Si la conférence sur les océans, tenue à Nice durant la deuxième semaine de juin, a été grandement médiatisée et a permis plusieurs développements prometteurs pour la protection des océans, beaucoup de ceux-ci ne sont que des étapes dans la réalisation de projets encore à venir et de nombreux espoirs y ont fait naufrage.
La Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC), a réunis du 9 au 13 juin à Nice sur la Côte d’Azur plus de 100 000 personnes, 12 000 délégations de 175 pays, 115 ministres, 64 chefs d’État et 28 responsables d’organisations onusiennes, représentant au total près de 85 % du volume des ressources de la planète et plus de 90 % des zones économiques exclusives mondiales.
Une conférence nécessaire
Michel Prieur, professeur de droit de l’environnement et président du centre international de droit comparé de l’environnement, participait à l’UNCO 3. Il explique que cette conférence est nécessaire pour avoir une vision globale des enjeux qui s’entremêlent quand il est question de la mer. « Il y a déjà de nombreux traités sur la mer », affirme-t-il en mentionnant le traité de portée générale sur les droits de la mer de 1982 et de nombreuses conventions spéciales sur des pollutions particulières qui ont été instituées il y a assez longtemps et n’intègrent pas les nouvelles données environnementales. « Donc, il était nécessaire de réactiver le droit lié aux océans. C’est depuis Rio 92 ou il a été démontré que la mer était un milieu fragile qui était victime de pollution. »
C’est d’abord toutes les catastrophes des déversements d’hydrocarbures qui ont alerté l’opinion publique et les gouvernements. Il y a aussi eu les découvertes scientifiques sur les richesses de la mer, la biodiversité, la crise alimentaire et la surpêche. « Tout ça faisait un ensemble. On ne pouvait pas traiter séparément la pollution par les hydrocarbures, les poissons, les recherches sous-marines. Il fallait une réflexion intégrée horizontale et c’est l’objet des conférences sur les océans. » Celle à Nice en est la troisième.
Avancées
Les organisateurs sont satisfaits de l’événement. L’envoyé spécial de la France et organisateur de l’UNOC 3, Olivier Poivre d’Arvor, affirme à ce sujet que « Nice a gagné le pari de l’océan ». Les avancées sur le traité international de protection de la haute mer et de la diversité marine ont motivé le président Macron à annoncer sa mise en vigueur en janvier 2026, bien qu’il manque quelques voix promises.
Pour Rym Benzina Bourguiba, présidente de la saison bleue (Tunisie), obtenir 55 ratifications fermes alors qu’auparavant il y en eût 22 ou 23, c’est un bon pas, considérant ceux qui seraient à venir. « Avec 15 autres ratifications qui vont venir d’ici septembre, ça va être annoncé à New York, ce moratoire sur la haute mer, c’est très important. » Enseignant-chercheur à Sciences Po Bordeaux et à Bordeaux Sciences Agro, Pierre Blanc, auteur de « Géopolitique et climat », considère que les avancées de l’UNOC 3 montrent une vivacité du fonctionnement multilatéral.
La résolution de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) d’interdire les subventions aux techniques destructrices, qui a été ratifiée par 103 États, serait une autre avancée. « Cela représente environ 3 000 bateaux, il en faudrait 3 600, soit 10 pays supplémentaires, pour que la résolution entre en vigueur », a affirmé le directeur des politiques internationales de la Fondation Tara, André Abreu.
En ce qui concerne la réduction de la production de plastique, 96 pays ont signé une déclaration d’intention en ce sens. Ils représentent plus de la moitié des 170 pays impliqués dans les négociations du « traité plastique » qui dure depuis 2022 et dont le cinquième round doit reprendre en août à Genève.
La ministre française de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, est directe à ce sujet. « Ce que nous voulons, c’est un traité qui fixe un objectif de long terme avec une trajectoire de réduction à respecter ». Le ministre de l’Environnement des îles Salomon, Trevor Manemahaga affirme que « C’est la pollution de l’océan qui est en jeu, la santé de nos enfants qui est en jeu, l’avenir de la planète qui est en jeu. » Il y aurait environ 460 millions de tonnes de plastique qui auraient été produites en 2024, une quantité qui pourrait tripler d’ici à 2060.
Moins bon point
La conférence a cependant essuyé certaines critiques, notamment au sujet des engagements financiers jugés insuffisants et du manque de progrès concret obtenu. La chef de délégation de Greenpeace International à l’UNOC, Megan Randles, commente à ce sujet : « Nous avons entendu beaucoup de belles paroles ici à Nice, mais elles doivent se transformer en actions. »
Il y a aussi eu 100 milliards de dollars d’aide qui ne se sont pas matérialisés. Cet argent serait nécessaire. Selon le président de la Polynésie française (300 000 habitants sur 118 îles), Moetai Brotherson, les nations insulaires sont « des colosses avec des épaules gigantesques et des tout petits pieds », puisqu’ils représentent moins de 0,1 % du PIB mondial réparti sur un tiers de la surface du globe.
La présidente des îles Marshall (42 000 habitants sur 29 îles), Hilda C. Heine, a affirmé que « trop peu de choses sont faites et trop lentement. »
Le président des Palaos (21 000 habitants sur 340 îles), Surangel Whipps Jr. demande aux pays riches de mettre en pratique leurs discours sur la protection des océans, mettant au défi ces pays : « Si vous voulez vraiment protéger les océans, prouvez-le. »
Le ministre de l’Environnement du Vanuatu (320 000 habitants sur 83 îles), Ralph Regenvanu, a affirmé « Nous vivons votre avenir. Si vous pensez être en sécurité, vous ne l’êtes pas. » Son pays a d’ailleurs saisi la justice internationale pour obliger les États développés à réduire leurs émissions de CO2.
Principales responsables du réchauffement climatique, les énergies carbonées ont aussi été peu discutées à la conférence. Selon l’ancien émissaire américain pour le climat, John Kerry, présent à Nice, « il est impossible de protéger les océans sans s’attaquer à la principale cause de leur effondrement : la pollution due aux combustibles fossiles injectés sans relâche dans l’atmosphère. » Bruna Campos, de l’ONG Ciel commente à ce sujet que d’« ignorer l’impératif de sortir du pétrole et du gaz offshore n’est pas seulement une injustice : c’est inadmissible. »
Une conférence historique malgré ses faiblesses ?
Pour l’artiste fondateur du projet archipel de l’UNOC, Yacine Aït Kaci, cette conférence lui fait penser à la COP21 à Paris. « Il y a vraiment eu un avant et un après, en tout cas au niveau de la mobilisation de la société civile et de la prise de conscience collective. Je crois qu’il s’est vraiment passé quelque chose à Nice cette semaine, et donc, dans le monde. »
Dans une entrevue donnée à TV5 Monde diffusée le 14, juin, le docteur François Gemenne qui est un des auteurs du dernier rapport du GIEC, considère que la conférence sur l’océan à Nice est aussi une opération de communication qui permet de mettre le sujet dans l’actualité et de créer une certaine forme de dynamique politique, comme cela se serait produit avec le traité sur la haute mer. L’UNOC 3 serait donc aussi un exercice de communication. « Sincèrement, sur quel autre sujet peut-on aujourd’hui trouver autant de gouvernements avec un but commun? Il ne reste quasiment plus que l’environnement, il faut bien le dire. »
Michel Gourd