3 mai 2024
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Thomas More, l’humanisme et l’anachronisme dans l’histoire

Thomas More.
Thomas More.

L’histoire, c’est aussi les grands hommes, ceux à qui on a concédé qu’ils l’ont façonnée. Ces figures nous laissent une image, parfois fantasmée, parfois énigmatique ou fortement documentée.

En quelque sorte, l’histoire n’est pas une constante certitude, elle est la conséquence de toutes ces approches. Elle a ce malin plaisir à souvent se contredire afin que l’esprit, les recherches et les chroniqueurs renouvellent perpétuellement le regard qu’on lui porte et la vérité qu’on y cherche.

Et cette vérité, c’est souvent celle que chaque société, chaque nation et chaque opinion, veut retrouver en elle en s’y persuadant.

Comme je le répète souvent, cet article n’est pas un traité d’érudition, loin de là. Il est l’envie de partager nos opinions avec les outils de connaissance et de réflexion que tout lycéen a normalement à sa portée.

Le sujet d’aujourd’hui porte sur un qualificatif très utilisé lorsque les personnes veulent définir un mouvement qui prône la vertu et le respect des valeurs humaines, l’humanisme. On dit d’une personne qu’il est un humaniste lorsque ses actions sont en concordance avec cette vertu. C’est d’ailleurs ce qui ressort en évidence dans le mot humanisme.

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Et immédiatement apparaissent les points d’ancrage, historiques et conceptuels, qui peuvent servir de chemin de réflexion et, en même temps, d’avertir du danger à porter un regard sans discernement et de tomber dans le piège fréquent en histoire, l’anachronisme.

Le grand malentendu, l’humanisme est d’abord une notion religieuse

Lorsque le mot est prononcé, le jeune lycéen devrait immédiatement penser à la Renaissance du XVIème siècle en Europe. C’est en Italie, au siècle précédent, que les premières pierres conceptuelles furent posées. Mais très rapidement des souverains et des hommes cultivés de toute l’Europe, particulièrement des deux grandes puissances, française et anglaise, se sont emparés du mouvement de même que ces nations avaient importé massivement l’art et la culture italienne. Et voilà que la Renaissance du XVIème siècle est apparue.

Paradoxalement, l’adulte aura une tendance beaucoup plus prononcée à faire un anachronisme avec un mouvement plus récent, celui des droits de l’Homme. Tout simplement parce qu’il a une vue plus globale de l’histoire passée, reliée avec le moment contemporain. Du moins, c’est ce que supposerait son instruction d’adulte et, en plus, le mot en lui-même pousse à l’association.

La notion d’humanisme à la Renaissance est uniquement une notion religieuse. Accompagnant ce siècle, ce sont les hommes d’église qui possédaient l’érudition. Une lecture rapide de la biographie des plus connus suffit à rappeler qu’ils étaient souvent des savants dans beaucoup de domaines, comme il était coutume de l’être pour beaucoup de grands personnages dans l’histoire ancienne.

Attention, ne pas confondre avec les prêtres du bas clergé, chargés de l’action pastorale auprès du peuple, des personnes dont l’extraction sociale et la relative faiblesse de l’instruction ne garantissaient, la plupart du temps, ni la transmission de la culture ni les actions compatibles avec le message de la religion chrétienne.

La naissance de l’humanisme est donc une affaire strictement théologique. Mais alors, qu’est-ce que l’humanisme de cette époque, porté par le débat théologique ?

La controverse entre la prédestination et le libre arbitre

Pour bien comprendre il faut remonter loin dans le temps, aux sources. L’histoire a commencé avec une célèbre controverse au sein de l’Église catholique et opposa, à la fin du IVème siècle et début du Vème, Saint Augustin d’Hippone avec un moine breton du nom de Pélage.

En simplifiant beaucoup pour la compréhension, sans pour autant dénaturer le fond, ces deux personnages ont créé une rupture théologique profonde qui provoquera, bien plus tard, même si la cause est partielle, un vrai schisme dans l’Église.

Saint Augustin, Père de l’Église (titre honorifique attribué par l’Eglise à certains chrétiens des premiers siècles pour leurs écrits), affirmait que seul Dieu attribuait la grâce et que les êtres humains ne pouvaient avoir la prétention de penser l’obtenir par leurs actions.

