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 Violences et résolutions sur (ré)partitions bicéphales (*)

REGARD

 Violences et résolutions sur (ré)partitions bicéphales (*)

Amorcé depuis la fronde du 16 février à Kherrata (rébellion répliquée le 19 à Khenchela avant de se métamorphoser en véritable soulèvement le 22), le « Hirak » s’est inscrit au sein d’un élan historique dont la montée en puissance permettra, selon le sociologue Lahouari Addi, aux softliners (l’aile modérée des généraux) de prendre le dessus sur les hardliners (l’aile dure des mêmes), courant adverse désigné comme responsable de l’actuelle impasse politique.

La raison essentielle de l’aporie proviendrait des querelles interlopes opposant l’armée institutionnelle aux réseaux de l’ex-DRS, argumente régulièrement de son côté Bélaïd Abane. Après avoir également soutenu que le chef d’état-major, Gaïd-Salah, souhaite vraiment « (…) accéder aux revendications du peuple en mouvement » (Bélaïd Abane in L’Expression, 02 mai 2019), il avoue maintenant regarder l’avenir avec moins d’optimisme (tant) le durcissement de l’autorité militaire traduit une exacerbation des antagonismes internes et des luttes d’influence de puissances traditionnellement intéressées par les choix économiques de notre pays. » (Bélaïd Abane, in L’Expression, 04 juil. 2019)

Naviguant entre le singulier et le collectif, la sociologie a pour contrainte liminaire de ne pas céder à une lecture interne ou externe de son champ d’investigation.

Lahouari Addi et Bélaïd Abane ont par conséquent à introduire du relativisme dans un pays où le cadre dichotomique de la morale politico-religieuse autorise les islamo-conservateurs à relier l’interrogation et le doute au dualisme cosmique du Bien et du Mal, à cliver le réel algérien à partir de données antithétiques (qui auront pour effets immédiats de faire croire que tous les maux viennent de l’impériale « Main extérieure »), procédé consistant moins à créer de la dialectique avec son « Autre » qu’à bricoler de la bipolarisation, à réitérer les déterminismes du Vrai et du Faux algérien (soit les figures négatives et acceptables de l’ « algérianité »), à baliser les dogmatismes du cul-de-sac manichéen.

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Entité majeure, l’Armée algérienne est traversée de points de vue divers et scinder le champ analysé en binômes, le réduire aux vocables « softliners » et « hardliners », c’est ignorer les ambitions carriéristes conditionnant les comportements de ceux qui la composent, refuser d’examiner sous toutes les coutures la complexité de son objet d’étude. Succombant à l’incomplétude et superficialité d’une segmentation panthéiste défavorable à l’émergence des tiers inclus, les deux intellectuels cités donnent encore du crédit à l’approche minimaliste de Tahar Djaout, laquelle se contentait de distinguer « Le peuple qui avance de celui qui recule». Plutôt que de penser le local et le global sous couvert d’artifices binaires ou de schismes surplombants, de soumettre des diagnostics de dysfonctionnement étayés d’antagonismes sommaires, les deux intervenants devraient, nous semble-t-il, repousser davantage les lignes du sectarisme primaire pour instaurer du désordre paradigmatique au cœur de l’entendement. Tout en s’appliquant à préserver le « juste équilibre » d’une voûte d’intelligibilité profilée à partir de ces pierres angulaires que sont le particulier et le général, ils convoqueront les agissements solitaires des dominants et les actes solidaires d’une communauté en mouvement : elle renvoie d’ailleurs aux milliers de marcheurs réclamant en Algérie un plus juste partage des tâches et des dividendes. Expression des « (…) mutations quantitatives et qualitatives » en germe au sein de la société, leur « Hirak » serait d’autant moins sous la coupe réglée de l’État profond que les « (…) faux islamistes et baltaguia démontreront leur inefficacité face à la massive révolte populaire » (Lahouari Addi, in L’expression, 13 juin 2019). Annexe opérationnelle et pure émanation du Haut commandement, la police politique n’empêche aucunement les militaires du premier cercle d’agir à leurs convenances. Aussi, la tranchée séparant deux ossatures en conflit permanent (récurrente assertion de Bélaïd Abane) reste une vue de l’esprit car il s’agit de retenir avant tout la lutte de positionnement entre individus de régions et idéologies différentes. Ceux-ci défendent des intérêts à conserver ou à fructifier aux intersections d’importations massives remplissant à ras bord le Fonds de régulation des recettes, véritable tiroir-caisse d’un monde des affaires où les places tournantes seront à renégocier avec la prochaine « Route de la soie ». Une autre guerre territoriale se mettra dès lors en branle, secouera les étroites alliances que monnaient à grande échelle les partenaires et concurrents des forces de l’argent. La multiplicité des circuits d’allégeances et des intrigues sous-jacentes démonétise la simple lutte asymétrique.

