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mardi 15 juillet 2025
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« Tifawin » : lumières d’art et d’identité chaouie

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Au cœur des montagnes de l’Aurès, une lumière singulière éclaire le travail de Noureddine Tabrha, artiste autodidacte, discret mais habité par une profonde exigence esthétique. Son exposition Tifawin, qui signifie « Les lumières » en langue amazighe, propose un voyage intérieur où s’entrelacent héritage chaoui, recherche plastique contemporaine et désir d’élévation.

Dans cet entretien, il nous parle de son parcours, de sa démarche artistique, de ses racines et des défis auxquels font face les créateurs dans les régions oubliées de l’Algérie.

Le Matin d’Algérie : Votre exposition porte le titre Tifawin, qui signifie « les lumières » en berbère. Pourquoi ce choix ? Quelle symbolique revêt-il dans votre parcours artistique ?

Noureddine Tabrha : Tifawin signifie « les lumières », un mot porteur d’espoir et d’élan intérieur. Ce titre résume ma quête artistique : ces instants d’éclat qui illuminent le regard et ravivent en nous le désir de vivre, de créer, de rêver. L’art, à mes yeux, est l’âme qui anime le corps, une lumière qui le traverse. Tifawin, c’est aussi le fruit de longues années d’expérimentation, de passion, d’errance parfois, à la recherche d’une clarté au milieu de l’obscurité – sur la toile comme dans la vie.

Le Matin d’Algérie : Vous êtes un artiste autodidacte. Comment sont nés vos débuts artistiques dans les montagnes de l’Aurès ? Qu’est-ce qui vous a poussé vers la peinture et la sculpture ?

Noureddine Tabrha : Peu importe qu’un artiste soit autodidacte ou formé dans une école. Ce qui compte, c’est la manière dont il digère ses expériences et forge une vision singulière. J’ai grandi dans les montagnes de l’Aurès, un environnement austère mais lumineux, où la nature m’a parlé bien avant que je comprenne son langage. Ce monde visuel m’a habité dès l’enfance, avant même que je réalise qu’il s’agissait d’art. Peindre, sculpter, créer n’était pas un choix intellectuel, mais une nécessité intérieure. Pour moi, l’art est un acte de fidélité à l’humain, à la beauté, une manière de transformer l’expérience en langage.

Je refuse les enfermements dans un style ou une école : je m’inscris dans une ouverture continue vers tout ce que les arts plastiques d’aujourd’hui peuvent porter de vivant et d’universel.

Le Matin d’Algérie : Votre travail est nourri de symboles liés au patrimoine et à la mémoire collective. Quelle place la culture chaouie occupe-t-elle dans votre démarche artistique ?

Noureddine Tabrha : La culture chaouie n’est pas seulement présente dans mon art : elle est ma matrice. C’est la langue, les paysages, les gestes, les silences, les couleurs de mon enfance. C’est à elle que je reviens dès que je cherche un sens ou un ancrage. Mais faire vivre une culture ne signifie pas répéter le passé. C’est l’interroger, la réinterpréter avec des formes nouvelles, sortir des stéréotypes. Nous avons besoin de repenser notre rapport à l’héritage. L’art est, pour cela, un outil précieux. J’ai choisi de défendre mon identité en misant sur la beauté : une beauté ancrée mais ouverte, qui parle autant du local que de l’universel.

Le Matin d’Algérie : Comment articulez-vous vos racines avec la modernité ? Est-ce une tension ou une harmonie ?

Noureddine Tabrha : Je le vis comme une harmonie. Les racines, si elles ne sont pas nourries, s’assèchent. Elles ont besoin d’eau, d’air, de mouvement. L’art est cette sève. Si l’on se fige dans le passé, on devient stérile. Il ne s’agit pas de rompre avec nos ancêtres, mais de dialoguer avec eux dans un langage d’aujourd’hui. Je me vois comme un prolongement de leur mémoire, mais avec un regard contemporain. Ce n’est ni nostalgie ni rupture, c’est une continuité vivante, créative, audacieuse.