L’être humain était par conséquent lié à sa prédestination, il était entaché par le péché originel et quelle que soit sa vie, seul Dieu pouvait lui accorder cette grâce. Il ne pouvait, toute sa vie qu’implorer cette grâce par des prières et une dévotion sans faille. Il y a donc une prédestination dans la vie de l’être humain car il n’avait aucun moyen par lui-même pour fuir son destin.

Au contraire, le moine Pélage considérait que l’être humain pouvait obtenir la grâce de Dieu par ses actions au sein de la communauté chrétienne. Il avait donc le « libre arbitre » de ses choix et de ses comportements afin d’obtenir la grâce.

Ce débat fut rude pendant des siècles et même si Rome avait tranché, sa force finira par provoquer le schisme entre les catholiques, ceux qui sont restés fidèles au Pape, et les protestants. Attention, comme toujours, même si cette cause est une profonde rupture théologique, il ne faut pas occulter les nombreuses autres raisons.

L’apport de la Renaissance

Pour le comprendre, il faut au préalable rappeler l’une des causes premières de la Renaissance. Là également, ne prenons que des éléments simples à expliquer à un collégien mais tellement exacts dans leur apport de compréhension.

La Renaissance est d’abord une redécouverte, une autre lecture de l’Antiquité. Celle-ci avait totalement été occultée par la naissance et la puissance de l’Église chrétienne. L’Antiquité était présentée comme une époque barbare et c’est, bien entendu, le message de Jésus-Christ qui avait apporté la lumière à ce monde supposé des ténèbres.

Pour la religion dominante, il n’y avait pas de culture, d’art et de science avant que la chrétienté ne l’apportât. Bien évidemment, même les pires emprises mentales ne peuvent éternellement occulter la vérité du passé et elle a fini par revenir à la surface.

L’une des thèses de ce retour au passé réel de l’Antiquité serait la chute de l’empire romain d’Orient et le rapatriement des milliers de documents des bibliothèques ainsi que les érudits de l’empire.

Pour ma part, je trouve cette explication très partielle et mythifiée. S’il elle est exacte en partie, il y avait bien des forces de pensée et de culture internes à l’empire d’occident pour que le couvercle explose et qu’apparaisse la vérité sur l’Antiquité.

Et subitement on découvre qu’il y a eu de grandes civilisations avant la chrétienté, que l’art, la philosophie, les sciences et techniques étaient florissants. On découvre les textes et auteurs de l’Antiquité et on s’émerveille de leur niveau de connaissance, d’instruction et de capacité à parler de beauté et de culture.

C’est dans ce contexte que la graine de l’humanisme, plantée au Quattrocento (XVème siècle italien) allait murir dans toute l’Europe au XVIème siècle, celui de la Renaissance.

Le retour à l’Homme, au centre de la création

Et c’est ainsi que la controverse Saint Augustin-Pélage resurgit avec une force inattendue. En même temps que les érudits de la communauté chrétienne redécouvraient l’Antiquité, ils ont relu sous un autre regard ce qui démarra l’ère chrétienne, soit les Évangiles.

L’abîme qui séparait le texte de la réalité des pratiques de l’Église créa une réaction qui allait inévitablement aboutir, plus tard, au schisme et aux guerres de religion.

On peut dire que deux versions de cette relecture ont dominé les autres même si toutes les deux prônaient le retour au message initial des Evangiles. Je dirais que la position de Luther était plus politique que dogmatique bien que nous trouverions aujourd’hui, avec anachronisme, qu’elle fut au contraire, très puritaine. Celle de Calvin semble plus rigoriste, centrée sur une interprétation théologique des plus sévères.

Et on sait où cela a mené, au schisme du christianisme. Les Protestants accusant les chrétiens fidèles au pape de se vautrer dans le fétichisme des icônes, aussi bien celui de Marie et, surtout, de continuer à penser que la confession peut racheter les fautes de l’être humain.

Au regard de ce dernier point, nous sommes au cœur de l’ancienne controverse. Pire encore l’accusation à l’encontre de l’Église était qu’elle distribuait des « indulgences », c’est-à-dire des rachats de pêchés contre rétribution. C’est incontestablement la cause la plus profonde de la rupture.