Réfutée par nombre d’observateurs du terrain, cette thèse émane (en dehors des raccourcis de Bélaïd Abane) de la même source informationnelle, celle concluant que la solution à la crise passe obligatoirement par l’élection présidentielle, option à mener au pas de charge pour sauver un système en accointance avec des groupements mercantiles que boostent quelques argentiers internationaux. Nier la logique économico-capitalistique, c’est perdre de vue les précarrés que se disputent les fratries de la nomenklatura politico-militaire, clans complètement acquis au libéralisme sauvage.

Après avoir neutralisé l’émergence des personnalités politiques, syndicales, culturelles et artistiques, supprimer les corps intermédiaires, il leur fallait entériner, lors de la dernière révision constitutionnelle, l’article 51 (désormais le 63) de manière à larguer définitivement les compétences issues de la diaspora. Courroie motrice avant et pendant la Guerre de libération, l’immigration parisienne a alimenté le Mouvement national et réclame aujourd’hui à juste titre des comptes, notamment les réajustements inhérents à la primauté du politique sur le militaire et le retrait de tous les généraux affairistes des pôles décisionnels.

Répondre résolument à ses légitimes aspirations oblige à assainir le fichier électoral, à revoir le dispositif législatif manipulé au gré des convenances et appétences, à stopper le contrôle des médias publics (télévision, journaux et réseaux sociaux), à ouvrir le marché publicitaire, à bannir les sanctions et représailles administratives blanchies par des magistrats corrompus et à l’écoute du « garde-à-vous » et aux ordres des gardes à vue.

Tronc solidement planté, «organiquement, idéologiquement et culturellement compatible avec l’État de droit » (L. Addi, in L’expression, 13 juin. 2019), l’Armée nationale populaire (ANP) contient plus de 500.000 âmes, parmi lesquelles des centaines de colonels, commandants, capitaines et lieutenants, des officiers ou engagés constituant la colonne vertébrale d’un régime miné par les rivalités et compétitions latentes ou souterraines de factotums incapables de s’entendre sur l’organisation d’une réelle transition démocratique, de trancher dans le vif du sujet. Maîtriser le processus de changement, s’assurer d’une issue honorable et acceptable, voilà sans doute les deux points cardinaux à même de faciliter, selon nous, la phase de négociation-concession, d’acter les renoncements conduisant à la modernité économique, politique, culturelle et artistique.

En lâchant, sous la pression de la rue, Abdelaziz Bouteflika, le vice-ministre de la Défense savait d’emblée qu’il se lançait dans une fuite en avant l’obligeant à s’assurer des modalités d’organisation de la prochaine présidentielle, du choix du potentiel coopté, à fortiori des « panelistes » suffisamment briffés pour suivre la feuille de route qu’imposent en sous-mains ses coreligionnaires. Partie visible de l’iceberg, Gaïd-Salah paraît bien être leur porte-parole attitré et pour les contenter, sauver concomitamment sa peau, c’est-à-dire empêcher de futures investigations judiciaires, de contraignants et humiliants aveux dévoilant de répréhensibles accumulations financières, il ne lâche pas prise, renchéri, demeure focalisé (contrairement à des leaders politiques changeant, au gré du vent, de bord ou d’opinion) sur les mécanismes techniques d’un dialogue inclusif réunissant des conditions électives et expéditives conformes aux souverains desideratas. Anxieux de voir s’éterniser les délais impartis, le généralissime se braque plus encore, se lance à la hussarde dans de virulentes diatribes au lieu de convenir d’une rencontre avec un collège d’intellectuels, militants et personnalités historiques en mesure de décanter les nœuds gordiens de la problématique, de fermer les yeux sur plusieurs dépassements pécuniaires, d’effacer certaines ardoises, de passer l’éponge en échange d’un passage de témoin (substitution de la légitimité révolutionnaire par la légitimité démocratique) ratifié par un solide protocole d’accord.

Depuis le début de la crise, nous appelons à la confrontation directe (solution à laquelle se joindront le sociologue Nacer Djabi, les présidents de Jil Jadid, Soufiane Djillali ou du Front de la justice et de la paix, Abdallah Djaballah, puis le trio Ali Yahia Abdennour, Ahmed Taleb İbrahimi et Rachid Benyelles), perspective censée favoriser les concessions réciproque et le déclenchement de la décantation puisque les généraux « (…) impliqués dans la corruption seront mis à la retraite », cela au même titre que des « (…) politico-militaires biologiquement en voie de disparition » affirmeront successivement Lahouari Addi et Fatiha Benabbou, (in Le Matindalgerie, 14 et 16 juil. 2019).

