5 novembre 2024
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Une admirable révolution citoyenne pour une deuxième République

OPINION

Une admirable révolution citoyenne pour une deuxième République

L’année 2019 restera comme l’une des plus belles pages dans l’Histoire de l’Algérie contemporaine : celle qui a vu le peuple algérien sortir de sa torpeur pour crier haut et fort son rejet d’un pouvoir mafieux qui l’a longtemps humilié. Une poignée de généraux lui barre encore la route vers la liberté.  Qu’à cela ne tienne. Leurs menaces ne font plus peur à personne. 

Depuis le 22 février, les Algériens affichent une maturité, une détermination et un pacifisme rarement vus. Chaque semaine, qu’il pleuve ou qu’il vente, ils battent le pavé. Rien ne les arrête. Pas même les multiples machinations et les provocations mesquines du régime qu’incarne le vieux général Ahmed Gaid Salah, qui était encore récemment l’un des rouages du système Bouteflika. 

Les généraux algériens, qui cherchent à s’accaparer tous les pouvoirs après l’éviction de l’ex-président, lessivé par le sursaut pacifique, ont d’abord brandi une main étrangère imaginaire, puis essayé la vieille recette diviser pour régner, en pointant du doigt une pseudo menace kabyle, avant de tenter de radicaliser une partie du mouvement citoyen par des arrestations arbitraires et le harcèlement de certaines figures de la contestation. Aucun effet sur les Algériens malgré l’activité débordante sur les réseaux sociaux de nombreux agents payés par le pouvoir.  

Le silence assourdissant des Occidentaux

Paradoxalement, les décideurs de ce monde, Européens comme Nord-Américains, détournent leurs regards pour ne pas voir les sacrifices d’un peuple vaillant qui a longtemps contenu ses souffrances et sa frustration face à l’un des régimes les plus violents et les plus diaboliques de la planète. 

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Dans d’autres régions, les puissances étrangères ont remué ciel et terre afin d’apporter leur soutien à des populations aux prises avec le diktat de gouvernants en mal de représentativité.  En quoi Karim Tabou, l’une des figures les plus importantes de l’opposition algérienne injustement incarcéré par la police politique de Gaid Salah, est-il différent d’Adam Michnik, le leader de la contestation polonaise des années 80 ? Pourquoi les appels du mouvement citoyen algérien ne rencontrent pas autant d’égards que la Charte 77 qu’avaient signée Vaclav Havel et ses 241 camarades pour en finir avec la Tchécoslovaquie communiste ?  

Les Occidentaux doivent se poser les questions suivantes: Qu’est-ce qui pousse les Algériens à envahir la rue ? Comment ont-ils pu envisager un tsunami qui a déjà balayé une partie de la clique régnante ? 

Depuis 1962, l’année de l’indépendance, les Algériens n’ont connu que le pouvoir des militaires. Ceux-ci sont restés sourds aux aspirations de leurs compatriotes en dépit de tous les sacrifices consentis durant la guerre de libération. En quelques décennies, les Algériens ont tout subi : une violence systématique érigée par le pouvoir en outil de domination, la propagande du régime à travers des médias acquis aux puissants du moment, et surtout une corruption endémique et une mauvaise gestion qui ont touché tous les secteurs, enfonçant les couches les plus défavorisées dans une paupérisation rampante. Les hôpitaux crient famine, alors que les infrastructures routières se trouvent dans un état de délabrement effarant. 

Total, ENI et les autres

Entre surfacturation et monopoles obtenus illégalement, les compagnies étrangères exercent une domination sur des pans importants de l’économie nationale. Les Émiratis détiennent la part du lion avec la bénédiction des hommes forts du régime, les frères Bouteflika, puis le général Ahmed Gaïd Salah et ses proches. 

À côté des Émiratis et de leurs alliés de circonstance, les Saoudiens, parmi les compagnies qui ont profité des largesses du régime algérien, outre Total et ENI, les firmes voyous par excellence, très actives sur le marché local, on retrouve Lafarge, SNC-Lavalin, First Calgary Petroleums, les coréennes Samsung et Hyundai, Unaoil, les chinoises Huawei, CITIC-CRCC et CSCEC, la turque Tosyali, etc. La liste est encore longue.

En adoptant la dernière loi sur les hydrocarbures, qui octroie de nouveaux privilèges aux compagnies étrangères, le parlement algérien, acquis à la clique au pouvoir,  nous offre une autre preuve de l’irresponsabilité et de la déliquescence du régime local. Pour le commun des mortels, c’est un outrage de plus.

