Quinze ans après que Mohamed Bouazizi a enflammé la colère populaire, quinze ans après la chute de Ben Ali, la Tunisie semble prisonnière d’une démocratie en trompe-l’œil. Les rêves de liberté, de justice sociale et de participation citoyenne se heurtent aujourd’hui à un verrouillage systématique des institutions et à une répression croissante des voix critiques.
Depuis l’arrivée de Qais Saïed à la présidence en 2019, et surtout après les « mesures exceptionnelles » de 2021, la Tunisie vit une mutation inquiétante : la justice n’est plus indépendante, les pouvoirs constitutionnels sont concentrés, et l’opposition politique est ciblée sans distinction. Les arrestations de figures historiques comme Rached Ghannouchi ou Abir Moussi, ainsi que de dizaines d’autres responsables politiques et acteurs de la société civile, montrent que la dissidence devient un crime. Des citoyens âgés, des avocats et même d’anciens juges se retrouvent derrière les barreaux pour avoir simplement exprimé leur désaccord.
Sous couvert de protéger la nation, le président qualifie ses opposants de « traîtres », de « criminels » ou de « terroristes ». Pendant ce temps, la presse est muselée, les associations asphyxiées, et l’accès à l’information contrôlé. La Tunisie, qui fut un exemple de transition démocratique en 2011, vit aujourd’hui un recul inédit : liberté d’expression, droit de manifester, indépendance judiciaire et égalité devant la loi sont tous remis en question.
Pour les analystes politiques et les militants, la révolution n’est pas morte, mais elle vacille dangereusement. Des mouvements citoyens et des partis politiques essaient de maintenir le cap, de défendre les acquis démocratiques, mais chaque avancée est fragile, chaque protestation risquée. Le spectre d’une contre-révolution s’étend : les libertés gagnées en 2011 peuvent disparaître aussi vite qu’elles ont été conquises.
Les inégalités se creusent, le chômage reste élevé, les services publics se dégradent, et le fossé entre les régions se creuse. Quinze ans après la révolution, la question centrale n’est plus seulement politique : elle est sociale, morale et existentielle. La Tunisie peut-elle encore relancer son processus démocratique, ou restera-t-elle suspendue dans un régime où la liberté est conditionnelle et la contestation criminalisée ?
Ce bilan amer devrait servir d’alerte : la révolution tunisienne n’a pas été enterrée, mais elle est étouffée. Le peuple et les acteurs de la société civile continuent de résister, souvent dans l’ombre, mais leur lutte est désormais un enjeu crucial. Pour que la démocratie survive, il faudra plus que des discours : il faudra du courage, de la mobilisation et une solidarité sans faille contre ceux qui veulent confisquer l’avenir du pays.
Mourad Benyahia

