28 mars 2024
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Une académie berbéricide

Grand Angle

Une académie berbéricide

L’agitation médiatique de ces derniers jours autour la revendication identitaire amazighe, notamment autour du projet d’une académie pour tamazight, augure de proches éclaircissements. On saura bientôt qui fera partie de cette institution gouvernementale. Mais on commence déjà à comprendre qu’il y a des “candidats” recalés et d’autres qui espèrent toujours avec les offres de service qu’ils font.

Lors de la réforme constitutionnelle qui avait consacré, de façon vicieuse, tamazight langue sous-officielle et annoncé le projet de “montage” d’une académie qui aurait pour mission de “créer la langue amazighe” (d’après les propos d’Ahmed Ouyahia qui avait tenu une conférence à ce moment-là pour annoncer les “bonnes nouvelles”), il y a deux ans, rares étaient ceux qui avaient dénoncé le caractère vicieux et vicié de cette sous-officialisation de tamazight. Rares, aussi, étaient ceux qui avaient exprimé leur opposition à la création de cette académie. Les Berberoïdes complices du régime étaient dans leur rôle de soutien des projets du régime ; des militants sincères applaudissaient ce projet en pensant naïvement qu’il avait pour finalité de sauver leur langue ; des opportunistes affichaient des positions “chaudes” ou “tièdes” pendant que d’autres se taisaient : les premiers commençaient à rêver aux dorures, aux honneurs et aux privilèges qu’ils allaient tirer d’un siège, plus ou moins important, dans cette institution, les autres attendaient de voir clairement pour évaluer leurs chances d’y accéder. Avec le temps qui passait, nous avons vu des positions changer et évoluer, souvent, et sans doute, en fonction des suites réservées aux offres de service des uns et des autres. Il y a aussi des gens qui ont évolué, sincèrement, en comprenant les enjeux réels de ce projet qui vise à fabriquer une nouvelle langue amazighe.           

Dans son célèbre roman de politique-fiction, 1984, publié en 1949, Georges Orwell a imaginé une nouvelle langue pour un pays imaginaire, Océania. Cette langue est créée de toute pièce pour asservir le peuple de ce pays. L’objectif de cette création est d’empêcher le peuple d’Océania de penser et d’avoir des idées subversives : une langue dénuée de nuances au niveau lexical et simple au niveau grammatical.  

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Le Prince de Machiavel qui devait aider les peuples à s’émanciper des tyrannies a beaucoup plus inspiré les tyrans qui s’en sont servi pour manipuler leurs peuples et asseoir leurs tyrannies. De même, 1984 semble avoir plus inspiré les gouvernants et dominants, pour organiser et asseoir leur domination à travers le monde, que les populations que l’ouvrage met en garde contre la manipulation, le contrôle et la soumission.

Ainsi, la novlangue de Georges Orwell semble avoir inspiré les gouvernants algériens. Le projet de création d’une académie de tamazight est dans cette logique : c’est une idée machiavélique.  

Tamazgha s’étale sur un espace géographique immense. Depuis que cette entité civilisationnelle existe, elle est habitée par des peuples appartenant à la culture amazighe. Même si on peut supposer que ces peuples sont tous issus d’une même entité humaine parlant une même langue à l’origine, tamazight, la dissémination ultérieure des peuples amazighs sur des espaces géographiques immenses, pendant des millénaires, avec des moyens de communication primitifs a eu comme conséquence l’émergence de variantes linguistiques et dialectales. Les variations géographiques et climatiques, les voisinages culturels différents, les invasions et colonisations, les religions, les métissages et les entités politiques, qui se sont constituées à travers les divers espaces et les millénaires, ont forcément accentué les variations et les différences à l’intérieur de cet espace linguistique amazigh. Des réalités sociales, et physiques, différentes voient le jour ; les innovations varient d’un peupe à un autre (en fonction de leur évolution) ; des représentations culturelles nouvelles apparaissent, notamment lors de contacts avec d’autres civilisations ; les développements économiques de ces peuples ne sont pas identiques : ce sont là quelques éléments qui impactent fortement les évolutions linguistiques. Ce long processus a généré la formations de plusieurs langues amazighes : le kabyle, le chaoui, le mzabite, le tamahaq, le tachelhit, etc.

