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Timbre à l’effigie de Mouloud Mammeri : ses dessous et ses arrière-pensées

Tribune

Timbre à l’effigie de Mouloud Mammeri : ses dessous et ses arrière-pensées

Les postes algériennes ont émis un timbre, en 2017, en hommage à Mouloud Mammeri. C’est l’un des moments du programme officiel de la célébration du centenaire de la naissance de l’écrivain kabyle.

Le timbre représente un portrait en noir et blanc, sur fond blanc, de Mouloud Mammeri. De nos jours, le noir et blanc suggère le passé ; ainsi se réalise une assignation à un temps révolu de ce symbole. Et l’artiste, qui a conçu et produit ce dessin envoie un message subliminal, dans ce sens, au public ! Pourtant, Mouloud Mammeri est éternel par la dimension de son œuvre qui est fondamentale, pour une très grande part, dans la « renaissance » de la culture amazighe. Et son œuvre sera toujours d’actualité. Et pour souligner, et suggérer, cette « actualité » de l’auteur et de sa pensée, on aurait pu choisir un portrait en couleur.

L’artiste a choisi de représenter Mouloud Mammeri avec des cheveux grisonnants (tendance au blanc), ce qui suggère le portrait d’un homme « âgé » ; cette « ancienneté » semble cohérente avec le choix du noir et blanc comme couleurs du dessin. Comme si l’œuvre de ce géant ne pouvait prétendre à la modernité !  

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Dans le portrait, le regard de l’écrivain kabyle donne une impression de fuite : si l’œil gauche semble fixer un horizon, le droit ne semble pas fixer le même espace. Cela ne rend pas la véritable dimension de Mouloud Mammeri qui a fouillé le passé lointain de l’amazighité qu’il a propulsée vers des horizons lointains avec une grande cohérence : cela n’aurait pas été possible s’il n’était pas déterminé.

Habillé en classique, l’auteur kabyle porte une cravate. Cet accessoire vestimentaire est un symbole d’appartenance à la classe dirigeante, notamment lorsqu’il est associé au costume classique. Lorsqu’on sait que Mouloud Mammeri, qui en était aussi conscient, appartient à un groupe ethnique marginalisé et opprimé dans son propre pays (qui le prive de ses droits linguistiques et culturels) on ne peut que s’interroger sur le choix d’un portrait ainsi chargé, symboliquement, par l’auteur du dessin. Certes Mouloud Mammeri devait porter des cravates dans des moments de sa vie et en certaines circonstances mais ici il est question d’une représentation qui doit symboliser le combat d’opprimé mené par ce grand homme qui est un membre d’un peuple en quête d’identité et non un élément des classes et des castes dirigeantes algériennes.

Le portrait semble représenter un personnage caractérisé par un certain détachement ou absence alors que Mouloud Mammeri a été un homme attaché à son identité et à sa culture et un intellectuel présent tout au long de sa vie et, même, au-delà puisqu’il accompagne tous ceux qui s’investissent dans les études et recherches dans la culture et civilisation berbères.

Tout en haut du timbre, il est écrit « Algérie » en français (à gauche) et en arabe (à droite). Le nom du pays n’est pas inscrit dans la deuxième langue officielle du pays, tamazight ; pour le timbre émis au début de l’année 2017 pour célébrer le premier anniversaire de l’officialisation de tamazight en Algérie, on avait omis l’usage de tamazight pour désigner le pays comme s’il était innommable dans cette langue (*). Cela dénote l’état d’esprit des gouvernants algériens (y compris dans les Postes algériennes) qui ne considèrent, en fait, que l’arabe comme langue officielle. Pour l’inscription du nom du pays en français (Algérie), elle obéit à la tradition philatélique qui s’inscrit dans dimension universelle. Le public international est plus important que le public berbère algérien pour les Postes du pays.