Le Matin d’Algérie : Vous travaillez à la fois la peinture et la sculpture. Comment choisissez-vous vos matériaux ? Avez-vous une matière de prédilection ?

Noureddine Tabrha :L’art contemporain a bousculé les cadres. Ce n’est plus la matière ou le style qui comptent, mais la sincérité du geste et la justesse de la forme. Pour moi, le matériau n’est pas un simple support : c’est un partenaire expressif. Chaque matière a son énergie, sa voix. À nous de l’écouter.Je n’ai pas de matériau fétiche : tout dépend du moment, du projet, de ce que je veux dire. L’étain, par exemple, peut parfois exprimer plus de noblesse qu’un métal précieux, s’il est travaillé avec vérité. L’essentiel, c’est l’harmonie entre l’idée, la forme et le ressenti

Le Matin d’Algérie : Vous avez dit que l’art est « souffrance » et « défi ». Que vouliez-vous dire par là ?

Noureddine Tabrha : Créer n’est pas un luxe. C’est un combat, surtout dans les marges. Il faut faire face au manque de moyens, à l’isolement, à l’incompréhension parfois. Cela demande une volonté tenace et une foi inébranlable. Mais c’est aussi une joie profonde. Extraire la beauté de la douleur, offrir une lumière dans la grisaille : voilà la mission de l’artiste. Il ne donne pas des réponses, mais il pose des questions, il ouvre des brèches, il trouble et il éclaire.

Le Matin d’Algérie : Quel rôle pensez-vous que l’artiste doit jouer aujourd’hui en Algérie ? Vous considérez-vous comme une conscience collective ?

Noureddine Tabrha : L’artiste est là pour éveiller, activer les sens, faire voir autrement. Il révèle la beauté cachée des choses simples. Il n’a pas besoin d’institution pour exister : sa légitimité vient de sa sincérité.Je ne prétends pas être une conscience collective, mais je tente d’être une voix juste. Une voix qui relie, qui reflète les émotions, les douleurs, les espoirs. Une voix qui croit au pouvoir tranquille de la beauté.

Le Matin d’Algérie : Vous dirigez la Galerie Landon à Biskra. Comment évaluez-vous la scène artistique dans les Aurès aujourd’hui ?

Noureddine Tabrha : La Galerie Landon est un lieu que nous avons voulu libre, vivant, tourné vers l’authenticité. C’est une réponse aux pratiques usées de l’exposition figée. Nous avons accueilli des artistes sincères, organisé des expositions collectives et soutenu des talents locaux. Mais il y a aussi des inquiétudes. Beaucoup d’artistes se retirent discrètement, épuisés par l’indifférence ou l’absence de soutien. Et pourtant, dans les Aurès comme ailleurs, il y a une énergie créative incroyable. Ce qu’il faut, c’est une volonté politique et culturelle réelle pour les accompagner, les valoriser, et les faire rayonner.

Le Matin d’Algérie : Votre style navigue entre abstraction et symbolisme. Quels artistes ou courants vous ont influencé ?

Noureddine Tabrha : Je me sens redevable aux grands courants du XXe siècle — expressionnisme, abstraction, art conceptuel — mais aussi aux artistes qui ont su inventer leur propre voix. En Algérie, certains parcours m’ont marqué, ceux qui ont cherché à inscrire une esthétique enracinée mais ouverte. À l’international, j’ai toujours été inspiré par ceux qui ont vu dans la beauté un combat humain.

Je crois profondément que notre culture peut dialoguer avec l’universel. L’art n’a de patrie que la beauté, et de langue que l’humanité.

Le Matin d’Algérie : Quel message souhaitez-vous que le public retienne en visitant Tifawin ?

Noureddine Tabrha : Je ne cherche pas à imposer un sens. Je souhaite que chaque visiteur reparte avec quelque chose de lui-même, qu’il ait été touché, éveillé, peut-être réconcilié avec une émotion. Je veux que mes œuvres disent au spectateur : l’art est en toi. Il peut te surprendre, t’apaiser, t’éclairer. Et surtout, il peut te rappeler que la lumière est toujours possible.

Entretien réalisé par Djamal Guettala

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