Libérée conditionnellement, l’avocate Sonia Dahmani reste sous la menace de lourdes poursuites qui incarnent la répression de la parole critique en Tunisie. Le couperet d’une énième condamnation est maintenu au-dessus de la tête de cette avocate, comme pour la faire taire.
Après un an et demi derrière les barreaux, l’avocate et chroniqueuse tunisienne Sonia Dahmani a quitté jeudi la prison pour femmes de la Manouba. Une libération conditionnelle accordée par le ministère de la justice, annoncée par ses avocats et confirmée par plusieurs sources judiciaires. Mais cette sortie, loin d’être synonyme d’apaisement, s’inscrit dans un climat politique où la répression de la parole critique demeure intacte. Car si Sonia Dahmani retrouve aujourd’hui la liberté, ses procès, eux, restent ouverts.
La juriste, connue pour ses prises de position tranchées sur les dérives du pouvoir et les discriminations en Tunisie, a été emprisonnée en mai 2024 dans un contexte de durcissement autoritaire. Depuis plusieurs mois, elle est devenue l’un des symboles de la résistance aux atteintes croissantes à la liberté d’expression sous la présidence de Kaïs Saïed. Son arrestation, effectuée en direct dans les locaux d’une télévision privée, avait choqué l’opinion publique et provoqué une vague de solidarité, en Tunisie comme à l’étranger.
Mais cette libération conditionnelle ne clôture en rien les multiples affaires dans lesquelles elle est impliquée. Sonia Dahmani fait face à au moins cinq procédures distinctes. Trois d’entre elles ont déjà donné lieu à des condamnations, notamment pour « diffusion de fausses informations » ou pour des propos jugés offensants envers les institutions. Deux autres dossiers demeurent pendants, dont l’un pourrait théoriquement lui valoir jusqu’à dix ans de prison. Les dates d’audience ont été régulièrement repoussées, maintenant la pression judiciaire et l’incertitude.
La décision de la libérer intervient le jour même où le Parlement européen adoptait une résolution sévère sur la situation en Tunisie, dénonçant « la détérioration rapide de l’état de droit et des libertés fondamentales ». Le texte met en cause les poursuites visant journalistes, avocats, syndicalistes et opposants, rappelant que les arrestations pour délit d’opinion sont devenues courantes depuis 2021. Le nom de Sonia Dahmani y figure en filigrane, comme l’un des exemples les plus flagrants d’une justice utilisée comme instrument politique.
Pour les défenseurs des droits humains, cette libération conditionnelle ne doit pas masquer la réalité : la pression judiciaire contre voix critiques demeure un outil central du pouvoir tunisien. L’affaire Dahmani s’inscrit dans une longue série de cas similaires visant des journalistes, des leaders syndicaux, des activistes ou même des humoristes, poursuivis pour des positions jugées trop frontales. La société civile tunisienne, largement affaiblie depuis trois ans, peine à mobiliser durablement face à ce climat de peur.
La sortie de prison de Sonia Dahmani est donc à la fois un soulagement et un avertissement. Soulagement, car elle met fin à des conditions de détention difficiles, régulièrement dénoncées par son entourage et par plusieurs ONG. Avertissement, car elle ne signifie pas que la machine judiciaire se désarme. L’avocate reste surveillée, menacée, et garde plusieurs procès en suspens au-dessus de la tête.
Dans un pays où les libertés publiques sont placées sous éteignoir par le président autocrate Kaïs Saïed, la libération de Sonia Dahmani apparaît comme une respiration — brève, fragile, précaire. La bataille, elle, est encore loin d’être terminée.
Mourad Benyahia

