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Traité plastique : sous pressions, l’Afrique tentera de parler d’une seule voix

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Les négociations pour un accord sur la lutte contre cette pollution omniprésente reprennent à Genève ce mardi 5 août, après l’échec de la session de décembre 2024 à Busan. Dans ces discussions clivées, l’Afrique a prouvé qu’elle était favorable à un texte contraignant et ambitieux dans ses objectifs. Mais l’influente Arabie saoudite, qui patronne l’opposition minoritaire, tente de faire bouger les lignes.

Le fléau des déchets plastiques n’épargne aucun pays. Mais dans certains, il est particulièrement visible, comme en Afrique, devenu le dépotoir du monde occidental. Les preuves par l’image sont légion, comme celles de l’enquête réalisée par la Changing Market Foundation dans la décharge tentaculaire de Dandora, à Nairobi (Kenya), l’une des plus grandes du continent.

Et pourtant, c’est au centre de cette même capitale que siège le Programme des Nations unies pour l’Environnement. Là où, en mars 2022, le monde s’est entendu sur une résolution ambitieuse en vue de mettre un terme à cette pollution. Adoptée par 175 États, elle a déclenché un cycle de négociations pour rédiger un traité international qui les contraint à prendre des mesures au niveau national.

Le texte aurait dû voir le jour fin 2024 à Busan (Corée du Sud). Mais les débats traînent et sont paralysés à ce stade. Rien ne dit que ce 5e tour bis du Comité intergouvernemental de négociations (INC 5.2) qui démarre à Genève ce mardi sera le dernier. « Il faudra beaucoup d’efforts et de flexibilité pour terminer », reconnaît Cheikh Ndiaye Sylla, co-représentant de l’Afrique au Bureau du Comité, joint par RFI.

Des chiffres astronomiques

Le continent ne produit que 5% du plastique dans le monde et n’en consomme que 4%. Malgré les alertes qui montent des sociétés civiles, l’utilisation du plastique devrait être multipliée par 6,5 en Afrique sub-saharienne devant l’Inde (x 5,5). Un demi-milliard de tonnes de plastique est produit chaque année, une quantité appelée à doubler en 2050 si rien n’est fait. Valeur de ce marché : 700 milliards de dollars annuels, en progression.

Au rythme actuel, les déchets plastiques tripleront d’ici 2060 pour dépasser le milliard de tonnes, selon un scénario largement cité. Aujourd’hui, la moitié est toujours enfouie et moins de 10% est recyclé.

Le pétrole est le principal composé du plastique. Environ 6% alimente cette industrie et cette part devrait atteindre 20% d’ici 25 ans, et donc représenter 15% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. La pollution plastique est une composante de la triple crise planétaire en cours, avec le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité, un triptyque infernal qui s’auto-alimente. Sans parler des conséquences sanitaires : les alertes se multiplient sur la contamination des êtres vivants.

Limiter la production pour contenir la quantité de déchets

Lutter contre la pollution plastique ne fait pas débat en soi, mais tout se tend sur la façon d’y parvenir : faut-il réduire la production de polymères primaires en amont (les composés de base du plastique, les fameux polyester ou polyéthylène indiqués sur nos vêtements par exemple) ou bien se contenter de gérer les déchets, en développant le recyclage notamment ?

La résolution mentionne noir sur blanc la nécessité de prendre en compte « l’ensemble du cycle de vie des plastiques », de sa production à son élimination en passant par son utilisation. « C’est ce qui fait que ce traité [proposé] est unique : il reconnait que le plastique n’est pas seulement un problème de gestion des déchets mais qu’il doit être traité à la source, lors de l’extraction des énergies fossiles qui sont injectées dans la fabrication de plastique », expose Merrisa Naidoo, experte à l’ONG internationale et panafricaine Gaia qui participe aux sessions de négociations depuis le début.