Seulement, les couper ou extraire des circuits économiques ne sera pas une mince sinécure. Hostiles au multipartisme et à l’alternance, ces barons autocrates jouent sur les cordes sensibles du nationalisme, comme le font présentement les membres d’un panel évoquant leur mission patriotique. Pervertie par des ralliements tactiques de sous-traitants trop faibles pour assumer l’espéré bras de fer (de surcroît suffisamment malléables pour asseoir les facteurs de la démobilisation, tuer dans l’œuf les velléités de changement), l’instance en question(s) s’ingénie à métamorphoser le statu quo en dramatisation, en « Nous ou le chaos ».

La situation tourne parfois même à la farce, quand l’islamiste installé sur le perchoir de l’Assemblée populaire nationale (APN) prétend pouvoir conduire ladite concertation. En regard à celle en cours d’élaboration, Soufiane Djilali préconise (depuis le 23 juin 2019) la naissance de deux principales mouvances, l’une conservatrice, l’autre moderniste, façon de maintenir, d’après lui, le juste milieu entre les valeurs traditionnelles et contemporaines, d’arrondir en fait les angles de la complexité, de répliquer au bout du bout l’antinomie simpliste à apparenter au consensus mou. Toujours donc une vision bipolaire supposée répondre au multipartisme de façade, compenser l’arbitraire et les schématisations, assainir la cartographie politique de Grands électeurs ne laissant que très peu d’espaces aux démonstrations ou développements critiques. Aussi, « Le recours à une simple élection présidentielle ne réglera rien », persuade le politologue Bélaïd Abane.

Pseudo-panacée, elle bouclera la parenthèse utopique (dite révolutionnaire), infligera les entraves de galonnés imputant l’inhibition ambiante à «des traîtres qui haïssent le pays et l’ANP». Non disposés à lâcher du lest, ils provoquent la colère de contestataires envisageant, depuis le vendredi 02 août, de recourir à une rébellion citoyenne pouvant fort bien nourrir des jusqu’au-boutistes enclins à passer à l’acte parce que justement convaincus de l’intransigeance des « mani-tous » ou autres planqués du sommet. Une nouvelle vague terroriste risquerait alors de toucher non plus des « laïco-assimilationnistes » (autrefois jetés en pâture) mais cette fois des « naïfo-collaborationnistes », voire les progénitures, complicités consanguines ou seconds couteaux du système monopolistique synonyme d’empêchements et, par extension, d’exils. Émettre la probabilité d’un tel projet assassin (illusionné ou en gestation) fait partie des hypothèses qu’un intellectuel n’a pas à exclure ou à évacuer.

Attachés à l’esprit mature et pacifique de la désobéissance civile décidée en 1971 contre l’extension du camp militaire du Larzac (plateau situé en Occitanie, au sud du Massif central) et conclue une décennie plus tard (en 1981 grâce à l’arrivée à l’Élysée de François Mitterrand), nous condamnons toutefois, à l’avance, les immixtions d’éventuels désaxés et justiciers aux dérapages improductifs. En prévision du pire, nous interpellons ici les élites concernées (endogènes et expatriées) afin qu’elles conviennent d’une double assemblée (initiative à concrétiser dès septembre 2019 à Paris et Alger, villes où Lahouari Addi et Bélaïd Adane seront évidemment les bienvenus), y réfléchissent l’ensemble des problématiques, s’impliquent dorénavant entièrement au cœur d’un « Hirak » puisant aux sources de cet esprit combatif nettement formulé le 05 juillet dernier.

Au devant des marches de l’immanquable rendez-vous, Djamila Bouhired et Zohra Drif-Bitat incarnaient le désir partagé de redéployer les images iconiques de la révolution armée, histoire de mettre réciproquement fin au commerce d’une martyrologie victimaire thésaurisée à outrance.

Conscientes des enjeux en cours, les deux égéries n’écouteront pas les sirènes de la « panelisation », se maintiendront en dehors de ses emballements rhétoriques, des consultations improvisées dans le but d’obéir aux injonctions de bons maîtres adeptes des factorielles et factuelles principes réductionnistes, celles avec lesquelles ils scénarisent les contradictions pour mieux influencer, infiltrer, diviser et régner. (*) Ce texte est le dernier volet du triptyque débuté avec les contributions « L’état-major a gagné la bataille de la division » et « Ce que le sociologue Lahouari a-dit, prédit et omis ». La prochaine aura pour intitulé, « En promotion à l’Aïd el-Kébir : le mouton de « panne-urge ».

Auteur
Saâdi-Leray Farid. Sociologue de l’art

 




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