Pour notre malheur, il ne subsiste pas d’héritage littéraire écrit ni d’autres textes pouvant identifier la langue amazighe “originelle” comme c’est le cas pour d’autres langues mortes à l’instar du latin ou du slavon. L’écriture dans le monde berbère, dans une expression berbère, est récente : elle commence à peine à se développer dans certains espaces. Vouloir reconstituer cette langue originelle relève de l’utopie. Avec son projet d’académie, le gouvernement algérien ne veut même pas vendre cette utopie : il projette de créer une langue amazighe (dixit le premier ministre Ouyahia, il y a deux ans). Et c’est ici que prend sens l’inspiration puisée dans 1984, avec la novlangue, de Georges Orwell.

La création de cette langue amazighe que veut le gouvernement est une aberration politique. S’il est question de la “langue amazighe”, la logique voudrait que ce soit celle de tous les Amazighs ou alors cette néologie sera-t-elle seulement la langue amazighe algérienne ? La future académie amazighe algérienne sera-t-elle dotée d’une puissance qui lui permettra d’imposer sa “trouvaille” aux autres pays habités par des Amazighs ? A moins qu’il n’y ait un grand projet berbéricide, secret et collectif, des Etats des pays (de Tamazgha) qui se considèrent comme arabes !

D’un point de vue scientifique, c’est aussi une aberration. Cette académie pourra bien créer un lexique et une grammaire mais cela ne suffit pas pour faire une langue qui est aussi un ensemble de pratiques socioculturelles. Une langue a besoin de locuteurs qui la pratiquent dans leur vie quotidienne ; des locuteurs qui la vivent à tous les moments de la journée et de l’année. Une novlangue sortie d’un laboratoire pour répondre à des besoins de masturbations scolaires nés de logiques idéologique et politiciennes, ne peut pas être considérée comme une langue vivante. Elle ne portera plus jamais de contestation ni de revendication identitaire car elle en sera naturellement incapable. Ce projet de novlangue amazighe est un piège mortel pour les langues amazighes algériennes : c’est le meilleur moyen qu’a trouvé ce gouvernement pour pacifier définitivement cette partie de Tamazgha que constitue l’Algérie.

L’éveil identitaire des Berbérophones et le développement de certaines langues amazighes inquiètent le pouvoir algérien et ses soutiens arabo-islamistes. L’exemple du kabyle est une menace pour le projet berbéricide global du pouvoir algérien. Cette langue évolue malgré tous les obstacles qui se dressent sur son chemin.  

La littérature d’expression kabyle évolue et se développe, l’enseignement de la langue amazighe dans sa variante kabyle (pour reprendre la formulation officielle et hypocrite) se généralise (même s’il demeure, officiellement, facultatif) et des voix commencent à s’élever pour revendiquer un enseignement en kabyle, ces domaines attirent de plus en plus de chercheurs, etc. La Kabylie est un modèle pour les autres Amazighs. Cette “spécification” de la Kabylie inquiète le pouvoir, surtout que les revendications autonomistes et indépendantistes prennent de plus en plus d’importance chez les Kabyles.

La revendication d’une académie pour tamazight par certains et les applaudissements anticipés d’autres me font penser “au sujet (nu) qui n’avait rien à se mettre sur le dos mais qui voulait quand même un “bijou” avant des vêtements”. C’est le prestige supposé d’une telle institution qui “motive” la revendication d’un certain nombre pendant que d’autres sont victimes du système éducatif du parti unique dont les conséquences se font toujours sentir : le besoin d’institutions policières pour la majorité et celui de porter le képi pour un certain nombre.

Les langues amazighes ont besoin d’être réhabilitées par l’école, une production littéraire multiforme abondante, et de qualité, et une véritable officialisation. Elles n’ont pas besoin de la mise en place d’une police linguistique pour s’épanouir.

L’enseignement des langues amazighes, qui ne doivent plus être considérées comme de simples variantes, doit être réellement généralisé, obligatoire et moderne (pour être performant). Il est impératif de projeter un enseignement dans les langues maternelles pour tout le monde ; il faut se mettre à la tâche, sans tarder, pour préparer cela.

La production littéraire de qualité, et en  quantité, permettra à ces langues de disposer d’un fond linguistique conséquent pour élaborer des grammaires et des dictionnaires. Cela permettra aussi aux locuteurs de disposer d’un langage partagé dans des textes tout aussi partagés. Des langues amazighes très proches pourraient se rapprocher davantage et, pourquoi pas, fusionner naturellement.

Une véritable officialisation de ces langues augmentera leur vitalité et les instituera dans la société tout en augmentant leur espérance de vie dans un monde qui voit la disparition de langues de façon impressionnante et inquiétante.

Les langues amazighes n’ont surtout pas besoin d’une académie berbéricide. Ce projet gouvernemental est un “cadeau” aussi empoisonné que le HCA ou TV4.

Auteur
Nacer Aït Ouali

 




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