L’entretien télévisé accordé jeudi dernier par le président de la République a mis en lumière, bien au-delà du contenu politique qui reste très critiquable, l’état préoccupant du journalisme en Algérie. Les journalistes conviés ont enchaîné des questions convenues, parfois formulées de manière à contenir déjà la réponse attendue, sans jamais relancer ni bousculer l’interlocuteur.
Cette absence de contradiction trahit un double affaissement : éthique, d’abord, lorsqu’un métier fondé sur le doute et la vérification s’accommode de la simple reproduction du discours officiel ; professionnel, ensuite, quand la pratique de l’interview devient un exercice de communication à sens unique. Les quelques interrogations de fond sur les politiques publiques ou les dossiers sensibles n’ont pas trouvé place, réduisant l’échange à une tribune pour le pouvoir exécutif.
Le problème ne se limite pas à ce face-à-face télévisé. La presse écrite reflète la même dérive. Deux quotidiens (Le Soir d’Algérie et El Khabar) ont publié ce lundi 28 septembre, à la une, un article identique – titre et contenu – visiblement dicté par des circuits institutionnels, sans vérification indépendante.
Il s’agit d’un sujet à la portée stratégique majeure pour le pays : la fuite réelle ou supposée du directeur général de la Sécurité intérieure (DGSI), le général Abdelkader Haddad, alias El Djinn, un événement qui a enflammé les réseaux sociaux et attiré l’attention de nombreux médias internationaux, mais que l’ensemble de la presse nationale — y compris les deux quotidiens — s’est abstenu d’évoquer ou de vérifier. Comment comprendre le silence de la presse mais surtout des autorités devant un fait aussi grave ? Le silence, voire le déni, fera-t-il pour autant oublier ce scandale d’Etat ?
Cet épisode illustre une tendance plus large : celle d’un journalisme de connivence, où la recherche de l’information s’efface derrière la diffusion de messages « téléphonés ».
Les causes sont multiples : dépendance économique vis-à-vis de la publicité publique, cadre réglementaire restrictif, autocensure nourrie par la crainte de poursuites. Mais les conséquences convergent : affaiblissement de la crédibilité, perte de confiance du public et rétrécissement de l’espace critique dans le débat national.
La presse algérienne a connu de bien meilleures années. Dans un contexte où la société algérienne aspire à plus de transparence et de responsabilité, la profession journalistique se trouve à la croisée des chemins.
Retrouver sa mission de contre-pouvoir et de questionnement rigoureux n’est plus seulement un impératif déontologique : c’est une condition essentielle pour une information digne de ce nom et, plus largement, pour une vie démocratique authentique.
Rabah Aït Abache