations algéro-françaises ont été largement évoquées. L’actualité entre la France et l’Algérie est marquée par une détérioration continue des relations, exacerbée par des tensions politiques et des déclarations hostiles.
Abdelmadjid Tebboune, a utilisé la métaphore « Je maintiens le cheveu de Muʿawiya » pour illustrer son intention de préserver les relations malgré la crise, évoquant le calife Muʿawiya Ier, connu pour sa capacité à éviter des ruptures. « Le climat est délétère, nous perdons du temps avec le Président Macron. Nous avions beaucoup d’espoirs de dépasser le contentieux mémoriel. C’est pour cela que nous avons créé, à mon initiative, une commission mixte pour écrire cette histoire qui nous fait encore mal », a-t-il soutenu. Il souligne que les espoirs de réconciliation, notamment autour de la question mémorielle, semblent avoir stagné, malgré la création d’une commission mixte pour traiter ce sujet sensible. Tebboune critique la lenteur des dialogues politiques, bien que les échanges commerciaux se poursuivent. Il dénonce également les discours de certains politiciens français, qui qualifient l’Algérie d’« État voyou », estimant que ces commentaires nuisent à l’image des relations entre les peuples, qu’il distingue des positions des extrémistes. « Il y a des déclarations hostiles tous les jours de politiques français comme celles du député de Nice, Eric Ciotti, qui qualifie l’Algérie d’« Etat voyou » ou du petit jeune du Rassemblement national [Jordan Bardella] qui parle de « régime hostile et provocateur ». Et ces personnes aspirent un jour à diriger la France… » se moque-t-il.
Un point de tension majeur a été la reconnaissance, par la France, de la « marocanité » du Sahara occidental, que Tebboune considère comme une erreur qui pourrait nuire aux relations bilatérales. « Nous avons parlé avec le Président Macron plus de 2 heures 30 en marge du sommet du G7 à Bari, le 13 juin dernier », rappelle le chef de l’Etat, puis ajoute : « Il m’a alors annoncé qu’il allait faire un geste pour reconnaître la « marocanité » du Sahara occidental, ce que nous savions déjà. Je l’ai alors prévenu : « Vous faites une grave erreur ! Vous n’allez rien gagner et vous allez nous perdre ».
Concernant les critiques sur l’utilisation de la mémoire coloniale comme une « rente mémorielle », Tebboune défend le droit de l’Algérie à honorer sa mémoire historique. « Quelle rente mémorielle ? Honorer ses ancêtres, laisser en paix les âmes de nos martyrs… Jusqu’à aujourd’hui, la France commémore encore ses soldats et résistants tombés dans la guerre contre l’Allemagne, ses cinéastes font des films », explose Tebboune. Et de comparer la situation de son pays à d’autres pays européens ayant des contentieux historiques, tout en affirmant que les violences subies par l’Algérie durant la colonisation française sont uniques et particulièrement marquées. « Ce qui s’est passé chez nous est unique en Afrique. C’est le seul cas de colonisation de peuplement où l’on a amené des Européens par bateau sur un sol étranger pour en faire une terre française, découpée par ordre numérique dans la suite chronologique des départements français », proteste Tebboune.
Les relations migratoires sont également au cœur des tensions. Tebboune a déclaré que l’Algérie accepterait de reprendre des Algériens expulsés des États-Unis, considérant cela comme une obligation légale, tout en critiquant les propositions extrêmes de certains politiciens français sur l’immigration. Tebboune suggère qu’il ne veut pas reprendre les sans papier qu’expulse la France. « Je m’interroge sur la manière dont Madame Le Pen va s’y prendre si elle parvient au pouvoir : va-t-elle une nouvelle rafle du Vel d’Hiv et parquer tous les Algériens avant de les déporter ? » persifle-t-il avec malice.
Il assure que la majorité des Algériens en France arrivent légalement et soulève des préoccupations concernant la gestion des demandes de laissez-passer consulaires. il tombe à bras raccourcis sur l’extrême droite : « Ce sont des « analphabétises ». Les responsables du RN ne connaissent que l’utilisation de la force. Il y a encore dans l’ADN de ce parti des restes de l’OAS pour laquelle il fallait tout régler par la grenade et les attentats ». Et par rapport aux USA, il ajoute : « Comparaison n’est pas raison : les relations entre les Etats-Unis et la Colombie n’ont rien à voir avec les nôtres. » Tout ça pour justifier l’acceptation des expulsés algériens des Etats-Unis.
« Nous allons le faire parce que cette demande est légale », répond Tebboune au sujet de l’expulsion de 306 Algériens des USA. « Le président américain n’a pas d’arrière-pensée liée à l’immigration algérienne aux Etats-Unis alors que le programme du RN, depuis feu Jean-Marie Le Pen, s’attaque systématiquement à l’islam et à l’immigration, avec comme bouc émissaire l’Algérie », plaide-t-il.
Sur le sujet de Boualem Sansal, emprisonné en Algérie, Tebboune affirmera qu’il s’agit d’une affaire interne à l’Algérie et que la solidarité autour de son cas semble politisée. Concernant les relations avec la Grande Mosquée de Paris, il rappelle que l’État algérien n’a pas d’intentions de contrôle mais assure l’entretien de l’institution.
L’affaire des « influenceurs » a aggravé la tension entre Alger et Paris. L’extrême droite ayant récupéré la question, elle en a fait un chiffon rouge.
« Je ne veux pas imposer à la France des Algériens en situation irrégulière. Nous avons d’ailleurs accordé 1 800 laissez-passer consulaires l’année dernière. Mais il faut respecter les procédures légales. Bruno Retailleau, [le ministre de l’Intérieur], a parlé de l’Algérie comme d’un « pays qui cherche à humilier la France » : il a voulu faire un coup politique en forçant son expulsion » répond le chef de l’Etat qui réclame de la France l’expulsion d’opposants comme Ferhat Mehenni, réclamé par le régime.
Nous reviendrons avec plus de détails prochainement sur cette partie de l’entretien.
Rabah Aït Abache