Quinze jours. Quinze longs jours d’absence, de silence bruyant, rempli par des ministres notoirement incompétents, de spéculations fiévreuses sur la santé, la direction du pays, ou même la localisation précise d’Abdelmadjid Tebboune.
Puis soudain, tel un deus ex machina fatigué, revoilà aammou Tebboune ! Surgi de nulle part, ou plutôt d’un hors-champ présidentiel soigneusement cultivé, il s’assied, impassible, au cœur d’une réunion restreinte avec quelques hiérarques proches et les hauts gradés de l’armée — parce qu’au fond, qui d’autre pour tenir encore debout les décors branlants de ce théâtre d’ombres qu’est devenue l’Algérie officielle ? Lui seul pardi ! Nous rétorquent ses affidés.
Le plus inquiétant dans tout cela, ce n’est pas l’absence. On s’y est presque habitués, entre ses retraites médicales, ses silences diplomatiques (à quand remonte sa dernière déclaration publique sur la guerre à Gaza, lui qui avait fanfaronné aux Algériens que la question palestinienne était son affaire ?) et ses apparitions à contretemps.
Non, le plus vertigineux, c’est le retour. Et surtout ce qu’on en fait. Car dès sa réapparition, Tebboune, fidèle à lui-même, enfile sa veste d’improvisateur en chef, décide, tranche, et commente d’un ton docte l’évidence qu’il découvre comme une révélation : il manque des pièces détachées, le secteur des transports part à la dérive, et tout semble – surprise ! – mal géré. Ah bon ?
D’un claquement de doigt, le chef de l’Etat semble croire qu’il peut régler ce que des décennies de désorganisation, de corruption structurelle et de clientélisme méthodique ont pourri jusqu’à l’os. Il « instruira » donc — comme on plante des slogans dans un désert administratif — pour que les pièces détachées soient produites localement.
Ce réflexe magique d’un pouvoir qui croit qu’on peut faire pousser des industries par décret, en ignorant que la mécanique ne se plie pas à la rhétorique. N’a-t-il pas décidé en plein conseil des ministres du prix de la pomme de terre ? Pathétique.
Mais après tout, l’improvisation est la marque de fabrique de ce régime : gouverner le doigt mouillé, non pas selon un cap ou une vision stratégique, mais à la godille, selon le vent des urgences, la peur de la rue, ou la pression de crises internes à l’Etat profond. Ce conseil restreint est digne d’un huis clos théâtral, où l’on joue à décider pendant que le pays, lui, improvise la survie : une pièce pour la voiture, une place dans un bus fantôme, un visa, un job, un avenir.
Tebboune ne gouverne pas, il réagit. À la manière d’un chef d’orchestre qui ne sait pas lire la partition mais agite frénétiquement la baguette en espérant que l’harmonie naîtra du chaos. Et pendant ce temps, le petit public — c’est-à-dire nous ceux d’en bas qui tirent chaque jour le diable par la queue— regarde cette scène absurde, un peu consterné, un peu résigné, entre éclats de rire jaune et soupirs amers.
Improvisation, toujours. Direction, jamais,… jusqu’à la prochaine station avec son lot de passagers qui rejoindront le quai.
Yacine K.