Diminuer le flux de la production plastique, en amont, mais aussi lister les quelque 16 000 additifs chimiques néfastes pour la santé humaine afin de les éliminer progressivement : tels sont les deux cœurs de cible visés par plus de 100 pays. Parmi eux, des pays producteurs et exportateurs d’énergies fossiles, comme le Canada et la Norvège. Ils sont réunis sous la bannière d’une Coalition de haute ambition (la HAC). La barre qu’elle s’est fixée est effectivement haute : en finir avec la pollution plastique à l’horizon 2040.

Les États pétroliers retournent le consensus comme un veto

Cependant, la dynamique est freinée par un groupe minoritaire d’États pétro-gaziers. Un camp informel appelé les « like-minded », « ceux qui partagent la même vision ». Les pays du Golfe, la Russie, l’Iran et l’Inde en sont les figures de proue. Ils sont appuyés par les États-Unis ou le Brésil, deuxième et quatrième producteurs de plastiques, et surtout par le puissant secteur industriel, fédéré dans différentes alliances. Tous voient dans l’industrie plastique un débouché d’avenir indispensable pour leur or noir, alors que le monde opère doucement une transition énergétique pour se passer des combustibles fossiles.

Signe de la coloration très politique et plus seulement technique des discussions qui se crispent, plus de 100 ministres sont attendus à Genève. Le 1er décembre 2024, au dernier jour de la session coréenne, le président des négociations, l’Équatorien Luis Vayas Valdivieso, a décidé de mettre sur la table sa propre proposition de traité qui sert désormais de base aux échanges. Long de 22 pages, il comporte encore 370 crochets, soit les passages qui font l’objet d’un désaccord.

Plusieurs pays aimeraient, sur les bords du lac Léman, achever ce processus avant qu’il ne régresse trop avec la puissante lame de fond de reculs écologiques. Y compris en ayant recours au vote plutôt qu’au traditionnel consensus (qui suppose qu’il n’y ait pas d’objections). La France par exemple considère désormais cette option.

Pour les États pétro-gaziers en revanche, le vote est une ligne rouge. L’Arabie saoudite, premier exportateur de pétrole, se fait remarquer par son nombre d’objections sur la plupart des sujets par et ses tentatives de supprimer tout langage contraignant dans le texte. Dans une tribune publiée ce lundi, un collectif international de députés regrettent que « les Etats pétroliers [aient] pris les négociations en otage » et les accusent d’utiliser « l’absence de consensus comme un veto de fait ».

L’Afrique, une « autorité morale » unie dans la diversité
Dans ce qui ressemble de plus en plus à une guerre de positions, l’Afrique défend bec et ongles sa vision et ses priorités. Elle s’est montrée motrice, dès 2019, pour un traité. Les gouvernements ont été poussés par des sociétés civiles très actives, ayant même développé une expertise technique et scientifique. « Le continent africain a émergé comme un leader dans cette crise. Sur 54 pays, 34 ont soit réussi à bannir le plastique, soit adopté une loi dans l’intention de le faire », explique Merrisa Naidoo. Le Gabon vient d’annoncer la fin des sacs à usage unique. « Mais sans mesures globales, ces mesures nationales ne peuvent qu’échouer. » « Sur 34, 16 fonctionnent réellement et cela pose des problèmes », confirme Cheikh Ndiaye Sylla.

L’unité du continent dans ce dossier suscite le respect chez les observateurs, comme le juriste Tim Gabriel, expert de ces négociations à l’Agence d’investigation environnementale, une ONG britannique : « Le groupe africain représente l’autorité morale dans ces négociations, avançant des positions ambitieuses sur les questions les plus saillantes. Dans l’ensemble, il existe une unité d’objectif et d’ambition impressionnante. » Une source diplomatique française le soulignait la semaine dernière : « Les pays africains sont tous très en attente d’un traité plastique. »

Comme dans les Conférences onusiennes sur le climat (COP), les pays négocient par le biais de leur groupe d’appartenance géographique ou culturelle (l’UE, les pays arabes, etc.). En amont, le groupe Afrique négocie en interne pour aboutir à une position commune qui sera défendue lors des rounds de négociations.