Cela explique certainement la duplicité des puissances étrangères. Si le parti-pris des Russes et des Chinois ne souffre d’aucune ambiguïté, Alger n’ayant jamais esquissé le moindre geste pour dénoncer les violations des droits des minorités tchétchène ou ouïgoure, le silence des Français et des Américains fait mal à la majorité des Algériens.

Incontestablement, ces derniers ne peuvent rien espérer de l’establishment US qui, sous Donald Trump, s’est reconverti à l’économisme politique, ne cherchant que des parts de marché pour les entreprises américaines. 

L’axe Paris-Dubai : voracité et compromissions

Par contre, l’attitude de Paris est perçue par le mouvement citoyen comme une trahison des principes d’humanisme dont se vantent ceux-là mêmes qui ont fait de Voltaire leur avocat de circonstance. C’est à se demander où et quand l’Élysée a perdu ses idéaux…?

Le régime algérien bénéficie de complicités à tous les niveaux de l’administration française. Personne n’a oublié les nombreux allers-retours Paris-Alger des responsables français alors que le frère de l’ex-président, Said Bouteflika, était aux commandes de l’État algérien. Et que dire de la télévision de l’opposition Al Magharibia, la bête noire du régime, bannie du jour au lendemain du bouquet satellite d’Eutelsat, une firme dirigée par un proche du président Emmanuel Macron… 

Il ne faut pas se leurrer : les extrémistes de la françalgérie sont encore très influents à Paris, à l’image du ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, un personnage clé de l’axe Paris-Dubai auprès duquel émirs moyen-orientaux et dictateurs africains trouvent écoute et bénédiction.

Français et Émiratis soutiennent un pouvoir algérien qui n’a plus rien à offrir, si ce n’est ses recettes habituelles dignes des dictatures les plus laides : l’infiltration de l’opposition et des médias par des agents des services comme le faux analyste Mohamed Laagab ou le faux journaliste Noureddine Khettal, le noyautage de la vie publique par de faux partis politiques, de faux médias, de fausses organisations des droits de l’Homme, de faux patriotes, voire de faux maquis (dixit Karim Tabou). Le petit peuple, on le gave avec des matchs de football à longueur d’année. 

Pour une transition réellement démocratique

Ces stratagèmes d’un autre temps, extrêmement couteux, ont débouché sur un État affaibli sur lequel une voyoucratie exerce une véritable OPA. Ceux qui s’y opposent sont jetés en prison ou, dans le meilleur des cas, poussés à l’exil. Des intellectuels universellement respectés, tel l’illustre philosophe Mohamed Arkoun, sont obligés de finir leurs jours hors du pays. 

Désormais, la donne a changé. Les Algériens ont mûri entre les murs d’une prison à ciel ouvert. Le yetnahaw ga3, credo du mouvement citoyen, reflète parfaitement les désirs du peuple pour une autre Algérie.  Les Algériens ne permettront plus que les rênes du pouvoir soient confiées à un général aussi belliqueux soit-il, qu’il s’appelle Gaid Salah, Ghriss ou Chengriha. Leurs tentatives d’imposer un autre agenda qu’une transition authentiquement démocratique en toute transparence ne convaincront personne. Le temps des militaires est bien révolu.

Les élections présidentielles que planifie le régime d’Alger contre la volonté du peuple donneront aux Algériens une opportunité de crier leur mépris d’une dictature honnie. Mais l’urgence est ailleurs.  

Nos compatriotes doivent se focaliser sur les objectifs à atteindre, dont la nécessité d’extirper tous les pouvoirs, législatif, exécutif, médiatique comme judiciaire, des griffes des généraux et des services de renseignement. C’est une condition pour un réel transfert du pouvoir, voire un gage pour la naissance d’une deuxième république tant espérée par les Algériens.  Une assemblée constituante ne serait qu’une première étape. 

Cela passe par des souffrances et des sacrifices. L’entonnement des refrains « Pouvoir assassin ! » et « Vous avez ruiné le pays, voleurs ! » deux fois par semaine ne suffira pas. Les Algériens se doivent d’envisager de nouvelles formes de lutte pour en finir avec le régime de Gaid Salah et donner naissance à une dawla madania, machi askariya !   

Arezki Sadat

Journaliste indépendant et politologue

Montréal, le 27 novembre 2019

Auteur
Arezki Sadat

 




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