En bas du timbre figure le nom du personnage représenté dans cette « œuvre ». Ce nom est transcrit d’abord en arabe, puis en tifinagh et, enfin, en français. On note la primauté de l’arabe même dans cet hommage au plus illustre des berbéristes algériens. Pour l’inscription en tamazight, l’artiste et la poste ont choisi les caractères tifinagh. Pourtant, c’est Mouloud Mammeri, inspiré par les travaux de ses prédécesseurs, qui a proposé l’alphabet (en caractères latins) qui est à la base du système d’écriture actuel de tamazight. On peut considérer ce choix de tifinagh comme une volonté de brouiller les pistes.

Le nom de Mouloud Mammeri en tifinagh est une transcription (phonétique) de son écriture en français [Mulud Mameri] : il n’y a aucun effort de « berbérisation » du nom de l’un des plus illustres des Berbères sujet de cet hommage ! D’ailleurs, mis à part ce nom (mal) transcrit en tifinagh, aucun mot de la langue de Mammeri ne figure sur ce timbre qui célèbre son centenaire.

Le nom de l’artiste qui a réalisé cette « œuvre » est noté en arabe tout en bas, et à droite, du timbre : Mouataz Serbis. On peut constater que même le prénom du dessinateur (originaire d’Aflou) est franchement marqué « arabe ». Pour la circonstance et l’événement, la Poste aurait pu retenir un artiste connu pour son militantisme identitaire amazigh ou, au moins, dont le prénom est évocateur de la civilisation amazighe. Mais les initiateurs de ce projet devaient avoir comme idée « d’algérianiser » Mouloud Mammeri comme s’il ne l’était pas déjà. Le « système » semble avoir convoqué, ici, tout ce qu’il pouvait pour baliser, banaliser et « arabiser » le symbole, par excellence, de l’amazighité que constitue ce grand homme.

Le centenaire de la naissance de Mouloud Mammeri lui a aussi valu d’autres « célébrations » comme le colloque organisé, principalement, par le HCA en 2017.

Depuis quelque temps le pouvoir a changé de stratégie dans sa lutte contre l’identité amazighe. Ce changement a été amorcé à partir de l’ouverture politique des années 1990 pour s’adapter aux nouvelles réalités sociopolitiques : il alternait la répression par la violence et la manipulation politicienne. On a constaté ces dernières années que le régime politique algérien a affiné sa stratégie dans le but de s’approprier le monopole politique de la question (identitaire) amazighe. Il procède à la satisfaction de quelques revendications mais de façon perverse comme il l’a fait avec la constitutionnalisation de tamazight, la création de TV4 ou l’institution de Yennayer comme journée chômée et payée ; il s’apprête à le faire aussi avec la création d’une académie aux desseins berbéricides.

Ce sont autant d’espaces disputés à la revendication identitaire. Le régime investit des symboles pour se les approprier comme il essaie de le faire avec Mouloud Mammeri qu’il célèbre. Il y a peu de temps, on vu le wali de Tizi Ouzou se recueillir sur la tombe de Matoub Lounès ! Une démarche grotesque. Pour réaliser ses objectifs, il met à contribution des organisations satellitaires qui lui sont affiliées et des institutions publiques : une sorte de réplique des organisations de masses affiliées, franchement, au FLN du temps du parti unique. Même en satisfaisant des revendications de façon perverse et en tentant de « brouiller » des symboles, le pouvoir politique ne peut pas réussir l’appropriation de revendications et de symboles qu’il a combattus et réprimés pendant longtemps : son hostilité chronique envers l’identité amazighe et son insincérité, tout aussi chronique, ont engendré une méfiance, à son égard, non moins chronique.

Avec l’émission de ce timbre, les Postes algériennes ont raté l’occasion de faire l’économie d’une bêtise : à défaut de rendre un hommage philatélique digne de l’immense intellectuel et militant de la cause identitaire amazighe qu’était Mouloud Mammeri, elles auraient mieux fait de s’abstenir de commettre cet outrage à la mémoire de notre symbole.

 (*) Voir aussi : (http://www.lematindz.net/news/24784-officialisation-de-tamazight-le-timbre-de-lalienation.html).

Auteur
Nacer Aït Ouali

 




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