Les pays en pointe dans ce dossier sont bien identifiés : le Ghana préside le groupe de négociateurs ; le Rwanda, qui co-préside la Coalition, a entre autres œuvré pour obtenir (en vain) un objectif chiffré de baisser de 40% de plastique sorti d’usine d’ici à 2040. Il représente l’Afrique au Bureau du Comité intergouvernemental avec le Sénégal. Ce dernier s’est distingué en plaidant fort pour un mécanisme de financement spécialement dédié pour la mise en œuvre du traité. Le pays de la Teranga a aussi élevé la voix sur le point très conflictuel du mode de prise de décision lorsque les discussions font du sur place. Cheikh Ndiaye Sylla répète à RFI ce qu’il avait clamé dès la 2e session de négociations : « Le consensus tue la démocratie parce qu’un pays ou deux peuvent se lever et dire qu’ils ne sont pas d’accord. » Enchaînant : « La position du groupe africain est claire : si on n’y arrive pas, on vote, à la majorité des deux-tiers. »

L’Amcen 19/2, « étoile du Nord » du groupe

Comment expliquer alors que seulement quinze pays du continent aient rejoint la Coalition de haute ambition, initiée par la Norvège et le Kenya dès 2022 ? « Faire partie de la Coalition n’est pas la seule façon d’être ambitieux dans les négociations », nous réplique Merrisa Naidoo. « En réalité, cette Coalition a manqué d’ambition à plusieurs reprises et est restée silencieuse dans les moments de tension. Le groupe de négociateurs africain a été le bloc le plus ambitieux, main dans la main avec l’Aosis [l’Alliance des petits États insulaires, une quarantaine d’îles indépendantes]. »

« La majorité silencieuse n’est pas forcément opposée à la haute ambition, affirme Gilbert Kuepouo, observateur des négociations en tant que directeur du Centre de recherche et d’éducation pour le développement au Cameroun. Mais j’espère qu’à Genève ce nombre triplera, au moins. »

Par ailleurs, la non-adhésion d’un pays à la HAC ne signifie pas qu’il refuse un traité. « Les réunions du groupe de négociateurs africains constituent un meilleur indicateur pour savoir lesquels en veulent ou pas, complète Tim Gabriel. Elles témoignent d’un soutien massif en faveur d’un traité adapté à l’Afrique. »

Plusieurs rencontres se sont succédé en juillet à Nairobi, terminées le 18 par la 20e Conférence des ministres africains de l’Environnement (Amcen 20). Les dirigeants y ont réaffirmé que la déclaration prise en 2023, l’Amcen 19/2, devait rester « l’étoile du Nord » de la position africaine. « La décision de l’Amcen 19/2 est fondamentale parce qu’elle sanctuarise les priorités africaines pour le traité. C’est elle qui autorise nos négociateurs à continuer de maintenir l’ambition, elle est d’ailleurs plus ambitieuse que toutes les propositions présentées par la Coalition jusqu’à présent. Pour cela, elle doit être continuellement réaffirmée », insiste Marrisa Naidoo.

Quelles sont ces priorités ? Premièrement, la prise en compte de l’entièreté du cycle de vie du plastique dans le traité. Cela inclut de communiquer les données de production, de consommation, d’import et d’export. C’est l’objet de l’article 6, qui catalyse les tensions.

L’autre attente est de dresser une liste des composants chimiques dangereux pour la santé et ceux non recyclables afin de pouvoir les éliminer progressivement (articles 3 et 5). Par ailleurs, la conception en amont doit prévoir de faciliter la recyclabilité et la réutilisation puisque la toxicité ne disparaît pas au recyclage.

Troisième souhait : la création d’un fonds multilatéral pour permettre le financement des transformations nécessaires dans les pays (article 11). Ce fonds doit être indépendant exigent 151 pays d’Asie-Pacifique, d’Amérique latine et d’Afrique, et non placé sous l’égide du Fonds pour l’environnement mondial (FEM), comme le souhaitent les pays développés.

