L’amitié est une thématique polymorphe. Elle n’appelle pas un consensus définitoire. Elle est redéfinie à chaque fois que cela s’avère nécessaire pour celui ou celle qui s’y intéresse.
Il ne s’agit pas, dans les lignes qui suivent, de puiser dans la littérature pour y trouver une définition qui fera l’unanimité, mais plutôt, il est question de soumettre ce « concept éponge », pour emprunter ainsi l’expression à Bachelard (1934), à l’interrogation, afin d’en saisir essence, subtilité, mésusage et surtout complexité dans un monde bourré plus que jamais de médiocrité.
Depuis l’état naturel des choses, l’homme est en perpétuelle quête de son bien-être. Doté d’intelligence et de sens, non seulement il a pu domestiquer le feu, mais également il a vite saisi l’utilité des liens, des relations, des conventions et/ou des règles sociales qui unissent plus qu’elles divisent : c’est alors le passage de l’état de nature à l’état civil grâce au pacte social (Rousseau, 1762). Cela répond sans doute à un besoin fondamental chez l’être humain : « se sentir relié, attaché … ».
Depuis, une réalité donc autre a vu le jour ayant pour fondement l’aliénation des libertés et des volontés individuelles au profit de la liberté et de la volonté collective ; laquelle a donné naissance à de petits groupements humains dits Sociétés. Ces rapprochements ont ainsi amené la sociabilité de l’homme à son point le plus culminant en lui permettant de développer des attitudes telle que de l’estime de soi, et des réseaux relationnels avec autrui à partir des différentes valeurs transnationales soi-disant : respect, amour, amitié, dignité, etc. qui ont fait d’ailleurs de lui l’Homo sapiens (L’homme contemporain) que l’on connait aujourd’hui.
La Bruyère écrit : « L’amour naît brusquement, sans autre réflexion, par tempérament ou par faiblesse : un trait de beauté nous fixe, nous détermine. L’amitié au contraire se forme peu à peu, avec le temps, par la pratique, par un long commerce. Combien d’esprit, de bonté de cœur, d’attachement, de services et de complaisance dans les amis, pour faire en plusieurs années bien moins que ne fait quelquefois en un moment un beau visage ou une belle main ! » (Les Caractères, 1688). Selon cette conception, l’amitié se construit et s’entretient même à dessein. Elle devient un acte volontaire et responsable. Elle est un fait socialement reconnaissable et sociétalement attestable.
A la différence de l’amitié, l’amour nous est imposé ! L’on ne peut rien face ! Il arrive toujours à s’installer et s’établir aisément dans les cœurs car, plus fort que l’amitié, plus fort même que nous, il fait rêver et vibrer. Il permet d’être sur les nuages sans qu’on s’en rende compte parfois. Bref, c’est un acte attentatoire à la conscience, à la liberté et à la volonté ! Corneille a donc raison quand il écrit : « L’amour est un tyran qui n’épargne personne » (le Cid, 1637).
De ce qui précède, il parait que l’amitié est une caractéristique des personnes faibles. Cette faiblesse les rend plus sociables si l’on admet que l’amitié est une des formes de la socialisation. C’est en cela qu’elle constitue une sorte de distinction pour ceux qui n’y croient pas, en l’occurrence les forts et une sorte de normativisation parmi les membres du Troupeau (Chartier, 1921/Flaubert, 1881/Chomsky, 1993). Il s’ensuit qu’on est ami puisque on est faible. Les forts n’ont alors nul besoin d’amis. A quoi bon des amis si le sort leur est favorable ?!
Par ailleurs, si l’on se situe, à un niveau éthique, Aristote fait remarquer que l’amitié consiste beaucoup plus dans le fait de pouvoir aimer, d’éprouver de l’affection à autrui que de chercher à être aimé. Or, de nos jours et dans notre bas-monde, on a intérêt à être aimé et entouré. On ne s’est jamais posé la question de quoi on est capable pour l’autre dans une relation d’amitié.
Aussi, ne doit-on en aucun cas omettre que, esseulé, l’homme craint son être. On a et aura ainsi toujours tendance à satisfaire à un égoïsme/ égotisme absolu, qui parfois nous épouvante, incarné par un moi vénéré telle une divinité, la plupart des cas, indifférent et ne se soucie que peu ou pas de l’autre moi réduit, au contact duquel on cesse d’être l’être que nous sommes à son absence : le méchant, le violent et même le vindicatif. Et puis, n’est-ce pas sa souffrance qui me fait souffrir et ses larmes qui arrosent l’humain en moi pour que je finisse par être vulnérable tout comme lui ; c’est-à-dire son ami ?
Quant aux forts, ils sont l’exception qui échappe à la règle. Ils se croient l’être puisqu’ils n’ont jamais demandé l’amitié à un pauvre malheureux de crainte qu’ils deviennent eux aussi, à leur tour, vulnérables, étant donné que la vulnérabilité est aussi une maladie humainement transmissible.
Il reste à savoir que si l’amitié homme/femme est possible. En effet, celle-ci ne peut avoir lieu car les femmes sont les femmes. Elles ont « un feu plus actif, plus cuisant et âpre » (dans Essai) fait constater Montaigne. Elles, les femmes, éprouvent plus de passion que les hommes. Elles sont souvent sujettes à leurs pulsions. Du coup, elles ont du mal à distinguer le sentiment d’amitié de celui de l’amour.
En résumé, l’amitié est, comme je l’ai souligné supra, un besoin urgent d’être relié, d’être aimé de crainte qu’on se retrouve seul en dehors du troupeau qui nous sert d’abri : seul, on est cruel, horrible et inhumain. On est le sauvage. Cela s’applique même à l’amitié entre les jeunes. Celle-ci semble motivée davantage par le plaisir car « leur vie suit le chemin de l’affection et ils poursuivent surtout ce qui leur plait à eux-mêmes et sur le moment » note Aristote (dans Ethique à Nicomaque). Mais je dois quand même dire que plus on avance dans l’âge, plus on aura tendance à chercher l’avantage de cette relation amicale et non pas son agrément.
Au final, je rappelle que nombre de personnes vivent des difficultés dans leurs relations « amicales » avec les partenaires qu’ils considèrent toujours comme « amis ». Pour quoi alors des difficultés surgissent dans les relations d’amitié ? Y a-t-il des raisons qui sont à l’origine de ces difficultés-là ?
Quant à moi, je suis à la recherche d’un ami qui, au nom de l’amitié, n’est pas mon ami.
Dr Belkacem Hamaïzi, enseignant chercheur au département des langues étrangères. Ecole supérieure Messaoud-Zeghar, Sétif.