Mardi 30 avril 2019
Une Constitution : norme universelle ou papier hygiénique ?
«En dehors du français, il y a une seule langue que la Constitution tolère : la langue de bois», de Vincent Roca.
La Constitution des Etats-Unis d’Amérique fût rédigée en 1787, à l’époque des années « lumière ». Elle a été influencée par des théoriciens politiques comme Locke et par des scientifiques comme Newton. Cette analogie entre la physique et la politique au XVIIIe siècle peut avoir une signification réelle. En effet, selon Don K. Price, «il y a une correspondance entre le système constitutionnel des contraintes et des compensations et le système mécanique de Newton où l’univers s’ordonnait par un équilibre des forces opposées mises en mouvement par un grand horloger mais travaillant ensuite pendant l’éternité suivant un ordre naturel des causes et d’effets » (*).
Par contre, la Constitution dans les pays du tiers monde n’est en fait qu’une technique de camouflage destinée à donner aux régimes politiques les apparences d’un Etat moderne. Il n’a ni la rationalité ni l’effectivité. « Il n’y a pas plus aliéné qu’un cerveau colonisé ».
La réalité étant que l’Etat dans ces pays est inconsistant, invertébré, sans odeur,, ni couleur. Contrairement à ce qui s’est passé à partir du moyen âge, la naissance de l’Etat post-colonial est beaucoup moins la résultante des changements sociaux qui ont accompagné l’émergence des structures autonomes (division du travail, bureaucratie professionnelle, surplus agricole dégagé etc…) que le produit d’un bricolage institutionnel visant à introduire dans l’espace politique des formes d’organisation parfaitement étrangères aux codes culturels et aux ressources de l’Etat.
Il ne faut pas perdre de vue que la formation sociale algérienne est aujourd’hui tributaire d’un double passé.
Le passé colonial imposé à l’Algérie pendant toute la période de colonisation soit 132 ans et le vieux passé précolonial secrété à travers des siècles par la société algérienne elle-même encore qu’elle ait subi des influences extérieures avant la pénétration française. Ces deux passés ne s’excluent pas, ils coexistent dans le présent. De même qu’il faut remarquer que la nature de la richesse d’un pays, dans ce cas précis les hydrocarbures, détermine en partie les options vis-à-vis de l’étranger.
L’organisation socio-politique apparaît comme le moteur essentiel dans la détermination de l’attitude d’une nation. «…la souveraineté nationale qui implique un principe d’indépendance s’évanouit si économiquement, les gouvernants ne peuvent pas choisir une fonction d’objectifs et favoriser pour la mettre en œuvre un agencement des moyens à la disposition des nationaux et de l’Etat (**).
L’Etat en Algérie n’est pas seulement un Etat dépendant mais un Etat minimal qui porte les stigmates de toutes les crises qui l’ont secoué : décolonisation ratée, intégration inachevée, extrême vulnérabilité aux ingérences et intérêts étrangers, autant d’indices d’incapacité étatique. A ce stade la remise en cause de la relation de dépendance devient problématique.
Les crises sociales affaiblissent les structures de l’Etat et le rendent de plus en plus tributaire des opérations de sauvetage financière ou militaires des puissances étrangères. La précarité de l’Etat est telle que toute tentative de développement autocentré qui dépasse les exigences de profit des élites au pouvoir est généralement perçue par celles-ci comme un manque à gagner ou une menace.
Ce qui compte avant tout c’est le maintien du statu quo même si cette situation engendre les germes de sa propre destruction. Confrontée à l’impossibilité où ils se trouvent de faire fonctionner un régime démocratique sans se mettre eux-mêmes en péril, les décideurs algériens hésitent entre deux solutions : l’une consiste dans un simulacre de démocratie, l’autre dans l’acceptation de la dictature militaire comme voie vers une démocratie plus réelle. 1963, 1965, 1988, 1992, 2019 : l’histoire est un éternel recommencement.
A. B.
(*) Don K Price – Science et pouvoirs traduit de l’américain par François Aubert – Edition Fayard 1972
(**) F. Perroux – indépendance de la nation – Paris 1969 p.9
PS / Il ne faut jamais oublier, lorsqu’on parle de démocratie que le suffrage universel ne s’est établi dans la plupart des pays européens qu’au début du XXème siècle au terme d’un long processus d’éducation politique des masses. Ce n’est pas du « prêt à importer ».