Mais la pierre d’achoppement est surtout : qui doit payer et qui doit en bénéficier ? Là-dessus aussi, l’Afrique est solidaire : le principe pollueur-payeur doit primer, les pays en développement doivent en bénéficier. Si le groupe, par prudence politique, ne le demande pas, beaucoup souhaiteraient voir la Chine, qui en fabrique plus de 30%, mettre la main à la poche et non recevoir les fonds. De même que les riches pétro-monarchies. « La définition de pays en développement dans ce contexte pose un vrai problème. L’Afrique devrait avoir une position beaucoup plus tranchée », juge Gilbert Kuepouo, joint juste avant son départ pour Genève.

Des voix discordantes au sein du groupe

Si les Africains insistent tant sur l’importance de s’en tenir au socle de l’Amcen 19/2, c’est que des fissures traversent le groupe. « On pourrait entendre davantage les pays africains, acquiesce Muriel Papin, de l’ONG No Plastic in My Sea. Mais on sait qu’ils font l’objet d’énormément de pressions, notamment ceux dont la position est moins affirmée. »

« Les Africains sont partagés parce que c’est un continent très divers, ajoute la source diplomatique pré-citée. Des pays [du groupe Afrique] font aussi partie du groupe des pays arabes et ce groupe-là est forcément très influencé par les autres pays arabes producteurs de plastiques. »

Certains gravitent « naturellement » dans le giron des États « like-minded ». Pour Tim Gabriel, « dans certains cas, c’est pour des raisons géopolitiques et culturelles. Dans de nombreux autres, c’est parce que leurs économies sont tributaires de la production de combustibles fossiles et de produits pétrochimiques. Ils croient à tort que le traité portera préjudice à ces industries. »

Une analyse partagée par le Camerounais Gilbert Kuepouo : « Ils pensent que la réduction demandée au niveau mondial les affecterait. Mais même si on mettait des plafonds, la production africaine de pétrole serait largement en dessous. Le but n’est pas de mettre fin à la production pétrolière ni de plastique mais de poser des limites aux grands producteurs pour que la part qui va dans la fabrication de plastique soit plus durable. »

Cheikh Ndiaye Sylla renchérit : « Les pays africains ne seront pas affectés au niveau économique parce qu’on veillera à ce que toutes les mesures nationales demandées par le traité soient compensées, accompagnées en transfert de technologies, et même en investissements, grâce au fonds qui doit être mis en place. »

Parmi les autres voix discordantes, l’Afrique du Sud et l’Ouganda se sont aussi positionnées contre la prise en compte de l’ensemble du cycle du plastique. « L’Afrique du Sud entretient des liens très étroits avec son industrie, dont ses représentants sont intégrés à la délégation officielle, précise une source interrogée. Et l’Ouganda se concentre sur l’exploitation de son pétrole [le très controversé projet Tilenga de TotalEnergies, qui n’a pas démarré] et défend le secteur des fossiles. »

L’Arabie saoudite met l’unité à l’épreuve

Tiraillés entre l’envie de développer leurs économies et celle de construire un avenir sans plastique, les pays africains peuvent être fragilisés. L’Arabie saoudite l’a compris. Témoignages et couvertures médiatiques concordent : Riyad exerce un lobbying intensif et larvé qui s’est accentué à partir de Busan. Le royaume « investit désormais massivement dans sa diplomatie environnementale », confiait un négociateur à Politico en janvier.

RFI a ainsi appris qu’une réunion informelle s’est tenue à Riyad les 23 et 24 juillet dernier avec les représentants du Ghana, de l’Angola, du Sénégal, du Cameroun, du Nigeria et de Djibouti. « La réunion portera sur les points de divergences entre les parties, à savoir : le financement et les mesures sur l’amont », indique la lettre d’invitation du royaume, signée du chef de la délégation saoudienne et envoyée à la présidente ghanéenne du groupe Afrique. Objectif : « renforcer les dispositions financières et parvenir à la même harmonie entre nos pays en ce qui concerne les questions de l’amont », qui incluent celle très sensible de la production.

Avec RFI

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