Mais l’évènement politique, celui de l’étincelle qui a mis le feu au sein de la chrétienté, c’est le voyage de Luther à Rome. Celui-ci fut catastrophé par le comportement de la papauté et de son entourage. Luxure, vices, péchés capitaux jusqu’à la débauche, cela en était trop. Mais aussi, c’est à ce moment où Luther s’aperçut d’une gigantesque dépense somptueuse pour l’édification de la basilique Saint Pierre.

Voilà, pensait Luther, comment Rome pillait les deniers de toutes les communautés chrétiennes à travers l’Europe qui devaient financer un train de vie dispendieux et diabolique.

Nous n’irons pas plus loin dans le déroulé de l’histoire car nous connaissons la suite, un massacre de millions de personnes dans des guerres de religion, longues et atroces.

Et voilà exposé le malentendu de la signification de l’humanisme de la Renaissance. Partant de la volonté de revenir à la parole de Jésus (et donc à la mise en avant de la personne humaine, créature divine), les protestants ont été des rigoristes avec lesquels la notion contemporaine des droits de l’homme n’a absolument rien à voir. Un anachronisme des plus connus dans l’histoire.

Et Thomas More dans tout cela ?

Tout simplement parce que c’est mon choix de prendre un exemple qui illustre le mieux le mouvement humaniste de cette époque.  Thomas More est effectivement l’un des représentants les plus iconiques des humanistes du XVIème siècle et ses ouvrages ont été une base importante de la connaissance et propagation du mouvement.

Il cumule tous les points à l’origine de l’anachronisme que nous voulions mettre en évidence. C’est tout d’abord un homme de clergé, ce qui fait revenir à notre point de départ. L’érudition était le fait d’hommes lettrés donc de haute position dans la structure de l’Église.

Puis il a été un puissant du royaume anglais, l’un des plus proches conseillers du roi Henri VIII. Cela donne une envergure au personnage qui ne doit pas faire oublier qu’il a participé à la barbarie de ce souverain qui, pour le moins, est très loin de la définition contemporaine de l’humanisme.

Puis, pour justifier encore plus son humanisme auprès de l’histoire, il lui fallut être un martyre d’une cause qui n’a pourtant rien à voir avec la défense des petites gens. Sa rupture avec Henri VIII qui finit par le faire exécuter est avant tout une affaire religieuse, Henri VIII voulant la séparation avec le pape et se déclarant le chef de l’Église d’Angleterre. Et encore plus lointaine comme raison, le refus du divorce du roi avec une reine très catholique, un divorce refusé par le pape.

Enfin, il fallut que Thomas More incarne une certaine idée de notre vision des droits de l’homme actuelle, celle qui conduit le plus  à notre tentation d’anachronisme. Ses ouvrages célèbres feraient croire à un grand humanisme dans le sens que nous l’entendons. Oui, si nous nous en référons au texte rédigé d’une manière qui font de lui un très grand auteur.

Absolument pas si nous nous référons à sa position sociale et ecclésiastique de l’époque qui nous brusquerait jusqu’à nous troubler par son côté sombre.

En conclusion, elle sera assez simple et classique, il faut aborder les grands hommes de l’histoire avec un recul, un discernement et une précaution à ne pas les juger avec le regard d’aujourd’hui. C’est justement cela qui évite l’anachronisme.

Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant

3 Commentaires

  1. Ya SI Lakhdar el bourdjoisi: et les FEMMES dans ton super Charabia ? Tout ce que tu as ecris est Connu. Surprends-Moi avec toute ton erudiction!
    Vas-y fonce !!!
    Sinon Je vais…. Googler
    Farid

    • Hélas, je n’ai que le niveau des nuls.
      Puis, il faut bien lire, mon texte précise qu’il s’agit de notions que n’importe quel lycée a dans sa connaissance.
      C’est juste pour un débat sur l’humanisme avec mon sentiment personnel.
      Pour lire des thèses, il y a des lieux qui s’appellent des bibliothèques.
      Je ne peux monter plus haut.

  2. Texte très intéressant, je termine la lecture du livre de Hanna Arendt sur » le concept d’amour chez Augustin », on retrouve votre analyse autant également, dans Le livre de Max Weber  » l’éthique Protestante et l’esprit du capitalisme » .Quelques lignes également dans le livre de Pierre Bourdieu « sur la sociologie de l’Algérie ». Face à l’obscurantisme ambiant, il est indispensable d’être en veille sur la culture, l’histoire, la sociologie… pour ne pas sombrer ! Merci.

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